Trois chambres spécialisées ont pris dernièrement une initiative qui donne beaucoup d’espoir aux victimes et à leurs familles : geler les biens des accusés. Une initiative prévue par l’article 142 du Code de procédure pénale, susceptible de contraindre les auteurs présumés de violations graves des droits de l’homme de comparaître devant la justice.
Au Tribunal de première instance de Gabès se déroulait mardi 25 mai la neuvième audience du procès Kamel Matmati. Trois années ont passé depuis son ouverture en grande pompe le 29 mai 2018. A la fin d’une émouvante plaidoirie et s’adressant au représentant du ministère public, Mokhtar Jemiî, avocat de la famille Matmati, demande à la chambre spécialisée de Gabès d’émettre un ordre de séquestration des biens des prévenus. Une initiative prévue par l’article 142 du Code de procédure pénale : « Un moyen de pression pour déjouer les stratégies de fuite en avant des prévenus », fait remarquer Me Mokhtar Jemiî, lui-même ancien compagnon de prison de Kamel Matmati.
A la grande joie des avocats de la partie civile, à Gabès, le représentant du ministère public, prenant la parole, va à son tour présenter à la Cour la même requête : geler les biens des accusés, toujours aux abonnés absents depuis l’ouverture de ce procès. Ainsi sur les douze auteurs présumés de crime d’homicide volontaire, de torture et de disparition forcée de Matmati, jeune militant islamiste, exécuté par les agents de police de sa région la nuit du 7 au 8 octobre 1991, seuls deux ont comparu devant la Cour. Les trois accusés principaux, deux agents des renseignements généraux et leur chef hiérarchique n’ont jamais répondu aux convocations du TPI de Gabès.
Après Nabeul, Tunis et Gabès
En fait, c’est le Tribunal de première instance de Nabeul qui a pris en premier cette initiative le 30 avril dernier dans le procès Bessma Baliî, opposante islamiste ayant subi tortures et agressions sexuelles à la suite de son arrestation à l’automne 1991. Le TPI de Tunis, qui concentre 61 % des dossiers ayant trait aux violations graves des droits de l’homme instruits par l’Instance vérité et dignité, a engagé la même procédure le 20 mai.
Cette mesure donne beaucoup d’espoir aux militants et aux associations soutenant le processus de justice transitionnelle. Ce processus qui n’arrête pas de faire face à un manque de volonté politique, des séries de blocages et à des tentatives de « réconciliation globale ».
« A chaque audience, les victimes sont présentes, mais les bancs des accusés sont toujours clairsemés quand ils ne sont pas tout simplement vides », critique un rapport intitulé « Bilan et perspectives des chambres spécialisées », présenté en décembre 2020 par un groupe d’ONG nationales et internationales, dont l’Association des magistrats tunisiens, Avocats sans frontières et l’Organisation mondiale contre la torture.
Selon ce même rapport, un tel absentéisme et l’incapacité de l’appareil judiciaire à faire appliquer la loi en matière de mandats d’amener émis et pourtant restés sans réponse sont le résultat de la proximité entre les accusés et ceux qui sont censés garantir leur présence aux procès. « Les premiers sont pour la plupart des membres ou d’anciens membres des forces sécuritaires, administration pénitentiaire comprise. Les seconds sont des officiers de la police judiciaire, eux aussi membres des forces de sécurité. La relation entre les officiers de la police judiciaire et les accusés semble être marquée par un profond corporatisme et une certaine communauté d’allégeance », insistent les auteurs de ce document.
La séquestration des biens des prévenus entraînera-t-elle leur comparution forcée ? Une initiative, qui, espèrent aussi bien les victimes que les ONG des droits de l’homme, pourra mener les juges à se prononcer enfin sur des affaires qui n’ont que trop duré.