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Observatoire Tunisien de l’Economie: La politique de sécurité alimentaire montre ses limites

«Les limites d’une politique de sécurité alimentaire : le cas de la filière céréalière»,
c’est l’intitulé du dernier rapport publié par l’Observatoire tunisien de l’économie (OTE).


En Tunisie, le secteur agricole constitue un pilier majeur de l’économie puisqu’il contribue à environ 10% du PIB. Il est la base pour atteindre  les objectifs nationaux en matière de sécurité alimentaire, de création d’emplois, et de gestion des ressources naturelles, d’autre part. La filiale céréalière représente un axe stratégique de l’agriculture, avec 13% de la valeur ajoutée agricole, 42% de la superficie agricole utile, 27% du total des exploitations agricoles et 9% de l’emploi agricole total. D’après le dernier rapport publié par l’Observatoire tunisien de l’économie, intitulé «les limites d’une politique de sécurité alimentaire», les céréales constituent en moyenne 13% des dépenses alimentaires des ménages, soit environ 4% des dépenses globales.

D’après le rapport, «c’est à partir des années 80, que la politique agricole commence à fournir un ensemble de mesures d’interventions sur le marché intérieur (administration des prix ; constitution de stocks publics ; subventions et incitations fiscales, primes de transformation ; etc.) et des mesures à la frontière (autorisations d’échange ; droits de douane ; etc.) pour soutenir tout particulièrement le secteur céréalier. Ces mesures de soutien visaient initialement à garantir des revenus suffisants et stables aux céréaliculteurs, une autosuffisance pour le pays à l’égard de certains produits, ainsi qu’une offre de prix abordable à la consommation (produits de première nécessité). Mais cette politique va évoluer vers le recours aux importations malgré un potentiel de production céréalière locale assez important à l’échelle nationale». Le rapport démontre comment l’État a choisi de recourir aux importations afin de répondre à une consommation de plus en plus importante des céréales, et ce, dans l’objectif de promouvoir la sécurité alimentaire du pays. Désormais, de nos jours, ces choix et ces pratiques ont montré leurs limites au regard de la détérioration des équilibres de la balance des paiements et du budget de l’État et du renchérissement des prix des produits céréaliers importés.

L’évolution de la politique céréalière

La politique agricole menée depuis l’Indépendance, a connu plusieurs changements aux niveaux de la production ; de l’emploi agricole, ainsi qu’à celui de sa place dans l’économie. En effet, la politique agricole a présenté une évolution progressive : passant d’un volontarisme étatique visant l’intensification, la modernisation de la production et le contrôle de certaines filières, à une économie distributive en faveur des consommateurs, puis à un «libéralisme protectionniste».

La politique agricole mise en place, durant les années 60, a instauré un monopole pour régir les activités liées à la filière des céréales (dont la collecte, les importations, la distribution et le stockage), en créant l’Office des Céréales. Cependant, les orientations agricoles adoptées dont l’intensification des facteurs de production, l’introduction de la mécanisation dans les techniques culturales et l’aménagement des structures de production n’ont concerné que les grandes exploitations, alors que les exploitations paysannes ne l’étaient que secondairement, ce qui a accentué le processus de différenciation sociale dans l’agriculture.

Ces disparités sociales se sont rapidement traduites par l’aggravation de la pauvreté des paysans et par l’incapacité de la communauté paysanne à dégager l’épargne nécessaire à la préservation et à l’amélioration de ses moyens de production. Cela a entrainé la stagnation de la production agricole, notamment céréalière. Pour répondre à une demande alimentaire de plus en plus croissante, un recours aux importations été la solution la plus appropriée.

Dans ce contexte, et en vue de répondre aux injonctions du Fonds Monétaire International (FMI) qui appellent la Tunisie à stabiliser l’économie nationale en lui accordant un prêt, le gouvernement a adopté une réforme de la loi de finance comportant une série de mesures d’austérité, dont une réduction des subventions sur les produits céréaliers et une hausse des prix à la consommation : 70 % sur les prix des semoules et des pâtes et 108 % sur le prix du pain. Touchant ainsi aux besoins de base de la population, des émeutes se sont déclarées dans plusieurs régions à partir du 31 décembre 1983.

Face à cette situation et suite aux exigences de la Banque mondiale et du FMI, la Tunisie a été obligée d’adopter certaines réformes, dans le cadre du Programme d’ajustement structurel (PAS). Son objectif principal était «d’asseoir un processus d’accumulation plus intensif axé sur la demande extérieure». Le PAS était, en fait, la condition pour parvenir à l’aide financière octroyée par ces institutions afin de remédier aux conséquences de la crise. Néanmoins, tout ce qui a été entrepris ne fut bénéfique que pour les grands agriculteurs, alors que les exploitations familiales et paysannes se sont trouvées face à des conditions climatiques défavorables qui, suite au désengagement de l’État, constituent une contrainte majeure devant la stabilisation de leurs productions et donc, de leurs revenus.

Ainsi, Les petites et moyennes exploitations, qui constituent 54% du total des exploitations agricoles à l’échelle nationale, se sont trouvées dans une situation d’extrême vulnérabilité, en raison de leur faible compétitivité face aux exploitants étrangers.

Tous les maillons en crise

Actuellement, l’État intervient à chaque campagne agricole, dans la fixation du prix de base à la production pour le blé dur et le blé tendre, du prix d’achat auprès des collecteurs de céréales et du prix d’intervention pour l’orge et le triticale. D’autres problèmes sont, également, énumérés dans le rapport d’OTE. Ces problèmes touchent tous les maillons de la filière céréalière.

On cite la multiplicité des intervenants tout au long de la filière (l’OC, le ministère de l’Agriculture, le ministère du Commerce, les coopératives et les collecteurs privés et les entreprises agroalimentaires), la monopolisation de la filière céréalière, les faibles rendements enregistrés pour le blé tendre engendrant un taux de dépendance élevé par rapport aux les céréales importées, le manque de vulgarisation et d’encadrement des différents acteurs tout au long de la chaîne, l’absence de structuration des agriculteurs pour honorer les engagements en quantité sur les marchés, le changement du régime alimentaire, le grand gaspillage des céréales transformées surtout en matière de pains, la forte dépendance de la céréaliculture aux conditions naturelles et enfin, l’impact émergeant du changement climatique menaçant l’agriculture tunisienne, notamment, la céréaliculture. S’est ajoutée à ces problèmes une crise internationale sans précédent.

En effet, l’année 2020 a été marquée par la propagation de la pandémie Covid-19, et la Tunisie, comme le reste des pays du monde, s’est trouvée obligée de procéder au confinement total. Ces mesures de préventions sanitaires ont exigé la fermeture et la réduction des activités de la majorité des établissements et des entreprises, à l’exception des industries agroalimentaires et des commerces de proximité. Il est à noter que même les échanges commerciaux ont été fortement ralentis.

Mais surtout, cette pandémie a révélé l’importance capitale de la filière céréalière. Il est à noter qu’au cours de la période du confinement total, la Tunisie a enregistré une grande demande locale sur les produits céréaliers, tels que la farine, la semoule et les pâtes alimentaires. Cette crise a prouvé la nécessité, pour un pays comme la Tunisie, de prioriser la production céréalière locale, d’assurer une gestion des stocks nationaux et d’améliorer ses circuits de distribution. Toujours selon le rapport de l’OTE, les capacités de stockage des céréales, à l’échelle nationale, ne couvrent que 45 % des besoins.

Avons-nous besoin

d’importation ?

Actuellement, on enregistre environ 1,35 million d’hectares de céréales, emblavés principalement dans le Nord du pays. Pour la période 2007-2017, le gouvernorat de Béja vient en première positionon avec une part de 18% du total emblavé, suivie de Bizerte (12,8%), du Kef (11,9 %), de Siliana (11.9%), et de Jendouba (10%). La Tunisie devrait davantage exploiter son potentiel de production céréalière au Nord du pays pour préserver, d’une part, ses ressources en «eau bleue» et pour profiter, d’autre part, de l’abondance de «l’eau verte» et des conditions climatiques favorables à son développement.

Afin d’encourager la production et de veiller à assurer une offre continue en céréales, l’État a développé un ensemble de mesures de soutien au secteur céréalier, telles que des primes et des subventions pour l’économie d’eau d’irrigation et des tarifications préférentielles pour les céréales irriguées dans les périmètres publics irrigués. Toutefois, en l’absence d’aide à la maîtrise des pilotages d’irrigations, de la réhabilitation des réseaux de distribution de l’eau et d’une incitation sur l’usage des systèmes d’irrigation économes en eau, le gaspillage des eaux d’irrigation a été évalué à 18% du total des eaux d’irrigation.

Certes, ces mesures ont été mises en place afin de promouvoir la sécurité alimentaire à l’échelle nationale, mais elles ont tout de même reflété l’absence d’un intérêt réel à protéger le potentiel hydrique. Par ailleurs, c’est le manque de stratégie globale efficace pour cerner les problèmes touchant le secteur céréalier, qui a fait que le blé tendre, la base de la ration alimentaire des Tunisiens, soit emblavé sur de petites superficies et enregistre des rendements faibles.

Il est à noter qu’en 2018, les rendements céréaliers n’ont pas dépassé les 25 quintaux/ha pour le blé dur, 21 quintaux/ha pour le blé tendre et 16 quintaux/ha pour l’orge. Le recours à l’importation fut ainsi l’alternative choisie pour compenser la production céréalière à l’échelle nationale. Pour la période 2008-2018, le blé tendre représente la principale céréale importée avec un pourcentage allant d’un maximum de 71% en 2009 à un minimum de 50 % en 2017 du total de la quantité de céréales importées.

Le rapport de l’OTE affirme clairement : «La Tunisie n’a pas déployé les efforts nécessaires à la promotion de la production céréalière locale en optimisant l’utilisation des ressources en eau. En faisant le choix de recourir aux importations et en l’argumentant par un gain en termes de ressources en eau et par des chiffres globaux de sécurité alimentaire, la Tunisie n’a pas privilégié une vision à long terme de souveraineté alimentaire qui placerait au premier rang la préservation et le développement durable des ressources hydriques en lien avec les modes de production et de consommation alimentaires».

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