
Le couscous sert à clore l’année écoulée avec tous les bons et mauvais moments passés. La mloukhia incarne l’espoir d’une nouvelle année prospère.
Il existe mille et une façons de préparer le couscous, ce plat emblématique qui a fait son entrée en décembre 2020 au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Avec ses différentes recettes, au poisson, à la viande, aux légumes, le couscous est le plat national par excellence qui garnit toutes les tables, à toutes les fêtes, du nord au sud de la Tunisie.
Le jour de l’an hégirien, premier jour de l’année du calendrier musulman, ne déroge pas à la règle. Les Tunisiens célèbrent «Ras El Am» avec non pas un seul mais deux plats emblématiques : le couscous à la viande séchée (kadid) préparé la veille du jour de l’an, et, la mloukhia, un ragoût concentré à base de corète. «Le couscous sert à clore l’année écoulée avec tous les bons et mauvais moments passés. La sauce vert foncé à base de corète est de bon augure. Elle est préparée dans l’espoir que la nouvelle année soit prospère», analyse le célèbre chef tunisien Bilel Wechtati, membre de l’association tunisienne des professionnels de l’art culinaire, joint par La Presse.
La cuisine tunisienne a les atouts pour percer
La viande séchée provient traditionnellement du mouton de l’Aïd al-adha qui a eu lieu le 10 dhou el hajja, dernier mois de l’année musulmane. Selon les anthropologues, ce choix a une signification symbolique et s’inscrit dans le système de pensée de la société musulmane. «Cette viande séchée est chargée de baraka qui émane du sacrifice de l’Aïd al-adha. Elle témoigne de la piété des sacrificateurs et de leur soumission à la volonté de Dieu et rappelle aussi l’alliance entre Dieu et les croyants, entre Allah et son ami Ibrahim ». La consommation de la viande le jour de Ras al-ām place la nouvelle année sous la protection divine, explique encore l’anthropologue Hamida Trabelsi Bacha, dans son article «Ras al-am et Achoura : deux fêtes carnées en Tunisie dans leur rapport aux rituels».
Quant à la cuisine tunisienne, elle est connue pour ses saveurs gourmandes et pour la richesse de son terroir, le brik et l’harissa ont conquis le monde. Mais la cuisine nationale n’a pas su se faire une place dans la gastronomie mondiale, faute d’innovations, notamment en matière de dressage et de présentation. « Il y a un manque à gagner au niveau de la documentation et de l’innovation. La cuisine tunisienne a tous les atouts pour percer et être bien placée sur la scène gastronomique mondiale », regrette le chef cuisinier. « Des efforts sont déployés dans l’objectif de faire évoluer la cuisine tunisienne », finit-il par nuancer.
La corète trouve son origine dans l’Egypte antique. Les Pharaons interdisaient sa consommation parce qu’on la croyait toxique. «Aujourd’hui, la recette au Moyen-Orient, et notamment en Egypte, diffère de la nôtre. Les Égyptiens procèdent à la cuisson des feuilles fraîches et émincées dans un bouillon de poulet ou de lapin, assaisonnées principalement de romarin. Notre façon de cuisiner la corète est très différente et franchement de loin plus gouteuse. Grâce aux différentes épices, à l’huile d’olive ainsi qu’au mode de cuisson, la mloukhia tunisienne est savoureuse», s’amuse à comparer le très médiatisé chef Bilel.
Si le couscous sert donc à clore une année bonne ou mauvaise, on prête à la mloukhia des vertus indéniables de porte-bonheur. Une croyance devenue une tradition culinaire adoptée par les familles tunisiennes, qu’elles soient pratiquantes ou pas.