
Pour les jeunes, il est beaucoup plus question de rétablir la confiance à l’égard de l’Etat et traduire sur le terrain le principe de l’égalité des chances au travail conduisant à une vie décente entre les citoyens et les régions. Mais pour la femme, il est toujours question de lutte contre la violence dont elle fait l’objet au quotidien, au travail comme dans la rue et au foyer, dans une société marquée par la prééminence de l’homme.
Aucun pays n’est à l’abri de l’extrémisme violent et si les causes de cette hydre sont connues de tout le monde, ce sont les remèdes et solutions qui font le plus souvent défaut. Les solutions sécuritaires ont montré leurs limites. Elles ne peuvent venir à bout de ce mal endémique en l’absence d’une approche bien globale visant la lutte contre l’exclusion sociale, la pauvreté, la marginalisation des jeunes et le décrochage scolaire précoce. Mais c’est surtout à la femme (mère et fille) qu’incombe le rôle le plus important dans cette lutte.
C’est dans ce cadre général qu’une recherche-action a été élaborée dans les quatre gouvernorats du Grand Tunis, Nabeul, Jendouba, Sousse, Mahdia , Kairouan, Médenine, Tatatouine, grâce à une collaboration menée par le Centre de recherche d’étude, de documentation et d’information sur la femme (Credif), le Centre de Genève pour la gouvernance du secteur de la sécurité (Dcaf), ainsi que divers chercheurs. «Si cette recherche-action veut répondre à une question, elles serait la suivante: Comment prévenir l’extrémisme violent en se basant sur le rôle des femmes comme socialisatrices et les jeunes comme acteurs et actrices», soulignent les organisateurs de la conférence internationale tenue mardi 14 décembre dans un hôtel aux Berges du Lac et qui a été réservée à la présentation des résultats de la recherche-action sur le rôle des femmes et des jeunes dans la prévention de l’extrémisme violent.
La femme actrice sur le terrain
Effectuée par les deux experts Dr Imen Kochbati (spécialiste en démographie politique et démographie locale ainsi que dans le genre et la lutte contre la domination masculine et l’extrémisme violent en démographie sociale) et Slim Kallel (docteur en psychologie et enseignant universitaire en psychologie sociale et recherche-intervention), la recherche vise la capacité d’agir et la concrétisation d’un «mode opératoire institutionnel» de la prévention contre l’extrémisme violent. « On a travaillé sur une étude qui porte sur plusieurs axes sur tout le territoire du pays et à travers des focus groupes et des entretiens avec des femmes, des jeunes des deux sexes», déclare Dr Imen Kochbati à La Presse. «On a essayé de sonder les pensées de ces populations à l’égard de l’extrémisme violent, et d’être à l’écoute de leurs attentes et leurs propositions pour y mettre fin «. Le travail de réseautage entre tous les acteurs locaux (gouvernementaux et non gouvernementaux) est aussi important mais il est préférable qu’ils agissent sous l’égide d’une structure susceptible de coordonner tous les travaux, enchaîne-t-elle.
A ce propos, elle a soulevé le grand problème auquel fait face la femme mère en cas de radicalisation de son enfant. Que faire et quelle partie pourrait l’assister dans pareil cas. Comment la femme pourrait-elle agir et assumer son rôle dans ces circonstances? C’est pour cette raison qu’on a beaucoup travaillé sur la femme actrice sur le terrain, souligne Dr Imen Kochbati qui regrette l’absence d’une cellule d’écoute orientée vers ces femmes et les jeunes.
Un clip vidéo porteur de message
«Le phénomène de radicalisation se nourrit de la convergence de plusieurs facteurs qui caractérisent en général toutes les sociétés et qui avec l’accélération du processus de modernisation, sous l’effet de la mondialisation, a contribué à l’éclatement et la dévalorisation des structures de socialisation primaire comme la famille et secondaire comme l’école», a mis en exergue cette étude. Comment protéger nos jeunes et moins jeunes de l’emprise des groupes extrémistes? De quelle manière pourrait-on orienter les politiques publiques et influer sur les attitudes de la population ciblée? Que des questionnements auxquels l’étude a tenté de répondre.
Pour communiquer efficacement avec les jeunes, il faut surtout déchiffrer certaines formes de dialogue et éviter d’utiliser des méthodes surannées. L’équipe qui a travaillé sur ce thème a bien fait de proposer un clip vidéo porteur de messages à l’adresse des jeunes, en harmonie avec la tendance générale des jeunes des deux sexes. Ces derniers acceptent beaucoup plus un message véhiculé par un support audiovisuel
Un questionnaire auprès de 80 personnes qui ont assisté à la projection a été distribué pour évaluer l’impact du clip sur les téléspectateurs et voir si ce support a pu atteindre ses objectifs.
En se basant sur les déclarations des interviewés, il s’avère que la société confère à la femme «le rôle majeure d’inculquer la bonne éducation de ses enfants. Elle est la première responsable du comportement déviant et elle doit enraciner le comportement de résilience à toutes les formes d’extrémisme et d’intervenir pour y mettre fin» et ce au moment ou la société (l’Etat aussi) ne l’ont pas dotée des outils appropriés pour s’acquitter de cette mission.
Défaillance familiale
La défaillance de la famille semble constituer pour les sujets rencontrés dans le cadre de l’enquête une piste privilégiée des causes de l’extrémisme violent.
Les interviewés ont évoqué souvent une famille incapable de faire son devoir de socialisation positive pour des raison multiples, ainsi que des familles ne disposant pas elles-mêmes d’outils pour l’encadrement de leurs enfants . Dans une multitude de cas, l’extrémisme violent est une affaire de famille et même d’héritage familial. Les jeunes ont donné des exemples de familles qui sont parties pour la Syrie.
Parmi d’autres raisons évoquées, l’état émotionnel. C’est ainsi que la haine, le désespoir, le désir de vengeance, la colère, la frustration, y compris sexuelle, favorisent l’extrémisme violent.
A ce propos, des jeunes parlent de plusieurs facteurs qui suscitent la haine et la colère, tels que le rapport avec la police, le chômage et la situation de précarité. Ceci sans oublier de mentionner la fragilité émotionnelle qui explique que des femmes soient séduites par un homme via les réseaux sociaux.
Le type de personnalité des Tunisiens ou la personnalité de base ont également été remis en cause dans l’étude. Cette personnalité, jugée fragile, s’oriente vers l’extrémisme violent soit par faiblesse, soit par esprit de révolte et de revanche. Dans les deux cas, l’extrémisme violent représente une forme de suicide et on a vu ces dernières années l’émergence d’un comportement et d’attitudes extrémistes. Dans cette catégorie de causes, les femmes seraient davantage plus vulnérables que les hommes.
Instrumentalisation du religieux et laxisme de l’Etat
Il va sans dire que les mosquées ont longuement échappé au contrôle de l’Etat après la révolution, ce qui a largement profité aux salafistes et favorisé l’émergence d’un courant extrémiste violent. La recherche a par ailleurs démontré que cette cause a été largement évoquée par les sujets rencontrés. Il s’agit essentiellement pour eux d’une fausse compréhension et d’un manque de connaissance de l’Islam, ce qui facilite l’endoctrinement et la radicalisation des jeunes.
Le système éducatif ne permettant pas le développement de l’esprit critique et ne valorisant pas le travail a été aussi pointé du doigt par les interviewés.
Plusieurs témoignages évoquent le laisser-aller de l’Etat face aux activités des extrémistes violents, l’absence de sécurité. La responsabilité de l’Etat se manifeste aussi dans le manque de contrôle du corps enseignant au niveau des écoles et des lycées.
Quelles actions pour la prévention ?
Parmi les principales propositions d’actions citées dans cette étude, l’encadrement familial adéquat, la lutte contre l’absence d’une lecture comparée des religions, ainsi que l’absence d’une conscience de soi partageant un espace de citoyenneté au niveau national et mondial, sans oublier l’encadrement et le soutien psychologique des enfants, des adolescents et des jeunes.
Mais c’est surtout l’Etat qui doit jouer son rôle pour assurer le développement économique dans le pays et lutter activement contre le chômage, la précarité la marginalisation des individus et des régions.
Il doit aussi renforcer la sécurité
La femme a un double rôle au travail en tant que professionnelle et au foyer en tant que mère selon cette étude. Elle joue un rôle majeure dans la prévention contre l’extrémisme violent, d’où la nécessité de renforcer ses capacités en la matière par l’Etat et par les composantes de la société civile et l’impliquer davantage dans l’élaboration des stratégies et dans le cadre de la sensibilisation des gens rencontrés au quotidien.
Pour les jeunes, il est beaucoup plus question de rétablir la confiance à l’égard de l’Etat et traduire sur le terrain le principe d’égalité des chances de travail conduisant à une vie décente entre les citoyens et les régions. Mais pour la femme, il est toujours question de lutte contre la violence dont elle fait l’objet au quotidien, au travail comme dans la rue et au foyer, dans une société marquée par la prééminence de l’homme.
Quant à la société civile, elle doit sensibiliser les enfants aux dangers de l’endoctrinement via les réseaux sociaux et contribuer à leur encadrement par le soutien des clubs culturels et les maison des jeune. En général, il faut créer des structures communes de coordination et d’intervention avec des mécanismes d’échange permettant une meilleure action de prévention contre l’extrémisme violent et une prise en charge plus rapide et plus efficace, suggère l’étude.
Il est à signaler que par la même occasion le Dr Mohammad Abu Romman (conseiller académique du Politic and Society Institute et ancien ministre de la Culture et de la Jeunesse en Jordanie) a mis en garde, lors de son intervention, contre la montée des groupes djihadistes dans la région arabe, l’apparition d’une deuxième et troisième génération de djihadistes, ainsi que ce qu’il a qualifié de «club social pour les djihadistes» auquel adhèrent la mère, les enfants, les tantes, les cousins… Fabio Merone (docteur en sciences politiques à l’Université de Gand en Belgique et auteur d’un livre sur le salafisme dans les pays arabes ) s’est penché à son tour sur l’histoire de l’islamisme en Tunisie.