DEPUIS les révélations fracassantes sur l’affaire des deux juges Béchir Akremi et Taïeb Rached par le Collectif de défense de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi, c’est le clair-obscur qui règne. En effet, avocats et magistrats se tirent dans les pattes. Et pour cause, l’affaire dite de «l’appareil secret du mouvement Ennahdha » traîne depuis des années dans les coulisses de l’instruction judiciaire sans aucun avancement notable.
Alors que le Collectif de défense accuse le parquet d’avoir violé le devoir de neutralité dans cette affaire et accuse Ennahdha d’être l’instigateur des deux assassinats politiques, le corps des magistrats se mure dans un silence sans fin. Pourtant, le traumatisme qui a touché la Nation tout entière lors de l’affaire Belaïd-Brahmi a atteint au premier chef le corps judiciaire.
Mais ce n’est pas la première fois que le Palais de Justice, ce cadre prestigieux et symbole de la solennité, se trouve englué dans des querelles qui mettent face à face les hommes de loi. En effet, de l’assassinat de Brahmi-Belaïd à la mise sous mandat de dépôt du candidat à la présidentielle Nabil Karoui, le pouvoir judiciaire, combien nécessaire à la marche de notre démocratie, est pointé du doigt. Car qui pourrait affirmer sans se ridiculiser que notre pays est un Etat de droit sans un réel pouvoir judiciaire?
En effet, le problème soulevé par les robes noires déborde du simple cadre d’une procédure lente à celui de l’indépendance de la justice. Car sans justice indépendante et forte, pas d’Etat de droit. C’est que sans s’écarter des querelles de ces corps de loi, il ne faut pas fuir les réalités.
Et pour que le corps judiciaire continue à dessiner l’architecture de l’Etat dont il est l’un des murs porteurs sans ruiner l’édifice tout entier, la justice ne doit pas rester une planète en orbite indéfinie autour d’un monde qui lui serait étranger. Son rôle est éminent et il est indispensable de tracer, à travers ce genre d’affaires sensibles, le chemin d’une justice rénovée digne de notre pays. Il n’y a pas de mal qu’à chaque fois où on constate un dysfonctionnement, de le dénoncer non pas pour stigmatiser l’institution judiciaire mais pour qu’elle trouve en elle-même les moyens de le résoudre. Nul besoin de mise en cause individuelle ou collective, mais il est urgent de mesurer la crise morale qui traverse l’institution. Et pour que justice soit rendue dans des conditions de délai et de sécurité juridique les meilleures, il faut que la magistrature s’interroge sur ses pratiques, son éthique. Il ne faut pas oublier que la justice — et c’est là toute sa légitimité — est rendue au nom du peuple tunisien. Le peuple est donc en droit d’exiger le sens et le respect des responsabilités de ceux qui exercent ces pouvoirs en son nom. C’est ainsi que le citoyen continuera à fréquenter la salle des pas perdus avec force conviction que justice lui sera rendue.