La dissolution du bureau exécutif du parti est considérée comme une nouvelle manœuvre dilatoire visant à gagner du temps, calmer les contestataires et éviter une nouvelle vague de démissions. Le prochain congrès, prévu à la fin de cette année, n’est plus le cadre propice pour la résolution des conflits internes qui secouent le parti. Les langues se sont déliées et l’ancienne équipe du parti, avec à sa tête son président, n’est plus la bienvenue.
Si le président du parti, Rached Ghannouchi, vient d’annoncer la dissolution de la plus haute instance décisionnelle, à savoir son bureau exécutif, en vue de sa recomposition, c’est que rien ne va plus au sein de ce mouvement islamiste. Les jours de l’éternel président du parti sont comptés d’autant plus que l’artisan du 25 juillet dernier vient de prolonger «jusqu’à nouvel ordre» le gel du parlement. La position du dirigeant Abdellatif Mekki vient par ailleurs confirmer cette thèse. Ce dernier a franchi le Rubicon en pointant du doigt sur les ondes d’une radio privée l’autoritarisme de Ghannouchi. Un autoritarisme qui n’a pas pris en considération les multiples critiques à son égard et la démissionite qui a sévi au sein des différentes structures du parti. Demain ne dépendra plus que de son vieux président et son cercle fermé pour Ennahdha mais des jeunes qui montent de plus en plus au créneau.
Silence perturbé du palais
Ghannouchi entretient le flou sur son départ pourtant tant souhaité par la majorité des observateurs politiques. Il feint d’ignorer qu’il est à l’origine de la crise par laquelle passe le pays. Obnubilé semble-t-il par le pouvoir, ce dernier botte toujours en touche en «remerciant» dans son récent communiqué les membres de son bureau exécutif, tout en les appelant à «maintenir leurs fonctions jusqu’à la formation du nouveau bureau exécutif». La commission de gestion de la crise politique poursuivra sa mission sous la présidence d’un de ses farouches alliés, en l’occurrence Mohamed Goumani (ancien membre du Parti démocratique progressiste de Ahmed Nejib Chebbi au temps de Ben Ali), en vue de contribuer à faire sortir le pays de la situation exceptionnelle actuelle.
La dissolution du bureau exécutif répond aux appels des membres du mouvement, a par ailleurs expliqué Goumani, sans pour autant dévoiler les réelles raisons qui ont conduit à ces appels. Le silence du palais est toujours respecté par les «proches» du président du parti à Montplaisir mais non par les «turbulents» jeunes du parti qui l’ont brisé et ont préféré démissionner de leurs postes, notamment au sein du Conseil de la Choura et même du bureau exécutif, dont le jeune Khalil Barhoumi. Ce dernier n’avait pas hésité, dans une déclaration aux médias, à souligner que plusieurs membres dudit parti n’ont pas toujours saisi le changement observé après le 25 juillet dernier et à critiquer l’attitude de la classe politique post-révolution.
Ghannouchi refuse de jeter l’éponge
Rached Ghannouchi navigue contre vents et marées et ne semble pas conscient des écueils qui menacent son avenir proche en dépit des alertes et de la gravité de la situation. De l’obstination aveugle mais aussi violente eu égard aux récentes réactions de certains dissidents et dirigeants du parti. A ce titre, le démissionnaire du parti Zoubeir Chehoudi a qualifié la décision de dissoudre le bureau exécutif d’un pas en arrière car elle assure le maintien de Rached Ghannouchi à la tête du parti. Cette décision reflète l’absence de volonté réelle en vue de réaliser de profonds changements et déloger l’ancienne équipe dirigeante, a-t-il ajouté.
Manœuvre dilatoire où réelle volonté d’agir pour réaliser de profondes réformes? Il s’agirait plutôt d’une énième fuite en avant malgré la poursuite du déclin électoral du parti depuis la révolution et l’impopularité grandissante de son président et son noyau dur. La décision de dissoudre le bureau exécutif tout en invitant ses membres à rester en poste ne peut que confirmer que Rached Ghanouchi et ses «faucons» n’ont pas l’intention de lâcher prise. Elle a été dictée par l’évolution générale de la situation dans le pays après le 25 juillet et par celle qui prévaut au sein du parti Ennahdha. Elle a été précipitée par la démission imminente de plusieurs autres dirigeants, comme le souligne par ailleurs Samir Dilou, signataire de la pétition appelant Ghannouchi à respecter les règles intérieures du parti. Ce dernier a salué la décision en question mais l’a qualifiée de tardive.
Au-delà de cette décision, le président du parti n’est-il pas pris dans l’étau de puissances et mouvances régionales, l’acculant à ne pas faire marche arrière et persévérer dans le bras de fer avec le locataire de Carthage dans l’espoir d’un fort soutien étranger et notamment de la Maison-Blanche ? La question mérite réflexion.
Que d’erreurs et de versalité et d’alliance contre-nature ayant contribué à faire tomber le parti dans le discrédit et pousser les Tunisiens à abhorrer les politiques sous le dôme de l’hémicycle. Aujourd’hui, la dissolution du bureau exécutif n’est pas de nature à décrisper la situation. Ennahdha a d’ores et déjà perdu la face. Un remake qui nous rappelle le RCD dissous. Les mêmes erreurs conduisent à la même fin. Pour Rached Ghannouchi, il est temps de faire son mea-culpa et de ressentir l’amère tristesse de l’irréparable car rien ne sera plus comme avant. La démissionite s’est aussi emparée des alliés du parti (Qalb Tounes et Al-Karama) et le chemin du retour à l’ARP n’est plus possible.