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LES CHUCHOTIS DU MARDI | Les coups d’Etat, une histoire soudanaise

Crédit: © Emad Hajjaj  (Source : @EmadHajjaj / Twitter / alaraby.co.uk)


Par Abdel Aziz HALI

Coup d’arrêt pour la transition démocratique au Soudan.

L’armée soudanaise sous le commandement du général Abdel Fattah al-Burhane —  président du Conseil de souveraineté — a dissous, le lundi 25 octobre 2021, les autorités de transition et décrété l’état d’urgence, alors que des tirs nourris à Khartoum ont déjà tué trois personnes et blessé 80 autres parmi les manifestants pro-démocratie.

Au moins cinq hauts responsables du gouvernement soudanais ont été arrêtés, dont le Premier ministre civil, Abdallah Hamdok.

En effet, depuis le 1er janvier 1956, date de l’indépendance de ce pays africain et membre de la Ligue arabe, les Soudanais ont connu une multitude de coups d’État et de putschs militaires.

Au total, sous la férule des forces armées et des mouvements islamistes, ce pays pauvre d’Afrique de l’Est a connu six coups d’État réussis et une tentative réprimée dans le sang en 1971.

L’histoire des Soudanais avec le renversement du pouvoir de façon illégale et brutale commence le 17 novembre 1958 sous la direction du major-général Ibrahim Abboud. Profitant des dissensions croissantes au sein du parlement et d’une détérioration de l’économie, les militaires se substituent à l’administration civile. Abboud dissout les partis politiques et proclame l’état d’urgence [1].

Onze ans plus tard, inspirés par le «mouvement des officiers libres» en Égypte et leur putsch du 23 juillet 1952 qui renversa le roi Farouk, le 25 mai 1969, un groupe d’officiers sous le commandement du colonel Gaafar Mohammed Nimeiri s’empare du pouvoir politique. Toutes les institutions et organisations politiques existantes sont abolies et la «République démocratique du Soudan» fut proclamée, le Conseil de commandement de la révolution (CCR) étant investi de l’autorité suprême [2].

Le 19 juillet 1971, le tout-puissant colonel Nimeiri fit face à une tentative de coup d’Etat préparé par des officiers alliés au Parti communiste soudanais. Soldé par un échec, ce changement de régime donna lieu à de violentes représailles et à une sanglante purge des éléments gauchistes au sein de l’armée et du gouvernement. Ce coup manqué a eu des répercussions sur les relations avec l’ex-Union soviétique. D’ailleurs, Nimeiri n’est pas allé par quatre chemins pour accuser le Kremlin de complicité [3].

Dans la foulée, en octobre, un référendum confirme la nomination du nouveau leader,  le colonel Gaafar Mohammed Nimeiri comme président de la République [3]. Le CCR est dissous et un nouveau gouvernement voit le jour.

Durant plus de quatorze ans, après une série de grèves généralisées et de manifestations provoquées en grande partie par des augmentations du prix des aliments, le 6 avril 1985 [1] — pendant qu’il était en visite aux Etats-Unis — Nimeiry fut renversé par un coup d’État pacifique mené par une junte militaire dirigée par le général Abdel Rahman Siwar al-Dhahab [2].

Le nouveau maître du pays, le général et chef d’état-major des forces armées Abdel-Rahman Siwar el-Dhahab, nomme un Conseil militaire de transition (CMT) pour gouverner le Soudan, et promet le retour à un gouvernement civil après un an [2]. En vertu des dispositions de la Constitution provisoire du CMT d’octobre 1985, de nombreux groupes politiques voient le jour et se préparent en vue des prochaines élections générales [4].

Le règne Abdel-Rahman Siwar el-Dhahab fut de courte durée. Le  6 mai 1986, Ahmed al-Mirghani prend la relève  et devient président du Conseil suprême (chef de l’État). Associé aux formations politiques, le Parti Oumma de Sadek el-Mahdi (chef du gouvernement), le Parti démocratique unioniste (PDU) et le Front national islamique (FNI) [1][3][5][6][7], la parenthèse démocratique fut émaillée par la famine qui sévit dans la région depuis 1986 [8].

Quelque 250 000 Sud-Soudanais sont morts de malnutrition et de maladies connexes en 1988 [8]. Des milliers de Shilluks, de Dinkas et de Nuers quittèrent la région du Haut-Nil pour Kosti et Khartoum. On rapporte qu’en mars 1989 deux millions de Sud-Soudanais — soit une personne sur cinq ou six — sont déplacés [9]. De ce nombre, plus d’un million vivaient à Khartoum ou dans les environs. Bien qu’on attribue la famine à la sécheresse, aux inondations et aux infestations d’insectes, des observateurs soulignent qu’elle est due principalement aux politiques de la «terre brûlée» et du refus d’assistance préconisées par le régime, y compris les milices et les forces paramilitaires, et l’Armée populaire de libération du Soudan (APLS) [10].

Ce pourrissement de la situation incita, le 30 juin 1989, le lieutenant-général Omar Hassan el-Béchir à confisquer le pouvoir lors d’un coup d’Etat pacifique et instituer le Conseil de commandement de la révolution de salut national (CCRSN) [6][8].

Composé de 15 membres, le conseil suspend la constitution provisoire de 1985 et commence à gouverner par décret, notamment le Décret constitutionnel numéro 2 qui impose l’état d’urgence dans tout le Soudan. Les partis politiques, les syndicats, les associations non religieuses et la presse sont interdits, et des centaines d’opposants politiques au gouvernement sont jetés en prison. [11] La sympathie d’Hassan el-Tourabi et du FNI à l’égard du nouveau régime devient rapidement évidente au moment où plusieurs membres dirigeants de ce dernier sont nommés à des postes clefs au sein du gouvernement. Un nouveau service de sécurité, issu de l’appareil de sécurité du FNI d’avant le coup d’Etat, est mis sur pied et doté de membres du FNI. Le nouveau service de sécurité prendra le nom de «Sûreté islamique» ou «Sûreté de la révolution», et sera le principal organisme responsable des arrestations massives et de la torture qui surviendront au lendemain du putsch [12][13].

Après 30 années de dictature islamiste sous le cachet de la «République fédérale islamique du Soudan», à l’aube du 11 avril 2019, les forces armées soudanaises destituent l’autocrate Omar el-Béchir sous la pression d’une mobilisation de masse. L’armée soudanaise dissout le gouvernement ainsi que le Parlement et annonce un état d’urgence de trois mois, suivi d’une période de transition de deux ans.

Aujourd’hui, alors que les Soudanais attendaient impatiemment les premières élections libres fin 2023, le pays replonge dans les incertitudes des coups d’État militaires pour faire un grand saut dans l’inconnu et (re)ligoter la région dans le carcan des régimes forts à connotation autocratique voire dictatoriale.

Comme quoi, la démocratie au pays de Muhammad Ahmad ibn Abd Allah Al-Mahdi n’est qu’une chimère aussi grotesque que le mythe du monstre du Loch Ness en Écosse.

A.A.H.


Références :

[1] – Africa South of the Sahara 1990 1989, 953; Holt et Daly 1988, 170-171

[2] – Europa 1992 1992, 2544

[3] – Holt et Daly 1988, 198-199

[4] – Halasa et al 1986, 43-47

[5] – The Economist Intelligence Unit 1988, 9-10

[6] – Middle East Report sept.-oct. 1991a, 6

[7] – Woodward 1990, 207

[8] – Africa Watch mars 1990, 103

[9] – Middle East Report sept.-oct. 1991b, 12

[10] – USCR août 1990, 14-16

[11] – Amnesty International 19 févr. 1993, 5

[12] – Article 19, avr. 1991, 1

[13] – Jeune Afrique 4-10 févr. 1993, 25


 

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