S’il est certain que la Tunisie traverse une crise économique et sociale de grande ampleur nécessitant la mise en place de grandes réformes et programmes sur le moyen et long terme, des mesures produisant un effet significatif sur le court terme doivent également être adoptées.
En effet, aucune action de moyen et long termes ne peut être engagée sans fournir un climat social favorable et une stabilité politique durable. Ainsi, pour assurer une sortie de crise rapide de la crise économique, les pouvoirs publics sont appelés à adopter une nouvelle vision prospective, un nouveau mode d’organisation, un processus de décisions court, des procédures exceptionnelles, rapides et transparentes, qui seront à même de permettre l’obtention de résultats tangibles à court terme.
Rappelons que cette crise a entraîné un choc sévère et inédit sur l’activité économique en 2020, accentuant l’effet de dix années successives d’effondrement, entraînant ainsi une récession économique, la plus dure en Tunisie. Il s’agit à la fois d’un double choc d’offre et de demande dû aux conséquences lourdes de l’arrêt total ou partiel des activités des secteurs économiques, en particulier la perturbation des chaînes de valeur, la restriction de la mobilité de la main-d’œuvre et sur les voyages et la fermeture des frontières.
En 2021, la situation économique continue à porter la marque de la quadruple crise que continue à vivre le pays : crise sanitaire pour le seizième mois consécutif; crise politique exacerbée par les conflits d’attribution au niveau de la gouvernance politique du pays ; crise économique qui s’aggrave, de mois en mois, en raison des importants retards pris dans la mise en œuvre des grandes réformes prioritaires qu’imposent la résorption des distorsions et la libération des énergies latentes; crise sociale alimentée par la baisse du pouvoir d’achat et l’augmentation du taux de chômage.
Etat des lieux préoccupant
L’état des lieux est préoccupant, marqué par une contraction du PIB et de l’investissement, un maintien des pressions sur le marché de l’emploi et sur les finances publiques, ainsi que par une nouvelle dégradation de la cotation de la Tunisie par les agences internationales de rating hypothéquant toute possibilité de mobilisation de capitaux sur les marchés financiers internationaux à des conditions soutenables.
D’après les deux experts économiques, Zouhair El Kadhi et Férid Ben Brahim, « l’enjeu n’est pas de chercher des boucs émissaires, mais de trouver une voie de sortie face à une situation extrêmement fragile. En tout état de cause, le gouvernement actuel doit mobiliser plus de 16 milliards de dinars pour boucler son budget ».
Et d’affirmer que les perspectives économiques pour la Tunisie nous amènent à estimer que les besoins budgétaires pourraient encore s’aggraver de 3 points du PIB supplémentaires dans le cadre d’un scénario de choc impliquant un resserrement rapide des conditions financières mondiales et un retard de l’ajustement budgétaire dû à une reprise lente. « Si les banques nationales financent ces besoins inattendus, en plus du financement nécessaire prévu en 2021-2022, l’Etat absorberait 10 à 20 % supplémentaires des actifs des banques sous forme de dette publique à la fin de 2022. En conséquence, les banques publiques et privées pourraient atteindre des niveaux d’exposition au secteur public, similaires à ceux observés actuellement au Liban ». Rappelons à ce titre que le gouvernement a couvert plus de 50 % de ses besoins de financement publics bruts par des financements bancaires nationaux en 2020.
A l’évidence, la Tunisie aurait besoin d’une stratégie budgétaire et d’une gestion de la dette à moyen terme crédibles et clairement communiquées. Cette stratégie nécessitera une étroite coordination entre la politique monétaire (Banque centrale), la politique budgétaire et la réglementation du secteur financier, afin de parvenir à une vision commune de la capacité d’absorption globale des marchés financiers nationaux.
Selon les deux experts, « la Tunisie dont la marge de manœuvre budgétaire est limitée, voire inexistante, devra lancer des plans d’assainissement favorables à la croissance lorsque la crise s’estompera. Les décideurs doivent dès lors s’efforcer d’atténuer de manière proactive le risque de refinancement et de l’assèchement du marché aux acteurs privés. Les opérations de gestion du passif (telles que l’allongement des échéances) pourront améliorer les conditions de la dette à court terme et le profil de la dette à moyen terme ».
Recul de l’activité économique
Selon les données affichées dans le tableau de bord de la conjoncture économique de la Tunisie pour le mois de juin 2021, élaboré par l’AFC (Consultants financiers arabes), l’activité économique est en recul pour le cinquième trimestre consécutif. « Les -3% du 1er trimestre 2021 par rapport au 1er trimestre 2020 sont décevants. Ils remettent en cause la prévision du FMI qui était de +3,8% sur toute l’année 2021 ».
Cependant, les industries du cuir et chaussures, celles du textile-habillement et notamment les industries électriques et mécaniques et, d’une manière générale, les industries s’en sortent bien et expliquent la bonne tenue aussi du commerce extérieur pour les 4 premiers mois de 2021. Pour le secteur agricole, sa baisse provient de celle de la production d’huile qui a chuté lors de la saison 20/21 par rapport à 19/20.
Concernant le solde courant de la balance des paiements, et au terme du quatrième trimestre 2020, le déficit courant s’est amélioré atteignant 7,5 milliards de dinars (6,8% du PIB) contre un déficit de 9,6 milliards de dinars (8,5% du PIB) un an auparavant. « Cela est dû principalement à la contraction du déficit commercial ».
Par ailleurs, les flux des recettes touristiques ont cumulé 95 millions d’euros, en baisse de -58% sur un an jusqu’à fin février. Au terme des deux premiers mois de 2021, les revenus du travail (en espèces) ont totalisé 310 millions d’euros, en hausse de 5% par rapport aux réalisations de l’année précédente.
D’autres indicateurs montrent que jusqu’à fin mai 2021, les réserves de change se sont établies à 20 781 MD, soit l’équivalent de 139 jours d’importation contre 21 569 MD au même mois de l’année précédente, représentant 133 jours d’importation.
S’agissant du taux de change, le dinar s’est déprécié de 5% par rapport à l’euro au mois de mai dernier et s’est apprécié de 5,7% par rapport au dollar américain, et ce, par rapport au même mois de l’année dernière. Comparé à décembre 2020, le dinar s’est déprécié par rapport à l’euro et au dollar américain respectivement de 0,6% et 0,8%.
Pour ce qui est du taux d’inflation, il se stabilise à 5% et celui d’inflation sous- jacente se replie à 5,0% contre 5,5% le mois dernier.
Pendant les trois premiers mois de 2021, les IDE, hors énergie, ont régressé de 39,8% par rapport à la même période de 2020.
Idem pour le taux de chômage des jeunes de 15-24 ans qui a explosé au premier trimestre 2021 atteignant 40,8%. Ce taux est encore plus élevé pour les jeunes femmes dont le taux de chômage atteint presque les 42%.
En somme, la Tunisie n’a d’autres choix que de corriger les distorsions et d’entamer dans l’urgence les grandes réformes et restructurations afin de réinsuffler l’espoir d‘une relance économique sur des bases durables et inclusives dans un proche avenir.