Une décennie après sa mise à l’écart des sélections nationales des jeunes par la fédération de football («en raison du nom que je porte», avouera-t-il), Youssef Seriati est toujours un écorché vif. La «récompense» pour le travail abattu durant un quart de siècle ressemble à un coup de poing en plein cœur. Mais peut-être bien qu’on n’échappe pas à son destin !
Heureusement que le souvenir de l’exploit de 1977 avec la Jeunesse Sportive Kairouanaise demeure le plus fort, mettant du baume au cœur de ce défenseur à la volonté de fer. L’apaisement vient de la Chabiba, «un club pour la vie», jubile-t-il.
Youssef Seriati, en 1976-77, vous avez remporté l’unique titre de champion de Tunisie de l’histoire de la JSK. Comment vit-on un tel exploit ?
Un tel bonheur vous marque à jamais. Dix ans de carrière de titulaire au service de la Jeunesse Sportive Kairouanaise, toutes les misères du monde ne peuvent les estomper. L’année même du titre, je m’entraînais à Tunis où je poursuivais mes études à l’Institut supérieur des Sports de Ksar Said. Dragan a fait une exception en alignant régulièrement un joueur qui s’entraîne juste le vendredi et le samedi avec l’équipe. En 1979, constatant mon hygiène de vie irréprochable, le Yougoslave Dietscha Stefanovic dut me faire jouer malgré ses réticences de départ. En effet, j’entraînais la Flèche de Ksar-Gafsa et ne rentrais à Kairouan que le vendredi. La JSK était sous la menace de la relégation. Notre président Aziz Miled m’a alors demandé de donner un coup de main à l’équipe.
Quel est le secret de votre sacre inattendu?
La continuité. Durant quatre ou cinq ans, nous avons évolué ensemble. C’était le même onze auquel venaient occasionnellement prêter main forte les Belhaj, Boucharbia, Rimani plus tard… Et puis, nous pouvions compter sur un président qui imposait le respect, feu Hamda Laâouani, un éducateur d’une autre dimension par rapport à ce que l’on voit aujourd’hui. Il a préparé sa succession en lançant dans le grand bain Aziz Miled.
Ce trophée doit constituer votre meilleur souvenir, non ?
Sans conteste. Mais il faut dire que mes convocations en sélection, aussi rares soient-elles, m’ont rempli de joie. Il était difficile d’aller loin en sélection alors que vous poursuiviez vos études. Et puis, il y avait une féroce concurrence avec les Dhouib, Ellouze, Kaâbi, Malki, Ayèche…
Parce que vous étiez latéral ?
Oui, latéral droit ou gauche. Du genre athlétique et très offensif. En notre temps, ce n’était pas évident de voir un défenseur de couloir participer au travail offensif. Ali Sboui à gauche et moi à droite, nous faisions la différence. J’aimais aller de l’avant et même inscrire des buts. Presque à chaque match face à l’AS Marsa, je marque un but. Ce club pratique la défense en ligne. Doté d’une grande vision, Laâbidi savait où me trouver pour piéger la «ligne» adverse. Il faut dire que j’ai commencé attaquant au Club Sportif de Hajeb Laâyoun. J’ai été meilleur buteur de la Ligue Centre avec 33 buts.
Comment étiez-vous arrivé à la Chabiba ?
J’étais déjà junior. J’ai disputé six matches dans cette catégorie en tant qu’avant-centre. Il faut dire que j’ai été le premier recrutement de la Chabiba qui ne comptait jusque-là que sur ses enfants formés au club. On regardait comme un sacrilège tout recrutement des joueurs, y compris du gouvernorat de Kairouan. Mes qualités techniques étaient inférieures à Ouada, Laâbidi, Jabbès que j’ai trouvés en débarquant. Mes qualités sont avant tout athlétiques. J’étais sur le banc des seniors jusqu’à ce que le Yougoslave Slava Stefanovic décide de m’aligner latéral droit. C’était en 1971-72 contre l’Espérance. J’avais un sérieux client, Temime. J’ai réussi à le museler. Depuis, je n’ai plus quitté mon poste en défense.
Qui vous a fait signer pour la JSK ?
C’est le vice-président Abdelwahab Belhassine qui me fit venir à la Chabiba. Dois-je rappeler que mon père Mohamed était depuis 1964 président -fondateur du Club Sportif Hajeb Laâyoun où jouait mon frère aîné Mohamed .
Ma mère Beya était garde-matériel, elle lavait les tenues et soignait les crampons. Avec Hassen et Lotfi, j’ai joué au Hajeb. Mon autre frère Ali a joué gardien à la Patriote de Sousse lorsqu’il étudiait là-bas. Une vraie famille sportive. Poursuivant mes études à Kairouan, je jouais au foot pour El Hajeb les dimanches, et le hand avec la JSK le reste de la semaine.
Quelle était votre idole ?
L’attaquant clubiste, Mohamed Salah Jedidi.
Le meilleur match que vous avez disputé ?
Devant l’ASM, et la large victoire (4-1) à Sousse face à l’Etoile l’année du titre de champion. Il n’empêche que j’ai été toujours régulier. La preuve ? Ma titularisation alors que j’étudiais quatre saisons à Tunis et que j’étais obligé de m’entraîner loin de mon équipe.
Les meilleurs footballeurs tunisiens ?
Akid, Agrebi, Laâbidi, Tarek, Rtima, Ouada, Chakroun, Chammam….
Entraîneur, vous avez été un véritable globe-trotter avant d’arrêter subitement votre parcours il y a une décennie. Pourquoi ?
On m’a ôté l’amour du football, on m’a dégoûté de ce formidable jeu auquel j’ai sacrifié toute ma vie. Je ne comprends rien ni à la politique ni aux arts. Tout ce que je respire, c’est grâce au sport. J’ai fait le tour de la Tunisie en exerçant mon métier d’entraîneur. Il n’ y a pas eu une seule saison où je n’étais pas entraîneur. La seule région où je n’ai pas travaillé est celle de Nabeul. Durant un quart de siècle, j’ai vécu loin de ma famille. Mon épouse a beaucoup sacrifié en me remplaçant, car j’étais toujours absent quelque part dans une ville du pays à entraîner. Je me suis donné à fond, on a reconnu mes compétences de technicien.
Quand avez-vous intégré la DTN ?
En 2002 quand le membre fédéral Mahmoud Hammami m’a recruté pour les besoins de la sélection juniors alors que je conduisais le Stade Gabésien. Je n’y étais resté à vrai dire qu’un mois avant d’être promu à la tête de la sélection olympique lorsque Khemaies Laâbidi avait rejoint la sélection «A». En qualité d’observateur, j’ai effectué avec le staff des Aigles de Carthage le voyage au Japon pour la Coupe du monde. J’avais certains joueurs de la sélection olympique qui furent convoqués au sein de l’effectif participant au Mondial et que je devais suivre de près.
Vous avez également entraîné en Arabie Saoudite…
Oui, l’opportunité s’était présentée au retour de Khemaies Laâbidi à la sélection olympique. Roger Lemerre, le sélectionneur national de l’époque, m’encouragea à aller en Arabie Saoudite lorsqu’une offre m’a été faite par le club Al Khalij. «Qu’allez-vous rester faire ici ?», m’a-t-il dit. Il est vrai qu’en un an, je pouvais gagner là-bas ce que je touche généralement en dix ans ici. Après Al Khalij, j’ai pris Abha que j’ai fait accéder en D1 pour la première fois de son histoire. Je l’ai pris en main alors qu’il était dixième après 9 journées. Il a terminé premier de D2 suite à une série d’un nul et 13 victoires consécutives. Le même genre d’exploit que j’ai accompli avec l’AS Djerba que j’ai fait accéder en L1. Une fois parmi l’élite, j’ai conduit Abha dans sept rencontres. Grassement récompensé par Prince Khaled, je m’étais senti repu, j’avais envie de rentrer au pays. Mais cela n’a pas été facile puisque tant que vous travaillez dans ce pays, votre employeur vous confisque votre passeport. En fait, cela a été une fuite, je m’étais caché toute une nuit. Heureusement qu’au départ, j’étais quitte financièrement avec mon club. J’étais en possession d’une fiche l’attestant. Par la suite, on m’a mis sur la liste rouge, les journaux ont écrit: «Qui a aidé Seriati dans sa fuite ?».
Pourquoi avez-vous arrêté d’entraîner depuis 2011 ?
C’est un peu la bêtise, l’amalgame. Plutôt honteux. Au déclenchement de la Révolution, j’étais à la tête du Centre de formation de l’élite à Borj Cedria. Malheureusement, j’ai payé le fait que je porte le nom de Seriati, que je sois le frère du général Ali Seriati. Je ne suis pas un politicien, je n’appartiens à aucun parti, je suis un simple patriote qui a introduit une nouvelle tradition: le salut par tout le monde des couleurs nationales chaque jour au Centre de Borj Cedria: joueurs, staff technique, médical… C’était devenu une obligation. Mes jeunes joueurs, je veillais à leur scolarité, je contrôlais, que ce soit le soir ou de bonne heure le matin, leurs cours pour savoir s’ils les avaient révisés ou pas. Après tout ce sacrifice, on me remercie comme cela, tout simplement parce que je suis le frère d’Ali Seriati. Un mois après la Révolution, on m’a évincé avec le préparateur physique Amor Ben Lounis, un docteur de l’Institut national des Sports où il dirige le département de la préparation physique. En revanche, tout le reste du staff était resté: les Bechir Hajri, Ali Ben Neji, Mohamed Sfaxi, Amor Hamouda …. On ne m’a pas renouvelé le contrat. Wadii El Jari, qui était responsable des sélections, a été derrière ce limogeage. Pour des raisons qu’il connait parfaitement et qui n’ont rien à voir avec la compétence technique…
Lesquelles ?
*Il voulait imposer quelqu’un dans mon staff. J’ai refusé, il m’en a tenu rigueur. C’est la plus grande injustice que j’ai subie dans ma vie, l’année même où j’ai travaillé comme un forcené. L’équipe d’Abdelhay Ben Soltane qui avait participé en coupe du monde U17 aux Emirats, j’ai participé dans une large mesure à mettre en place ses bases. 13 joueurs sur les 17 alignés au Mondial sont issus de la promotion 2009-2010 que mon staff a installée. On a supervisé 1080 joueurs, on était arrivé à une liste élargie d’une cinquantaine de joueurs. On en a retenu une trentaine au Centre. Il faut reconnaître que Ben Soltane a également abattu un travail monstre. Le membre fédéral Mohamed Atallah a eu beau me défendre. Kamel Boughezala, aussi, qui était dans la direction technique. «C’est l’un des techniciens les plus compétents au niveau de la formation», a-t-il martelé pour ma défense. En vain. La chose que j’ai aimée le plus dans ma vie, le football, Al Jary me l’a faite détester, vomir.
Que représente pour vous Hajeb Laâyoun ?
Mes racines même si je suis né à Sakiet Sidi Youssef. Mon père y était alors agent de l’Office des céréales, et ne devait quitter cette ville que l’année de l’agression française qui a fait beaucoup de morts un jour de souk hebdomadaire quand elle bombarda cette ville-martyr, en 1958. Notre club a sorti de grands joueurs: Samir, Rached et Ridha Chraiet, Abdelwahab Handous…Sahbi Sebai, le gardien hammam-lifois, et Hichem Necibi, l’attaquant stadiste descendent de Hajeb…
Comment trouvez-vous la situation actuelle de la JSK?
Les temps ont drôlement changé, et il faut savoir s’adapter. Il est arrivé à la Chabiba de ne compter parmi son onze majeur qu’un seul joueur formé au club. Malheureusement, la fermeture du Centre de formation à la destinée duquel veillait Salah Essid n’arrange pas les choses d’autant que le club a besoin des recettes provenant de la vente des joueurs. Il sait pourtant parfaitement qu’il ne peut pas résister à la supériorité financière écrasante des grosses cylindrées. Le régime professionnel s’avère impitoyable pour ses ambitions.
Avez-vous encouragé vos enfants à suivre une carrière sportive ?
Oui, la preuve, ma fille Dorsaf est enseignante d’éducation physique et sportive, elle est la première femme tunisienne à décrocher un diplôme d’entraîneur FB premier degré. Nourzed, kiné, a été athlète et gardien de but de handball au club Al Houssari. Mohamed, ingénieur, a fait de l’athlétisme à la JSK. En fait, mes trois enfants aiment le sport. Ma femme Chedia, que j’ai épousée en 1979, a beaucoup sacrifié, consciente qu’une vie de sportif, joueur ou entraîneur, exige qu’il soit très souvent séparé des siens.
Enfin, comment passez-vous votre temps libre ?
*Des parties de sixte, du footing, le petit domaine agricole où je me rends l’après-midi, l’Internet pour me recycler au rayon des nouvelles techniques d’entraînement. Non, le football tunisien, je ne le regarde plus. Pourtant, je garde une passion intacte pour tout ce qui est beau dans le foot mondial.