En l’absence d’application de la loi et faute de sanctions, soudoyer un policier ou donner un pot-de-vin pour obtenir en retour un avantage ne semble guère une infraction !
Pour la troisième année consécutive, l’étude quantitative faite sur la perception de la corruption en Tunisie aboutit au même constat: « 87,2% des Tunisiens pensent que la corruption a de plus en plus augmenté au cours de l’année passée, alors que 28,5% d’entre eux ont répondu avoir connu au moins une situation de corruption en 2020». Ces taux, aussi alarmants soient-ils, ont été révélés lors d’une conférence de presse tenue, hier, au siège de l’Instance nationale de lutte contre la corruption (Inlucc), aux Berges du Lac à Tunis.
En fait, cette enquête, réalisée en décembre dernier par un cabinet d’études markéting et sondages (Bjka), a porté sur un échantillon représentatif de 1.000 ménages aléatoirement choisis, avec une marge d’erreur d’environ 3%. Le directeur général dudit cabinet, Sami Kallel, a indiqué que la corruption, de l’avis des interrogés, n’a cessé de s’amplifier depuis la révolution. De même, ses indicateurs 2018-2020 sont en nette évolution. Un fléau à tous les étages dont on est, semble-t-il, unanime sur sa gravité et l’urgence d’agir pour l’éradiquer à la racine. Sauf que certains interviewés expriment une perception mitigée, mais à tendance négative. Quelle image associe-t-on à la corruption ? C’est l’une des questions posées à l’échantillon pour sonder les opinions quant à ce phénomène. En réponse, une majorité d’interviewés l’ont qualifiée « d’atteinte à la morale », voire « un fléau qui ronge l’administration ». D’autres y voient, sans scrupules, «une habitude, mais aussi un échange de service qui prend la forme d’un commerce fructueux », relève l’étude.
La corruption est-elle un mal nécessaire ? En l’absence d’application de la loi et faute de sanctions, soudoyer un policier ou donner un pot-de-vin pour avoir en retour un avantage indu ne semble guère une infraction. C’est plutôt un service rendu et nullement une hérésie.
Ainsi tolérée et banalisée, la corruption s’explique, aujourd’hui, par un sentiment d’insatisfaction et de déception quant à la qualité des prestations fournies par l’administration tunisienne. Cela prête à un manque de confiance dans l’Etat de droit et des institutions.
Et M. Kallel d’enchaîner que seulement 27,5% des répondants disent être disposés à alerter sur la corruption. « Et là, c’est un autre problème », déduit-il, indiquant qu’un bon nombre de Tunisiens craignent de le signaler, faute des garanties de leur protection.
En dépit de la loi portant sur la protection des dénonciateurs, plusieurs lanceurs d’alertes ont été victimes de harcèlement et d’agression. Et des employés ont subi des injustices et des décisions de répression, allant jusqu’à leur licenciement. Et là, l’enquêteur fait appel à l’Inlucc et aux médias afin de réagir positivement.
Vers un système de mesure des indices de corruption
Et si la loi était, elle aussi, corrompue ! Pour le président de l’Inlucc, Imed Boukhris, le citoyen n’est pas une victime, mais plutôt un acteur actif dans la lutte anti-corruption.
En l’état, le rôle de son Instance risque d’être remis en cause. L’homme s’est défendu : « Depuis 2016, un peu plus de mille dossiers de corruption ont été transférés à la justice ».
Selon les Tunisiens interrogés, autant de secteurs pointés du doigt dont quatre viennent en tête de liste, à savoir la sécurité (69%), la douane (53,2%), l’administration publique (40,2%) et le secteur de la santé avec 39,8%.
Cet état des lieux exige, selon les intervenants, d’avoir un mécanisme national de mesure des indices de la corruption. L’ambassadeur d’Allemagne en Tunisie a beaucoup misé sur l’étroite coopération entre l’Inlucc et la Giz, en tant que partie prenante dans l’assistance technique et l’élaboration de la présente étude sur la perception de la corruption en Tunisie.