En ces temps de crise, on a pris l’habitude de faire une longue litanie des mauvais indicateurs économiques. Mais il y a un secteur qui brille encore et où les investisseurs étrangers, notamment français, continuent à lorgner les opportunités. C’est le secteur du numérique où les Tunisiens ont su construire une image de marque leur permettant de conquérir la confiance des partenaires africains et européens, notamment français. Installée en Tunisie depuis 18 ans en tant que cheffe d’entreprise française opérant dans le secteur du numérique, Ombeline Bernard Manusset, présidente, également de la commission numérique au sein de la Chambre tuniso-française de commerce et d’industrie, nous en dit plus.
Comment évaluez-vous les potentialités de la Tunisie dans le domaine du numérique ?
Le potentiel de la Tunisie est énorme. On a tout pour réussir ici. Premièrement parce qu’on a des compétences. Il est vrai qu’on le dit beaucoup mais le pays compte, aujourd’hui, des gens qui sont structurés et éduqués, même s’ils n’ont pas toujours reçu les bonnes formations. On a des jeunes qui ont envie d’avancer. C’est un très beau potentiel. Ensuite, il y a l’avantage du positionnement géographique du pays. Nous, par exemple, on est une société française avec un headquarter africain situé à Tunis et, depuis la Tunisie, on travaille sur 25 pays d’Afrique, y compris la Libye, l’Algérie, le Nigeria, etc. Ce qui fait que la Tunisie est un hub en Afrique. Le troisième point, c’est que les Tunisiens jouissent d’une très bonne image auprès des Africains. C’est vraiment une image de compétence et de sérieux qu’on n’a pas forcément sur les autres pays comme le Maroc ou l’Algérie.
L’instabilité gouvernementale et le manque de visibilité dans le secteur du numérique (plusieurs ministres se sont succédé à la tête du département du numérique au cours de la dernière décennie), n’ont-ils pas affecté l’attractivité du site Tunisie ?
Tout d’abord, il faut dire qu’aujourd’hui on a un très bon ministre Fadhel Kraiem. Il est entouré d’une super équipe, il a une vraie vision et a envie de faire avancer les choses. C’est un très bon indicateur. Maintenant est-ce que la stabilité est un indicateur d’attractivité? Moi j’ai envie de dire non. La richesse de la Tunisie, ce sont ses entreprises qui la font. Il ne faut pas attendre que le gouvernement fasse les choses. Certes, il est là pour élaborer des lois, conclure des accords avec les pays mais ce sont les entreprises qui créent la richesse. Parfois, il est vrai qu’on a envie de laisser tomber. On peut être démotivé, mais quand on a une équipe qui est compétente et des marchés qui s’ouvrent, on ne peut que se réjouir. L’instabilité politique, où est-ce qu’elle n’existe pas aujourd’hui? Est-ce que vous croyez que dans d’autres pays tout est extraordinaire? Non! Même dans des pays européens, il y a souvent des changements de gouvernements et de ministres. Pour moi, ça n’a pas d’impact. Ce sont les entreprises qui doivent créer cette richesse-là.
Pensez-vous que le lancement du fonds des fonds dans le cadre du programme Startup Act va donner un coup d’accélérateur au système de l’innovation?
Selon le ministère des Technologies et de l’économie numérique, il y a plus de 500 startup qui ont été labellisées. C’est énorme. Startup Act donne déjà un coup d’accélérateur à l’écosystème de l’innovation. La Tunisie fait partie des pays innovants ayant ouvert ce marché. Cela nous permet de motiver et retenir la jeunesse ici. Beaucoup sont en train d’inciter, sans arrêt, les jeunes à quitter le pays mais je dirais : partir pour de bonnes raisons, notamment pour apprendre et acquérir de nouvelles compétences, c’est bien. Par contre, partir pour fuir, ce n’est pas bien. On a un écosystème à construire en Tunisie. On doit motiver ces jeunes, et leur dire qu’ils sont ici en Tunisie, non pas parce qu’ils n’ont pas le choix mais parce que les opportunités sont là. Et si vous partez en Europe, aux Etats-Unis pour apprendre de nouvelles compétences n’hésitez pas à revenir.
Mais la fuite des compétences surtout dans le domaine du numérique est une réalité ?
A mon sens, la fuite des compétences est un faux problème parce qu’elle s’est toujours produite dans tous les pays du monde. Je vais vous donner un exemple. Il y a 25 ans, lorsque je faisais mes études, on nous disait qu’il faut apprendre le chinois parce que la Chine est le nouvel endroit. Et il y avait énormément de français qui partaient en Chine. La fuite de cerveaux a toujours existé. Mais, en même temps, ce phénomène nous donne envie, en tant que chefs d’entreprise, de nous poser d’autres questions. Pourquoi les gens partent ? Peut-être on n’est pas en train d’offrir les conditions optimales. Peut-être qu’il n’y a pas assez de challenges et de défis qui permettent aux jeunes de s’affirmer. Je fais partie du programme Elif et je recrute en régions. C’est une vraie opportunité pour les régions de la Tunisie. En France, on ne peut pas imaginer que seule Paris est florissante. Toutes les régions sont fortes. Ça doit être pareil en Tunisie. Des programmes comme Elif représentent une opportunité d’emploi et d’intégration professionnelle aux diplômés qui ont un bac +3 ou bac +4, tout en étant chez eux. Aujourd’hui, j’ai des collaborateurs à Siliana, Béjà… etc. Et ça, c’est aussi une opportunité.