La dernière rencontre de l’Association Nachaz-Dissonances pour cette année qui s’achève a été consacrée aux moments forts d’une « année pas comme les autres », comme le signale le titre d’un débat de Nachaz organisé à la Bibliothèque nationale.
Nachaz, une ONG, dont le cœur bat à gauche et qui réunit notamment d’anciens militants du groupe Perspectives/El Amel Tounsi, politiquement très actif à l’université jusqu’à la fin des années 70, est connue depuis sa naissance voilà six ans par la qualité de ses débatteurs et la richesse de ses thèses et réflexions. Attachée à la question sociale, aux valeurs des droits humains et aux principes de l’égalité de genre, Nachaz semble avoir hérité de la dimension intellectuelle de Perspectives, assumant pleinement sa mission d’ «agitateur culturel ».
Le président de Nachaz, l’ancien militant de gauche Mohamed Khenissi, a fait remarquer à l’ouverture de la première séance que, pour cause de pandémie, les débats de Nachaz ont subi un coup d’arrêt. « Même si nous avons tenté des rencontres via Internet, l’espace virtuel est un complément ou un relais et ne saurait se substituer au débat démocratique véritable qui suppose une coprésence, la circulation de paroles vives et une dynamique de groupe porteuse d’innovation et d’intelligence collective », a déclaré Mohamed Khenissi.
Le débat de samedi dernier s’est déroulé en deux temps. La première partie consacrée à ce qui a précédé et probablement rendu possible le 25 juillet. Y ont intervenu le juriste Slim Laghmani, la militante associative Oumayma Mehdi et le chercheur en sociologie Maher Hanin. Et la seconde partie dédiée à la présentation des premiers résultats d’une étude sur les nouvelles inégalités, initiée par Nachaz et coordonnée par le sociologue Imed Melliti.
Interdire de manifester le 14 janvier 2021 : l’erreur à ne pas faire
Oumayma Mehdi, de l’Association Bawsala et qui a participé activement à la préparation du récent Congrès des mouvements sociaux et citoyens (du 10 au 12 décembre) organisé par le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (Ftdes), est revenue sur l’« intifadha de janvier 2021 » et plus amplement sur la situation de crise de la jeunesse tunisienne, notamment celle marginalisée. Oumayma Mehdi a rappelé dans son intervention la chronologie des évènements de janvier-février 2021. Le confinement imposé par le pouvoir à la veille du 14 janvier, les manifestations nocturnes dans les quartiers populaires malgré le veto du chef du gouvernement, les arrestations de 2.000 jeunes dont des mineurs d’une manière arbitraire et anarchique, les PV judiciaires falsifiés, la désinformation des médias quant aux émeutes et à leurs acteurs qualifiés de « vagabonds », de « mercenaires » et de « casseurs », les abus, les violences et la torture subis par les manifestants dans les postes de police et en pleine rue…
« Cette répression de l’appareil policier se déroule sur un fond de crise multidimensionnelle, chômage grandissant des diplômés, difficultés socioéconomiques, propagation du coronavirus, dénigrement de la jeunesse et des régions où les services publics concernant le loisir, la culture, la santé, le sport se dégradent à vue d’œil quand ils ne se révèlent pas totalement absents. La grosse erreur de Mechichi consiste dans sa décision de bannir toute célébration de la révolution à une jeunesse qui s’identifie corps et âme à cet évènement. Le geste de Mechichi va provoquer une colère de plus en plus grandissante », rappelle Oumayma Mehdi.
La rue, seul recours et seule issue des jeunes pour exprimer leur condamnation d’une politique de dénigrement, d’instrumentalisation et d’infantilisation à leur égard, qui se poursuit depuis le régime de Ben Ali et dix ans après la révolution. De Zwawla, à Manich Msamah, à Fesh Nestanaw, à Hassebhom et à Jil Jadid, les instruments de lutte et d’activisme de rue et sur les réseaux sociaux qu’adoptent ces mouvement sociaux sont innovants et créatifs. La « manifestation des couleurs » sur l’avenue Bourguiba en est l’exemple le plus parlant.
« En janvier vont converger des mouvements sociaux très différents, ceux des régions, des groupes féministes, de la tendance Queer, des défenseurs des droits individuels, des jeunes des quartiers populaires… Un des slogans résume toutes ces luttes : « Egalité, égalité pour les femmes et les régions », souligne Oumayma Mehdi.
De la convergence des luttes
Selon Nachaz, le coup de force du 25 juillet est venu sanctionner la déconfiture des protagonistes d’une « transition » qui a semé tant d’illusions et dont on a pu constater les dégâts : une ARP devenue le théâtre de toutes les turpitudes, son président retranché dans son bureau comme dans un bunker, un gouvernement abandonnant la société à elle-même au plus fort de la pandémie. Maher Hanine, qui travaille également au Ftdes, semble partager ce diagnostic. Il revient à l’une des genèses de la crise politique actuelle : le compromis entre les sécularistes et les islamistes. « Un fait qui a voulu effacer la pluralité idéologique de la société en contrepartie d’une fragile stabilité bâtie sur une foule de compromissions. Occultation des assassinats politiques et des départs vers la Syrie pour l’un et adoption de la loi sur la réconciliation pour l’autre », explique le sociologue. Il ajoute que les élites politiques traditionnelles ont du mal à comprendre la convergence qui peut exister entre des mouvements sociaux défendant des causes aussi différentes que ceux qui ayant participé au Congrès des mouvements sociaux et citoyens, des ouvrières agricoles, aux mères des disparus en mer, aux diplômés chômeurs, aux écologistes, au mouvement Queer…
« Nous constatons l’émergence d’une jeunesse néo-marxiste sensible à l’intersectionnalité, une jeunesse en rupture avec la gauche classique et historique. Sa conscience politique elle la tire de sa solidarité avec les diverses forces subissant des discriminations. On peut espérer que pourra naître de tous ces flux de revendication une action politique nouvelle. Nous devons réfléchir à l’après-25 juillet avec les jeunes et avec tous les acteurs de ces mouvements sociaux », prédit Maher Hanine