Campagne d’activisme contre les violences faites aux femmes : Théâtre et combat au coude à coude

Chaque année, la campagne contre les violences à l’encontre des  femmes fait grand bruit dans le monde et donne lieu à des mobilisations de plus en plus visibles. Pour marquer la campagne de 16 jours d’activisme prévue du 25 novembre au  10 décembre, le bureau de l’Union européenne en Tunisie a financé une opération adéquate de communication qui a démarré tambour battant le 25 novembre autour du slogan fédérateur  (et long)  « Les violence contre les femmes sont inacceptables et punies par la loi ; refusons-les». Elle a choisi Le Kef comme ville de départ  et le théâtre comme moyen de communication. Activisme et  travail de sensibilisation au programme. 

M. Cornaro, ambassadeur de l’Union européenne, accompagné de ses homologues espagnol et belge, portant des foulards orange (la couleur choisie et  utilisée pour représenter un avenir meilleur ), a rappelé, lors d’une conférence de presse, tenue au théâtre du Kef, chiffre à l’appui que partout dans le monde les violences de toute nature contre les femmes sont courantes. En Europe, dit-il, au cours de sa vie une femme sur cinq aurait subi des violences genrées. Cela va de l’insulte au viol  et ce malgré toutes les avancées en matière d’égalité et en dépit des dénonciations de plus en plus nombreuses. En Tunisie, il existe la loi 2017-58 qui fournit un cadre légal pour éliminer ces violences, ainsi qu’un numéro vert 1899 qui permet de signaler anonymement un acte de violence et offre aux femmes qui en sont victimes une écoute et une orientation selon leurs besoins.  Et SE l’ambassadeur abrège les jeu des questions réponses en invitant tout le monde à assister à la pièce Yakouta, écrite et interprétée par Leila Toubel, qui, dit-il « exprime à merveille l’état de la violence à l’égard des femmes en Tunisie. Il ne croyait pas si bien dire. 

La preuve par le théâtre

Le décor est réduit à l’essentiel : scène  vaste, au premier plan, un coffre à droite, un mannequin à gauche,  deux tables basses et des bougies au second plan, au fond sombre, une femme frêle, long manteau, maquillée, lunettes noires, elle  implore son mari de lui ouvrir la porte, elle crie, chuchote, roucoule, sa voix est tantôt d’un velours rêche, tantôt d’un cristal éclatant, elle raconte son histoire,  sans pathos, ni sensiblerie. Le public est vite captivé. Il est  entre ses mains, habitée, engagée, elle y va Leila, elle s’éclate  sans mesure, ni limite de langage.

Yakouta est dédiée à Zeineb Farhat, activiste politique, femme de théâtre, et Lina Ben M’henni, l’icône du militantisme politique. Toutes deux font partie de son cercle d’amies. La pièce raconte l’expérience poignante d’une femme d’aujourd’hui dans un milieu qui lui est entièrement hostile. 

Du mari à l’amant, de l’amant au camarade de lutte, de celui-ci au patron, tous sans exception sont d’une façon directe ou non coupables. Leila Toubel  y va à la serpe,  elle ne s’encombre pas de nuances, le mari la bat,  l’amant d’un soir la rejette après avoir abusé d’elle, le père, la mère, le citoyen frotteur dans le bus, le producteur ou l’animateur télé débilitant, le responsable politique lénifiant, ou le camarade de classe, tous passent à la moulinette. Personne n’y échappe, tous coupables. Leila nous tend un miroir qui reflète notre tragique réalité, on y entre sans hésitation tant le sujet est prenant, fascinant et culpabilisant…et son jeu convaincant. Un mot revient souvent clôt la pièce « Refusons la violence ». Lumières et fin.

Dans la salle, le public, quasi tétanisé, se lève,   un tonnerre d’applaudissements surgit, des larmes sur les joues et des bravos sans réserve. Un débat sur le sujet s’ensuivit,  animé par des responsables, juges, actrices de la société civile… et Leila Toubel en vedette.  La parole passe au public, relayée de bouche en bouche,  des femmes en pleurs et en foulards orange témoignent. Parmi elles,  celles qui ont dit non à la violence, d’autres qui incitent à rompre le fil de l’indifférence et de l’indignation. C’est dire si l’art, la parole engagée peuvent contribuer à faire avancer la cause. Le choix de cette pièce disions-nous est adéquat. Les responsables financeurs de cette ouverture en sont conscients. « Ces manifestations d’émotion valent tous les discours »,  nous confie M. Cornaro. Leila Toubel boucle la séance par une annonce généreuse, elle déclare que suite aux accidents mortels qui ont fait des victimes parmi les ouvrières agricoles transportées dans des camionnettes bancales, elle a décidé de réserver une partie des recettes de la pièce Yakouta à l’achat d’un bus neuf et climatisé pour le transport des ouvrières agricoles de la région. Un théâtre engagé, assumé, excellemment exécuté et un cœur qui déborde de générosité, que demander de plus ? Du respect et de la reconnaissance.

H.H.

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