Depuis 2011, la crise économique en Tunisie n’a fait que s’aggraver. La crise sanitaire du covid-19 et ses conséquences économiques détériorent encore plus les conditions de vie rendues de plus en plus difficiles pour une grande partie de la population tunisienne. Alors que le pays fait face à de fortes contestations sociales, le remboursement de sa dette extérieure continue de confisquer des ressources nécessaires à sa reconstruction économique. La Tunisie a été contrainte d’accepter les conditions imposées par ses créanciers, qui réduisent de plus en plus ses marges de manœuvre pour répondre aux défis sociaux et économiques du pays. Le pays est enfermé dans la spirale de l’endettement.
En effet, entre 2011 et 2019, la Tunisie a vu sa dette extérieure publique passer de 15 milliards de dollars à 23,9 milliards de dollars, soit une hausse de 20,9 %. Elle est passée de 40 % du PIB en 2011 à 73 % en 2019, dépassant les 90 % du PIB en 2020. Ce quasi doublement du ratio dette/PIB est la conséquence d’une hausse de l’endettement, d’une part, et d’une diminution du PIB, d’autre part. Cette hausse est aussi due à la dépréciation du dinar, dont l’impact a engendré une hausse de l’encours de la dette par rapport aux principales devises composant le portefeuille de la dette extérieure, à savoir l’euro et le dollar. Ces deux devises représentaient, en 2018, plus de 82 % du total de la dette publique extérieure, dont 52 % en euros et 30 % en dollars.
Depuis de nombreuses années, le portefeuille de la dette publique extérieure se caractérise par la dominance de l’euro. Cela marque l’importance de la dépendance économique de la Tunisie vis-à-vis des pays de l’Union européenne, puisque cette dernière est le premier partenaire commercial de la Tunisie.
Cette dépendance laisse peu de marge de manœuvre à la Tunisie notamment dans les négociations actuelles avec l’Union européenne pour un accord de libre-échange complet et approfondi (Aleca), un accord qui, tel qu’il est actuellement conçu, aurait pour effet d’accroître la dette et le déficit commercial de la Tunisie, tout en donnant plus de pouvoir et de rente aux grandes entreprises européennes.
Quant au Fonds monétaire international (FMI), il estime que la dette tunisienne reste soutenable à condition d’appliquer des plans de réformes.
Dette des entreprises publiques
Au cours de l’année 2019, le ministère des Finances a conclu 12 accords de prêts avec les Entreprises publiques pour un montant global de 116.6 millions de dinars contre 9 accords de prêts en 2018 dont la valeur est égale à 97.9 MD. Quant à l’année 2017, elle a présenté une année exceptionnelle avec la conclusion de 15 accords de prêts pour un montant total de 715.6 millions de dinars. Cela est dû, essentiellement, à la conclusion de trois accords de rétrocession à savoir : la rétrocession du crédit du Fonds koweïtien pour le développement économique arabe (Fkdea) au profit de la Société Nationale d’exploitation et de distribution des eaux (Sonede) dont le montant est de 22 millions de dinars koweïtiens, la conclusion d’une convention de rétrocession du prêt accordé par le Fonds saoudien de développement au profit de la Steg d’un montant de 483.75 millions de ryals saoudiens, et l’octroi d’un crédit du budget de l’Etat à la Banque Tunisienne de Solidarité (BTS) d’un montant de 125 M.D.
Le ministère des Finances a également conclu 11 accords de prêts au cours des six premiers mois de 2020, pour une valeur de 94.7 millions de dinars.
En 2019, le montant des recouvrements des échéances, au titre des crédits accordés aux Entreprises publiques, a atteint 176.5 MD (dont 158.3 MD en principal et 18.2 MD en intérêts), soit une évolution de 12,4 % par rapport à 2018 (156.97 MD dont 137.99 MD en principal et 18.98 en intérêts) et 31 % par rapport à 2017 (119.3 MD dont 102.9 MD en principal et 16.4 MD en intérêts). Les recouvrements réalisés au cours des six premiers mois de 2020 ont atteint 13,7 millions de dinars. A la fin 2020, le volume des recouvrements était d’environ 70 millions de dinars. Cette forte baisse des recouvrements en 2020 est due aux répercussions de la pandémie du coronavirus sur l’activité économique en général et sur la situation financière des entreprises publiques
Les arriérés sur les prêts accordés aux entreprises publiques ont enregistré une légère augmentation de 4% pour atteindre 855,7 MD à fin 2019 contre 818.5 MD en 2018, moyennant une augmentation de 17% par rapport à l’année 2017 (701 MD).
La baisse du rythme d’accroissement de la valeur des arriérés sur les prêts accordés aux entreprises publiques à la fin de 2019 est expliquée par le rééchelonnement de ces arriérés relatifs à certains établissements à l’instar de l’Onas, Tunisair et la Sncft pour des montants respectifs de 71,3 MD, 2,4 MD et 11,7 MD.
Les arriérés de prêts accordés sur les ressources des fonds spéciaux du trésor (fonds de restructuration des entreprises à participation publique) sont restés stables au cours des trois dernières années 2017 à 2019, dans la limite de 31 millions de dinars, du fait que ce type de prêt est accordé aux établissements publics en liquidation ou en restructuration, ce qui représente environ 3,6% du total des arriérés des prêts accordés aux entreprises publiques.
Suite à l’accumulation des arriérés d’un certain nombre d’entreprises publiques, l’Etat fait recours au rééchelonnement de ces arriérés sous la forme de nouveaux crédits avec de nouveaux échéanciers. Mais malgré les efforts de l’Etat pour alléger le fardeau de leur endettement, ces entreprises souffrent d’un déficit structurel ne permettant pas de respecter les nouvelles échéances et, en conséquence, les arriérés sont restés stationnaires passant de 111,3 en 2017 à 97,1 MD en 2018 puis à 92,2 MD en 2019.
Répercussions de la pandémie covid-19 sur la dette
La crise liée à la pandémie du coronavirus et ses répercussions financières et économiques ont aggravé le déficit budgétaire et le fléchissement des ressources propres de l’Etat. Elle a pesé lourdement sur le portefeuille de la dette publique, surtout avec la prise d’une panoplie de mesures exceptionnelles qui ont eu des retombées sur les finances publiques et les équilibres globaux, traduites par une augmentation de l’encours de la dette publique atteignant 80 % du PIB fin de 2020. Face à la prédominance de la part de la dette publique extérieure sur le portefeuille de la dette et la difficulté de mobilisation de ressources extérieures supplémentaires sur les marchés internationaux, l’Etat a continué de faire recours à la dette intérieure pour avoir les ressources nécessaires pour faire face à la pandémie. Dans ce cadre, les tirages effectués sur des ressources d’emprunts intérieurs ont atteint 4124 MD au cours du premier semestre de l’année 2020 contre 2400 MD prévu par la loi des finances pour toute l’année.
Réformes structurelles
L’état d’incertitude persiste sur l’impact de la pandémie du coronavirus sur les finances publiques, par conséquent le recours à des réformes structurelles demeure un élément essentiel pour relancer l’économie, promouvoir les investissements et assurer la soutenabilité de la dette publique.
L’encours de la dette, qui est passé de 28 778,9 MD en 2011 à 82 554,4 MD en 2019 surtout dans le contexte d’une conjoncture économique difficile aux niveaux national et mondial, a conduit à un indice élevé des risques liés au refinancement se traduisant par la difficulté de mobiliser des ressources de financement intérieures due à la faiblesse de l’épargne nationale. La difficulté réside, également, dans la mobilisation de ressources de financement extérieures expliquée par la baisse de la notation du risque souverain de la Tunisie, ce qui a impacté le coût du financement (hausse des taux d’intérêts) et la période de remboursement. Cette situation augmente les pressions sur le Trésor public pour mobiliser les ressources nécessaires au financement du budget de l’Etat au moindre coût et risque, et ce, afin de maintenir le taux d’endettement dans un niveau acceptable et assurer sa soutenabilité. D’où le besoin urgent de développer les mécanismes de la dette publique dans ses aspects institutionnels et législatifs ainsi qu’en termes de soutien du potentiel humain et des méthodes de travail pour se conformer aux normes internationales. Cela rentre dans le cadre du programme de réforme des finances publiques comprenant la révision de la loi organique du budget et la préparation du nouveau système comptable de l’Etat. Cette réforme constitue en outre l’une des recommandations des instances financières nationales et internationales. La modernisation de la gestion de la dette a été incluse dans ce programme de réforme.
Le programme de réforme renferme aussi le projet de création de «l’Agence Tunisienne du Trésor» ayant une autonomie légale et financière avec le contrôle de l’Etat sur son activité. Elle bénéficie d’une autonomie dans la détermination de la stratégie d’endettement et une autonomie de décisions sur la gestion des ressources humaines et l’exécution des opérations bancaires.