Par Mohamed Damak | Docteur en économie politique
L’arbitrage du partage des capacités de financement entre les exigences des besoins d’investissement des secteurs, respectivement public et privé, ne pourrait être visible qu’au vu de l’analyse des attentes citoyennes politiques et socioéconomiques et du choix d’un schéma de croissance soutenable et inclusif, par rapport à un horizon de cinq ans (2022-2026). Toutefois sans justice sociale, il n’y aurait pas de réalisations de performances économiques attendues.
Attentes citoyennes politiques et socio-économiques
Sur le plan politique, Les orientations générales des attentes citoyennes politiques et socioéconomiques portent, essentiellement, sur l’examen approfondi des déséquilibres macroéconomiques (les quatre déficits : des balances commerciale, courante et des paiements, ainsi que celui du budget de l’état).
Ceci en matière de gouvernance politique. Quant aux volets d’ordre socioéconomique, ces attentes majeures sont relatives :
– à la lutte contre la pauvreté et le chômage ;
– à la justice sociale liée à la politique de redistribution de la richesse économique ;
– à l’amélioration du pouvoir d’achat ;
– aux déséquilibres régionaux ;
– aux grands projets infrastructurels à l’échelle nationale et régionale.
La gouvernance de ces attentes manque de visibilité. Elle est appelée à subir une rescousse visionnaire et stratégique sur le plan politique afin de subvenir aux besoins réels des citoyens et de conforter les décisions quant aux choix d’un schéma de croissance économique soutenable et inclusif.
Schéma de croissance soutenable et inclusif
Un programme de politique économique réalisable est tenu de se situer dans le cadre d’un modèle de développement durable (impliquant toutes les parties prenantes) et assurant une progression continue.
Ce modèle doit tenir compte du comportement de la croissance mondiale (révisée à la hausse en juillet 2021, de 3.4% à 6 %) et en rapport avec le niveau du chômage qui demeure relativement inquiétant ; et ce, notamment dans les pays de nos principaux partenaires.
Aussi, il ne doit pas perdre de vue les pressions géopolitiques et sociales et la nécessité de l’élaboration d’un modèle économétrique de simulation à moyen et long terme, construit sur la base d’une analyse quantitative qui, à ce jour, fait défaut.
Faute d’un tel modèle, se référant aux données statistiques et d’analyses rétrospectives et prospectives, il est tout à fait impossible de construire un schéma de croissance se projetant sur un horizon de visibilité 2022-2026.
Il est entendu que ce schéma de croissance devrait constituer la colonne vertébrale des choix d’investissement prioritaires de l’économie nationale.
Aussi, ce schéma devrait être conçu dans le cadre d’une politique économique à travers ses trois composantes principales budgétaire, monétaire et de l’emploi.
La faisabilité d’un tel schéma dépend nécessairement de son caractère convergent et transversal.
Sa réalisation devrait également tenir compte du lancement, dans les plus brefs délais, de reformes des institutions politiques et économiques.
Les attentes réelles de nos citoyens et notre souveraineté nationale devraient façonner l’esprit opérationnel de ces réformes structurelles.
Positionnement du financement
La construction de ce schéma de croissance convergent, soutenable et inclusif repose sur :
1- Une hypothèse fondamentale dont l’objet est la recherche des ressources des besoin de la finance publique, nécessaires à l’élaboration du budget complémentaire de 2021 et du budget 2022 qui devrait nous permettre de réaliser, éventuellement, un taux de croissance moyen dans la période 2022-2026 de 5 % .
2- Une hypothèse accessoire des variables macroéconomiques contraignantes
– un gain de 10 points par rapport au PIB, qui se traduit par l’amélioration de la valeur de l’épargne nationale dépendant de la réduction de la consommation finale ; ce qui réduirait la dépendance relative au financement extérieur.
3- Des hypothèses technicoéconomiques
– L’évolution de la productivité du travail
– L’efficacité des moyens de production, notamment du capital technique, et le développement de l’innovation.
4- Des mesures d’accompagnement
· Une étude d’impact des différentes hypothèses ci-dessus mentionnées.
· Une réforme du mode de gouvernance de la chose publique.
Une stratégie de digitalisation de l’administration publique.
· Un assainissement et la consolidation des finances publiques, notamment l’abandon de la monétisation de la dette publique et de son effet d’éclosion.
· Une révision des cadres juridique et fiscal de l’entreprise.
· Un dialogue social.
· Une mise en place exceptionnelle :
– d’un programme exceptionnel au profit de la jeunesse, en matière de lutte contre le chômage et de création d’emplois.
– d’un programme de lutte contre la pollution et d’incitation à la création de projets d’énergies renouvelables et de projets à caractère environnemental et sociétal.
· Une réduction rationnelle et progressive du comportement du consommateur excessif, notamment des biens et services sauvagement importés.
· Une priorisation de la demande d’investissement par rapport à la demande de consommation finale.
· Une répartition de l’investissement du partenariat public – privé (PPP), notamment dans le rôle de l’Etat et dans le développement régional.
· Un accord d’attention particulière à une croissance à haute valeur ajoutée, orientée tout en minimisant le poids de l’industrie de sous-traitance).
· Une estimation des grands projets infrastructurels (zones industrielles, routes et chemins de fer, logistique portuaire et aérienne, etc.).
· Un développement de l’économie sociale et solidaire (ESS), qui a fait ses preuves dans les principaux pays scandinaves et de l’Union européenne (notamment en France, l’ESS contribue, en moyenne, à hauteur de 12% du PIB et représente 3 fois le secteur des industries automobiles et 2 fois le secteur BTP).
· Une ventilation régionale chiffrée de l’investissement global
Il en découle que le positionnement du financement dans le cadre de ce schéma de croissance serait conforté en tenant compte des contraintes suivantes :
· La maîtrise de l’inflation et l’optimisation de la productivité du travail et l’efficacité des moyens de production militeraient en faveur de l’amélioration du pouvoir d’achat des citoyens.
· Le renforcement de l’investissement réduirait significativement le chômage. Il est possible que la modélisation du développement permette de déterminer le montant d’investissement requis pour gagner X % de croissance et la création du nombre d’emplois qui en découle, réalisant, au terme de 2022, un maximum d’un taux de chômage de Y %.
· Le traitement profond et progressif des dépenses publiques, notamment les frais de fonctionnement, dont notamment la Caisse de compensation, rendrait possible le transfert des montants budgétaires qui en découlent vers la réalisation de grands projets infrastructurels.
Une politique économique efficace devrait opérer dans le cadre d’un mode de gouvernance rationnel et transparent, moyennant un traitement de l’information dans une logique convergente, traitant simultanément le comportement des principales grandeurs macroéconomiques et ciblant l’amélioration continue de l’ensemble de nos déficits (budgétaire et des balances commerciale, courante et des paiements).
Seul le traitement pertinent de l’information économique permettrait un contrôle maîtrisé, notamment dans les situations difficiles. Il améliorerait la visibilité et conforterait les décisions politiques, en particulier en matière d’endettement extérieur.
En rapport avec les propos de notre présent article, je partage avec vous, ci-après, un extrait du rapport de la Bank of America Securities, portant sur les finances publiques en Tunisie.
Le contenu de cet extrait devrait nous interpeler par rapport à sa conformité avec les analyses de nos institutions nationales concernées (BCT, INS).
Considérée comme une référence aux Etats-Unis et au niveau international en matière de conseil et de gestion des risques, Bank of America Securities, la branche en charge des activités de banque d’investissement de Bank of America, vient de publier un rapport sur la situation des finances publiques en Tunisie.
Le rapport prévoit que le besoin de financements extérieurs pourrait atteindre 1,9 milliard de dollars, soit l’équivalent de 5,6 milliards de dinars (4,3% du PIB) à la fin de l’année en cours, « ce qui pourrait entraîner des impayés et des pénuries d’importations «, estime Bank of America
Les analystes de la banque soulignent que le budget supplémentaire approuvé pour 2021 met en évidence une crise de financement qui va s’intensifier en l’absence de réformes et d’un accord avec le FMI. Ils notent également que la monétisation de ce besoin doublerait le taux de financement de la Banque centrale par rapport à 2020 et accélérerait la baisse des réserves de change.
En outre, le rapport de la banque américaine considère que l’absence d’un point d’ancrage clair pour la politique économique diminue les chances de réussite d’un nouveau programme avec le FMI, du moins à court terme. « S’il est important que le président Kaïs Saïed semble avoir donné le feu vert pour entamer officiellement des discussions sur le programme avec le FMI, la marge de manœuvre du gouvernement reste incertaine, en partie en raison de la transition politique en cours », indique le rapport.
Et d’ajouter qu’un soutien financier régional à la Tunisie semble peu probable à court terme et ceci est attesté par l’absence de manifestation d’intérêt à cet égard, notamment après la visite du chef du gouvernement Najla Bouden en Arabie Saoudite. « Tout soutien bilatéral apporté à la Tunisie ne peut être considéré que dans le cadre d’une éventuelle restructuration future de la dette publique effectuée dans le cadre du processus du Club de Paris et cela pourrait donc avoir un effet bloquant sur le plan économique », assure le rapport de Bank of America Securities.
Rappelons qu’à la fin du mois d’octobre dernier, Bank of America a classé la Tunisie dans la catégorie « risque très élevé « en termes de défaut de paiement. En effet, le risque de défaut de paiement de la dette souveraine de la Tunisie a été jugé comme « une situation très probable « en se basant, entre autres éléments, sur la projection du FMI sur 15 ans de l’échéancier de la dette extérieure de l’Etat tunisien.
Il est ainsi souligné que notre dette extérieure est très élevée pour les six années qui suivront 2021 et, probablement, en référence aux perspectives de la situation sociale, économique et politique actuelle de la Tunisie, la dette extérieure sera plus élevée et la Tunisie sera en position de défaut, si aucune initiative n’est prise pour mettre en œuvre des actions, conclut le rapport de Bank of America Securities.