Changer le modèle de développement semble être un truisme. Mais la question qui se pose est la suivante : faut-il rompre avec les politiques de développement en vigueur ou serait-il judicieux de construire des stratégies qui s’inscrivent dans la continuité des anciennes politiques ? Des éléments de réponse avec Lobna Jeribi, ancienne ministre chargée des grands projets et présidente du think tank Solidar Tunisie.
Pourquoi est-il nécessaire de mettre en place de nouvelles politiques de développement ?
Les différents modèles de développement qui ont été mis en œuvre depuis l’Indépendance se sont essoufflés. Certes, il y a eu des réussites, mais il y a eu également des échecs. Et c’est ce qu’on a évalué dans l’étude qui a été élaborée par Solidar Tunisie et qui s’intitule «Les nouvelles orientations des politiques de développement vers un nouveau pacte social». L’analyse des choix qui ont été faits, depuis l’Indépendance, en termes de politiques de développement, a montré qu’il y a, d’un côté, des succès de certaines politiques sociales, notamment celles des années 60; mais, d’un autre côté, l’analyse a mis en lumière l’essoufflement de divers modèles. Même dans les années 90, on a fait de la croissance, mais il n’y a pas eu de développement. D’où la nécessité de faire de nouveaux choix, où les rôles de l’Etat et du secteur privé sont différents.
Nous avons également réalisé une étude sociologique qui a démontré aussi que cet essoufflement s’accentue par la défiance des citoyens à l’égard de l’Etat c’est-à-dire par l’effondrement du triangle, société-nation-citoyen. Ladite étude a, en effet, démontré que quand la défiance remplace la confiance, le modèle s’effondre et il est nécessaire, dès lors, d’aller vers de nouveaux choix de politiques de développement. C’est la raison pour laquelle aujourd’hui, il est important de nous pencher sur la question. Nous avons des fondamentaux de notre République sur lesquels il faut capitaliser, mais il faut, certainement, capitaliser sur les échecs.
Quelles sont les nouvelles orientations à adopter ?
Pour nous, il y a trois questions essentielles auxquelles il faut répondre. Tout d’abord, au-delà des nouvelles orientations, il faut qu’il y ait une vision de la Tunisie pour les deux prochaines décennies. Nous avons besoin d’une vision partagée par l’ensemble des acteurs économiques, sociaux et politiques. Là, je souligne le mot “partagée”, parce qu’il ne sert à rien d’avoir une vision écrite sur un document, mais qui n’est pas adoptée et qui ne suscite pas l’adhésion de tous les acteurs. Il s’agit d’un projet commun qui va restaurer la confiance.
Deuxièmement, on a besoin de décliner cette vision en mesures, qui répondent aux urgences sociales et économiques, outre les urgences sanitaires imposées par la Covid-19. Donc, nous avons besoin d’un plan de sauvetage décliné en mesures opérationnelles, de moyen et de court termes, mais qui doivent être, en même temps, une déclinaison de la vision globale, car jusque-là, on a pris beaucoup de mesures dilatoires.
La troisième question c’est : avec qui et comment devrait-on élaborer ces nouvelles orientations? Il sied de rappeler, dans ce contexte, que le Plan quinquennal 2016-2020 contient un plan de réformes. Pour autant, on n’est pas arrivé à les mettre en place. Nous savons tous que les budgets alloués aux projets inscrits dans le Plan de développement n’ont pas été décaissés. On parle de 5.000 millions de dinars alloués par les cinq premiers partenaires internationaux, mais qui ne sont pas toujours débloqués. Il y a un véritable problème d’exécution et d’intervention.
A quoi est dû ce blocage ?
Tout d’abord, comme je l’avais déjà mentionné, il faut qu’il y ait une vision. Il faut que tous les acteurs adhèrent à cette vision-là. On sait que les réformes, dites «douloureuses», ont un impact et un coût social et politique, mais en même temps, on sait qu’elles vont permettre sur le moyen terme de donner des résultats positifs pour le pays, la nation et les générations futures. Elles ne sont pas forcément long termistes. L’absence de cette vision résulte de l’absence d’un projet commun auquel nous aspirons et pour lequel on est prêt à faire des sacrifices avec l’espoir de jours meilleurs.
Notre rôle en tant que société civile est de proposer, accompagner l’administration, en l’occurrence le ministère de l’Economie, qui est en train de préparer une note d’orientation du Plan du développement 2021-2025. A travers notre étude, nous proposons une nouvelle approche contribuant au développement d’une synergie qui permet d’être plus efficace dans l’exécution et la mise en œuvre des projets. Il est important que la société civile dégage et propose aussi des orientations, une nouvelle vision, un modèle de synergie gagnant-gagnant entre les différents acteurs régionaux, nationaux et un échange d’expériences avec les ONG internationales.