Accueil A la une Fer de construction : Qui a permis l’émergence de cartels ?

Fer de construction : Qui a permis l’émergence de cartels ?

Au mois de mars seulement, les fabricants ont exigé une augmentation à hauteur de 15% du prix du fer. Il était prévu que l’ancien gouvernement  approuve cette augmentation. Sauf que les récents événements politiques sont venus bouleverser la donne.

Le Président de la République vient de déclarer une guerre sans merci contre les spéculateurs de tous bords. La descente qu’il a effectuée le 28 août dans une usine située au gouvernorat de Zaghouan en est la parfaite illustration. Kaïs Saïed a promis une lutte acharnée contre les phénomènes de monopole et de spéculation visant à dominer, cette fois-ci, le marché du fer. Et là encore, la présence de 31 mille tonnes de fer découvertes dans le dépôt ne peut être justifiée par les explications décousues présentées par le propriétaire. Il s’agirait, selon ses dires, d’un malentendu. Rien de plus!! Le Conseil de la concurrence (instance judiciaire indépendante) ne semble pas l’entendre de cette oreille. L’Etat se trouve bel et bien face à ce qui semble être un cartel. Le bras de fer entre les autorités et les spéculateurs de ce métal devenu précieux, compte tenu de son prix sans cesse croissant et de sa rareté sur le marché, ne fait que commencer. Une enquête est ouverte portant sur la pénurie de plusieurs produits sur le marché dont le fer.   

Qui décide au final de la hausse des prix ?

Si la régulation des prix du fer de construction est du domaine de l’Etat, il est vrai aussi que la «main invisible» des propriétaires des usines est en mesure d’influencer directement les prix à travers des pressions traduites en pénuries provoquées, nous informe une source autorisée du ministère du Commerce. En cas de refus de l’Etat de céder à leurs pressions, c’est la crise. Et les magasins de vente et de stockage de se vider comme par enchantement. Le prix du fer de construction a connu donc plusieurs augmentations ces dernières années, en l’absence d’organe gouvernemental susceptible de déterminer si les taux d’augmentation étaient proportionnels ou pas au marché mondial et au coût de production, révèle à son tour l’ONG Tunisia Produces.

Le taux des augmentations observées au cours de cette décennie a dépassé les 100% ! Au mois de mars seulement, les fabricants avaient exigé une augmentation à hauteur de 15% du prix du fer. Il était prévu que l’ancien  gouvernement  approuve cette augmentation. Sauf que les récents événements politiques sont venus bouleverser la donne. Aussi, les fabricants se sont-ils abstenus de vendre le fer sur le marché, impactant sévèrement  le secteur du bâtiment, des travaux publics et les grands projets, ajoute la même ONG.  Dans ce contexte, le représentant de Tunisia Produces a insisté sur la nécessité de créer des mécanismes de contrôle et de gestion à même d’organiser le  marché dans le sens de la compétitivité et surtout de la transparence.

Pour rappel, les multiples augmentations du prix de fer de construction avaient suscité le courroux de la Chambre syndicale des entrepreneurs de bâtiment et travaux publics. La partie syndicale avait exprimé son profond  mécontentement, appelant  les autorités à agir rapidement et à revoir ces augmentations récurrentes. Elle a plaidé en faveur de mesures appropriées pour «sauver un secteur qui souffre de grandes difficultés».  A cet effet, le secrétaire général adjoint et porte-parole de l’Union générale tunisienne du travail (Ugtt), Sami Tahri, avait proposé un nouveau plan pour dépasser cette systémique. Il a préconisé une aide au profit de la Société tunisienne de sidérurgie (communément appelée El Fouladh) qui fait face actuellement à d’énormes difficultés financières, pour qu’elle puisse s’acquitter de son rôle d’approvisionnement du marché, et couper ainsi l’herbe sous les pieds des spéculateurs. La fermeté est également requise à l’égard de ces derniers qui profitent des difficultés de l’entreprise publique et du vide occasionné. Contrer la mafia de la ferraille (matière première pour la fabrication de billettes) est une autre option qui se présente. D’où l’appel du syndicaliste à la monopolisation du secteur par l’Etat.

Le ministère du Commerce aurait-il failli à son rôle d’arbitrage ?

Les barons du fer de construction n’ont pas mis longtemps pour accuser les entrepreneurs du bâtiment d’être derrière la campagne antispéculation menée par le locataire de Carthage en personne. Lors de ses sorties médiatiques, le propriétaire de l’usine de Bir Mchergua a  balayé d’un revers de main toutes les accusations de spéculation lancées à son encontre.

«On travaille dans la légalité et une totale transparence sur le marché local et avec la Libye et bien d’autres pays», a-t-il martelé. Pour les entrepreneurs, ces propos sont difficiles à croire. Il s’agit, selon eux, d’un cas flagrant de spéculation, visant à faire pression sur l’Etat pour augmenter encore et encore le prix du fer. Comme précédemment cité, le président du Conseil de la concurrence, Ridha Ben Mahmoud, a déclaré l’ouverture d’une enquête portant sur un nombre de produits et matières en  pénurie ou ayant connu une hausse fulgurante de prix, au point de susciter l’inquiétude des citoyens, le déséquilibre entre l’offre et la demande, comme c’est le cas pour le fer de construction .

Il a affirmé selon la TAP que dans le cadre de ses prérogatives, le Conseil s’engage à spontanément ouvrir des enquêtes, sans attendre les requêtes exprimées par les victimes, ou par les autorités concernées et les organisations professionnelles. Les matières et les produits qui connaissent un déséquilibre, tant au niveau de la production que de la distribution, visent à créer une situation monopolistique. Ben Mahmoud a souligné l’impact des pratiques illicites sur le rythme d’approvisionnement du marché, notamment pour les viandes blanches et le fer destiné à la construction. Il n’a pas écarté l’implication, à grande échelle, de sociétés actives dans le secteur du fer. «Le cartel dont on parle est constitué de huit entreprises dont deux grandes», précise Faouzi Ben Abderrahman, ancien ministre de la Formation professionnelle et de l’emploi, selon un statut publié sur les réseaux sociaux. L’objectif étant de créer une pénurie en matière de fer de construction pour faire pression sur le ministère du Commerce et le pousser à augmenter les prix de vente (estimé à 12 %) et la marge bénéficiaire. La question qui se pose est la suivante : qui a favorisé ces pratiques ? L’Etat et le ministère du Commerce ont, semble-t-il, failli à leur devoir en matière d’arbitrage, de contrôle et de régulation des prix. Affaire à suivre.

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