Après la découverte des malversations relatives à l’octroi d’autorisations d’exploitation de lignes de taxis collectifs dans le gouvernorat de La Manouba, il n’y a plus de doute. Le secteur du transport en général, et public en particulier, est, bel et bien, visé. Nous n’avons jamais cessé de le signaler depuis longtemps en disant qu’il y a une vraie menace qui pèse sur lui. Mais tous les faits alarmants que nous avons signalés sont tombés dans l’oreille d’un sourd.
Depuis 2011, le secteur n’a cessé de dégringoler. Un travail de sape souterrain est, depuis lors, mené par des parties qui ne manqueront pas d’être démasquées. Si, bien sûr, on prend les choses au sérieux une bonne fois pour toute. A plusieurs reprises nous avons appelé à impliquer la justice dans les nombreuses affaires qui ont défrayé la chronique mais il n’y a eu aucun écho. Pourtant, la répercussion de certaines affaires ou actions subies par les moyens de transport méritent bien l’intervention de la justice et l’application stricte de la loi. Particulièrement quand ce secteur court de gros risques.
Les faits révélés par les sources judiciaires en charge de l’affaire parlent de l’implication de hauts responsables du gouvernorat de La Manouba dans l’octroi de plusieurs dizaines de permis d’exploitation de taxis collectifs entre 2011 et 2019. Signalons, par ailleurs, que cette mesure permet au titulaire de bénéficier de plusieurs avantages fiscaux.
Fausse route
A priori, il faut attendre que la justice tire l’affaire au clair pour mieux appréhender la réalité de ce qui se passe dans un tel domaine qui touche au développement du pays et à la vie quotidienne du citoyen. On comprend, donc, mieux la désorganisation ambiante et la dégradation des services. Aujourd’hui, on a l’impression qu’il n’y a personne à bord pour mener la barque de ce département crucial et stratégique. En effet, on ne peut pas admettre que le laisser-aller puisse continuer et ne réagir que tardivement, juste pour apporter des solutions qui ne sont autres que du replâtrage. Les accidents, les faits et scandales, les affaires de corruption découverts au cours de ces dernières années n’ont pas eu le suivi escompté. Au moment d’en parler, on fait un grand tapage et, immédiatement après, on tourne la page en attendant le drame ou le scandale suivant.
Malheureusement, ce qui se trame autour du secteur du transport continue sans cesse au vu et au su des responsables qui se sont succédé à la tête du ministère. Incapacité ou complicité ? C’est à la justice d’établir la vérité si toutefois la justice se décide à s’emparer de ce dossier complexe et brûlant.
Pour se rendre compte de la gravité de la situation, ces responsables auraient dû établir un vrai diagnostic et prendre les mesures adéquates pour résoudre les difficultés quotidiennes auxquelles sont confrontés les utilisateurs du transport public. Ainsi, au lieu de rénover, par exemple, les gares de la ligne TGM (qui ne sont pas en si mauvais état) on aurait mieux fait d’accélérer l’acquisition des nouvelles rames programmées depuis belle lurette. C’est mieux que de dépenser des millions de dinars pour des constructions qui ont été, immédiatement, vandalisées. La station du Bac, sur la ligne TGM, n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. C’est pourquoi on se demande si, vraiment, les décideurs concernés maîtrisent bien leurs dossiers ou connaissent bien les priorités. A notre sens, et au sens de tous les usagers de la ligne de la banlieue nord, la priorité ce sont les nouvelles rames et non pas ces opérations «d’embellissement». On ne met jamais la charrue avant les bœufs !
Trop de dépassements et d’abus sont à signaler au point que l’on peine à les recenser. Et, au point que l’on désespère d’arriver un jour à se faire entendre.
Aussi, demanderions-nous, avec la plus grande insistance, au ministère du Transport de prendre le taureau par les cornes et d’affronter énergiquement tout ce qui est de nature à le détourner des vraies préoccupations.
Ce qui est le plus important, à l’heure actuelle, ce ne sont pas des opérations de publicité ou de propagande stérile. Les discours creux sur de supposés efforts pour améliorer les services de tel ou tel opérateur de transport public ne trompent plus personne. Car, sur le terrain, la situation est catastrophique. Ces responsables, qui sont prompts à répondre favorablement aux invitations des médias pour se vanter de leurs réalisations, feraient mieux de se rendre à l’évidence et de remettre les pieds sur terre. Certes, ils invoquent toujours la mauvaise situation économique du pays et l’état financier catastrophique de leurs entreprises, mais oublient qu’ils ont leur part de responsabilité.
Complicité ?
En vérité, le simple citoyen peut relever toutes ces coïncidences dont certaines ont été signalées dans un de nos précédents papiers. Une autre coïncidence se rapporte, justement, au développement très rapide du nombre des taxis collectifs sur les trajets desservant Tunis et le gouvernorat de La Manouba. En effet, de 953 véhicules en 2009, la flotte des taxis collectifs est passée à 2.383 en 2017. Le fait que le scandale se soit déclaré dans ce gouvernorat n’est pas fortuit. Il y aurait lieu de faire des rapprochements et d’établir des recoupements avec d’autres faits pour se convaincre qu’il y a anguille sous roche. Les usagers qui habitent la banlieue Nord-Ouest de la capitale subissent quotidiennement des contraintes dans leurs déplacements. Ils savent, tous, que les bus de l’opérateur public sont très insuffisants et qu’ils se font rares chaque fois que c’est nécessaire. Par contre et, par hasard, c’est le secteur privé qui s’investit avec force. Aussi se voit-on obligé d’emprunter soit un bus de transport privé ou un des nombreux taxis collectifs qui sillonnent la zone à longueur de journée comme de nuit. La demande en transport dans cette région à forte densité crée de multiples problèmes aux habitants de ces zones et leur donne du fil à retordre lorsqu’ils ont besoin d’aller dans la capitale.
Un autre recoupement très intéressant à faire, ici, concerne le blocage de la ligne E du RFR au niveau du Bardo. C’est là que les honnêtes Tunisiens que nous sommes s’interrogent sur les vrais tenants et aboutissants d’une situation qui n’a que trop duré. En apparence, on a une soi-disant société civile qui s’oppose au passage de ce futur réseau par la ville pour des raisons «esthétiques». Prétexte: la ville sera divisée en deux ! Que dire, alors, de la ligne de la banlieue sud de la Sncft qui traverse un axe allant de Tunis à Borj Cedria? Ne coupe-t-elle pas plusieurs agglomérations comme Ezzahra, Radès, Hammam-Lif, etc.? A-t-elle défiguré ces villes ? A-t-elle empêché les riverains de vaquer à leurs affaires ? Alors, ceux qui défendent ces points de vue ne devraient-ils pas réviser leurs positions et tenir compte de l’intérêt général de ces centaines de milliers de citoyens qui pourraient bénéficier de cet axe ferroviaire ? Les quelques boutiques, études ou bureaux appartenant à des professions libérales situés sur l’itinéraire vont-ils perdre leur clientèle avec la réalisation de cette ligne ? Il faut voir dans de grandes agglomérations de pays développés que de tels moyens de transport cohabitent et s’intègrent facilement dans le paysage urbain. Bien plus, ils lui donnent un regain de dynamisme économique.
Avec la persistance dans ces positions radicales, le simple observateur ne peut que se résigner à faire des liens entre l’obstination de certains à nuire au pays et à la réalisation des grands projets. Les habitants du Bardo qui sont opposés au passage de cette ligne du RFR peuvent être de bonne foi. Mais vu la situation actuelle de blocage engagée par ceux qui ne veulent pas que le pays se modernise, ils peuvent devenir, à leurs insu, objet de suspicion.
Une question cruciale se pose, en fin de compte. Pour qui roulent-ils ceux qui encouragent le transport privé au détriment du public ? A qui profite le blocage obstiné de la ligne E du RFR ? Espérons qu’un jour, la justice réussira à tirer les choses au clair et à mettre chacun devant ses responsabilités. Car c’est là la clé du mystère.