La haute saison touristique approche à grands pas et elle risque fort de ressembler à celle de l’an dernier avec très peu de touristes internationaux, et un peu plus de touristes locaux. Si les assouplissements des mesures sanitaires devaient mener à un regain de popularité de certaines destinations, les contraintes qui demeureront (distanciation, limites de rassemblement) devraient continuer à peser lourd sur le secteur du tourisme. Partout dans le monde, la peur et surtout les restrictions liées à la crise du coronavirus plombent l’industrie du voyage. Autorités et professionnels essaient de sauver ce qui peut l’être…
Le tourisme est un secteur très sensible à tout changement brusque. Il est vite impacté par les crises. Vital pour l’économie tunisienne et, malgré la crise sanitaire, ce secteur doit, impérativement, reprendre ses activités.
Le tourisme tunisien a pu assurer, en 2018, une recette non négligeable au PIB de la Tunisie couvrant ainsi le déficit commercial à hauteur de 21,1 %. Le secteur est également source de 389.000 emplois directs et indirects.
L’activité touristique fait vivre de nombreuses familles en Tunisie. Ainsi, on estime que 9,4% de la population active travaille dans ce secteur. D’après une étude réalisée par le bureau d’études «Kpmg», il y a 100.000 emplois directs (activités liées directement au tourisme) et 289.000 emplois indirects (activités satellites du secteur). Toujours d’après les chiffres de l’étude, en 2017, l’investissement touristique a été multiplié par deux par rapport à 2015 pour atteindre 447.2 millions de dinars.
Avec la pandémie du coronavirus, pas moins de 27.000 emplois directs ont été perdus à la fin de 2020. L’OMT pense qu’un retour à la normale de l’activité touristique ne sera pas possible avant 2023. Plus grave encore, l’Association internationale du transport aérien (Iata) annonce, de son côté, qu’une reprise du trafic aérien habituel n’est attendue qu’en 2024. Comme tous les pays, la Tunisie a été affectée par cette pandémie. Et malgré la réouverture des frontières, à la fin juin 2020, la fréquentation estivale a été nettement en-deçà des attentes du gouvernement. Les nuitées hôtelières ont baissé de 80 %, en 2020, au même titre que l’arrivée de touristes internationaux qui a chuté de 75 %.
Selon plusieurs professionnels, toute prévision sur le secteur au-delà de 2021 est hasardeuse, en ce sens que personne, aujourd’hui, n’est en mesure de dire avec certitude comment va évoluer cette maladie. Le seul espoir reste la vaccination.
«Malheureusement, le secteur traverse sa quatrième crise en neuf ans : à la révolution de 2011 et aux attaques terroristes de 2015, ont succédé la faillite de Thomas Cook en septembre 2019 et maintenant le covid-19. Une année blanche se confirme donc», affirmait l’année passée, une présidente directrice générale d’un hôtel à Hammamet. Cette année aussi la situation n’est guère meilleure.
A l’heure actuelle, la majorité des hôtels et des agences de voyages sont encore fermés, et cette situation perdure. Ces établissements, même fermés, doivent assumer diverses charges (énergie, gardiennage, maintenance…) en plus de la responsabilité sociale face aux dizaines de milliers de familles dont les emplois se retrouvent compromis.
Pour les établissements qui sont parvenus à une réouverture, la facture pour eux sera chère dans la mesure où ils doivent respecter les nouvelles normes de sécurité sanitaire, assez lourdes à mettre en place et nécessitant un investissement qui n’est pas à la portée. Face à cette situation, le soutien de l’Etat fait défaut.
Qui a raison ?
La professionnelle explique qu’après les attentats de 2015, «le gouvernement de l’époque avait annoncé douze mesures pour sauver le tourisme. S’en est suivi un lynchage mené par l’opinion publique, résolument opposée à tout soutien au secteur. De toutes ces mesures annoncées, une seule a finalement été mise en œuvre. Les onze autres sont passées à la trappe suite à des conditions d’éligibilité inapplicables imposées par l’administration publique… Aujourd’hui encore, tout le monde pense que l’Etat a aidé en 2015 les entreprises touristiques, alors qu’il n’en est rien !.
Selon elle, les acteurs du tourisme sont accusés de tous les maux «alors qu’ils sont pieds et poings liés. On leur reproche de faire perdurer un modèle révolu, le «package all inclusive», mais on leur refuse l’Open Sky. Comment échapper à l’hégémonie des tour-opérateurs, qui détiennent les vols charters, si on ne libère pas le ciel ? La clé de la diversification du produit touristique est l’accessibilité aérienne».
Autre reproche fait aux professionnels du secteur, le surendettement. Mais actuellement avec la crise sanitaire on leur demande de s’endetter davantage pour payer les salaires. Cette patronne déplore : «On nous demande d’endetter nos entreprises pour remplacer le rôle social de l’État».
Même le livre blanc présenté par la Fédération de l’hôtellerie (FTH), qui présente un plan de restructuration financière co-élaboré avec l’Association des banques, est resté lettre morte. «L’Etat s’oppose farouchement à toute incitation fiscale, pourtant indispensable si l’on veut résorber la dette hôtelière».
Autre critique également faite aux hôteliers, la qualité de services non conforme aux standards internationaux. «La refonte des normes de classification hôtelière, conjointement élaborée par l’administration du tourisme et les hôteliers, n’a pas encore vu le jour», regrette cette même professionnelle. Aussi, le tort des professionnels est de ne pas encourager le tourisme local, mais d’un autre côté, «on leur refuse les incitations fiscales et sociales nécessaires à la mise en place du «chèque vacances», qui pourrait être largement utilisé par les comités d’entreprises», déplore l’hôtelière. Pour elle «la Tunisie est indéniablement l’un des pays touristiques les plus porteurs du bassin méditerranéen. Le pays dispose de tous les atouts recherchés par le touriste du XXIe siècle : proximité, richesse du patrimoine, diversité des régions, dépaysement culturel, infrastructures touristiques, beauté des paysages…. Le tout est de le faire savoir au reste du monde et de se mettre sérieusement au travail. Il ne s’agit surtout pas de commander une énième étude stratégique, mais de mettre en œuvre les principales recommandations des dernières Assises nationales du tourisme, qui ont réalisé la prouesse de remporter l’adhésion unanime du secteur privé, de la société civile et de l’administration publique».
ce qu’il faut faire dans l’urgence
Les patrons des établissements hôteliers redoutent l’effondrement du secteur touristique, à cause de la crise du covid-19. Que faut-il faire dans l’urgence pour sauver ce secteur qui représente 14% de l’économie tunisienne ?
Pour la totalité de la profession, il est très urgent de réagir avant qu’il ne soit trop tard. Pour eux, il est impératif de mettre en place une refonte totale englobant tous les intervenants.
Ainsi, «administrations et professionnels doivent contribuer à la mise en place de cette refonte en engageant un large débat, d’abord pour minimiser à court terme les effets de la crise, ensuite pour asseoir une stratégie nouvelle qui lui assure développement et pérennité», assure Tijani Haddad, ancien ministre du Tourisme et président de la Fédération internationale des journalistes et écrivains du tourisme (Fijet). Pour lui, les axes de cette refonte doivent passer par plusieurs points. D’abord, la révision du code des investissements touristiques. Cette mesure aura pour objectif de mettre en place une nouvelle orientation qui correspond aux mutations profondes et aux tendances actuelles du tourisme international. «Ce code doit également inclure non seulement le secteur hôtelier, mais également tous les autres métiers de l’activité touristique, tels que le tourisme culturel, le tourisme écologique et rural, le tourisme médical, l’artisanat…, qui doivent bénéficier également d’encouragements en matière d’investissements en tant que composantes fondamentales du secteur touristique», dévoile Haddad. Selon lui, l’autre action indispensable pour sauver le secteur doit être le rétablissement du Conseil supérieur du tourisme. Ce dernier sera sous la présidence du chef du gouvernement, avec comme membres tous les ministres qui interviennent directement ou indirectement dans la mise en exécution de la politique arrêtée par le conseil supérieur. «Ce conseil doit être doté de tous les pouvoirs lui permettant la mise en œuvre et l’exécution de la stratégie nationale».
Haddad propose aussi l’adoption d’une nouvelle approche pour résoudre le dossier lourd de l’endettement du secteur de l’hôtellerie. Il suggère d’impliquer «toutes les parties et structures concernées : l’administration, la Banque centrale, les banques étatiques et privées et évidemment les professionnels».
Activer l’Open Sky compte parmi les solutions urgentes proposées par l’ancien ministre. «L’ouverture du ciel tunisien aux compagnies aériennes internationales dans le cadre d’une politique est maintenant incontournable». Il propose autant l’ouverture de la destination tunisienne à de nouveaux marchés comme la Chine, l’Inde ou encore l’Iran, tout en maintenant la cadence promotionnelle au profit de nos marchés traditionnels. Pour cet ancien responsable dans l’administration tunisienne, certains produits comme le tourisme résidentiel, à l’instar des grandes destinations touristiques, peut «nous procurer une population presque permanente de touristes pendant toute les saisons et contribue à l’amélioration de nos recettes touristiques». Il suggère par ailleurs, la diversification des régions touristiques en plusieurs destinations «Djerba, Kerkennah, la Kroumirie et évidement le Sahara que, malheureusement, nous n’avons pas réussi à en faire une destination indépendante du balnéaire». Il ne faut surtout pas oublier la revalorisation de la formation professionnelle, afin d’améliorer sensiblement la qualité du service des entreprises hôtelières et touristiques. Pour les professionnels du secteur, ce qui manque véritablement à la destination tunisienne, c’est une volonté politique ferme et déterminée qui tend à résoudre définitivement tous les problèmes structurels du secteur. Le secteur touristique connaît des fluctuations causées par des paramètres endogènes et d’autres exogènes. Le système touristique tunisien est en crise depuis le début des années 2000 et, pour le relancer, il est crucial de travailler sur le changement de l’image touristique classique du pays.
En tout cas, le ministre du Tourisme, Habib Ammar, espère que cette pause forcée va profiter à la Tunisie pour réfléchir aux nouvelles directions que le pays veut donner à sa politique touristique.