Revenir à l’essentiel du cinéma ou de l’expression artistique comme le seul et unique moyen de refaçonner le monde selon son propre regard est l’idée que nous renvoie « Communion », le dernier opus de Néjib Belkadhi actuellement en salles. Minimaliste, petit budget, huis clos ou presque avec deux personnages principaux, ce film est un tango meurtrier qui appelle à des questionnements essentiels sur l’être, le monde et le sens de la vie.
Mars 2020, une mystérieuse pandémie est déclarée dans le monde. Dans une ville confinée, Kais et Sarra, jeune couple avec leur chat Baghera, tentent de s’adapter à cette nouvelle vie marquée par le couvre-feu, les pénuries et l’incertitude. Quelque chose change en Kais, il devient de plus en plus étrange.
Ecrit en 4 jours, tourné dans la foulée avec les moyens techniques et humains qui sont à disposition, «Communion » est un film qui s’apparente au plus à une explosion des sens sous le prisme d’un enfermement forcé. Écrit et réalisé pendant le confinement, il présente une porosité saisissable dans les moindres détails.
Variation en noir et blanc
Dans « Communion», le noir et blanc s’est imposé comme une évidence, un choix prémédité, certes conditionné par l’état de création de cette œuvre, la sombre période de sa genèse, l’atmosphère qui conditionnait la vie sur toute la planète, l’isolement intérieur que vivent l’auteur, son équipe, les acteurs et…tout l’extérieur. Et c’est en noir et en blanc que le film a été rêvé. “J’ai toujours aimé le noir et blanc et j’ai toujours voulu l’employer dans mes films, mais ce n’est pas du tout évident. C’est un choix artistique difficile et impressionnant en même temps, il déforme complètement la réalité car, tout simplement, elle est naturellement colorée. explique Néjib Belkadhi. Dans «Communion», le noir et blanc s’imposait fortement, de par le sujet, la psychologie du personnage et la situation générale dans laquelle il évolue. La pandémie du covid et toute son implication dans la vie des personnes et des êtres vivants pesaient lourd sur plus d’un aspect dont essentiellement le socioéconomique.
De la contrainte au dépassement, le film a mis l’équipe dans une situation génératrice d’une écriture particulière. Ce qui était, à la base, un handicap s’est transformé en langage. Le film s’est écrit en une succession de plans fixes quand les mouvements de la caméra se sont avérés pas possibles. La perception change selon les conditions et elle enfante une image encore plus forte par sa composition, ses plans-séquences, ses gros plans et ses hors-champs. Une esthétique de la contrainte est née par les soins et la créativité du chef-opérateur Hazem Berrabah.
Elle/lui /le chat
Une étroite proximité est installée de prime abord, entre le spectateur et les personnages et entre les deux principaux protagonistes dans un contexte qui appelle à la distanciation. L’auteur joue avec des personnages angoissés, il construit une atmosphère lourde, bâtie de gestes répétitifs, de regards inquiets et d’échanges minimalistes. Le dialogue cache dans ses entrailles des non-dits et des sous-entendus. Les acteurs affichent un calme inquiétant. “ Baghera” le chat noir, troisième élément de ce faux duo, est une présence, silencieuse, il apporte un regard scrutateur qui accompagne ce rythme en crescendo. Sarra et Kais, ce couple uni par un sentiment douteux entre affection, amour et méfiance, joue sur une corde raide. La courbe des personnages évolue au gré d’une atmosphère lourde accentuée par une double pression : interne, d’abord, causée par l’état de Kais dont le trouble commence à se faire sentir par bribes d’abord, puis l’intensité d’une détresse psychologique, et par une situation extérieure qui impose sa propre logique. Les personnages secondaires sont un moteur qui amplifie la détresse, ils se déploient sous forme d’un périphérique. Chaque personnage porte sa propre croix, évoque une problématique à part. Tous s’imbriquent dans un scénario catastrophe : la pénurie des médicaments, la précarité, le chômage, la condition des sans-papiers, la solitude, la détresse…
Le cinéaste fait appel à un dispositif scénaristique pour ramener l’ensemble dans une parfaite cohésion. Les détails ne lui échappent pas et il soigne son écriture dans un langage subtil et construit.
La bande son
Rares sont les expériences cinématographiques abouties où la bande son est réellement au service du film et du scénario. Cédric Perras offre une variation sur thème qui se laisse sentir sans prendre le pas sur l’image. Il impulse un rythme, donne du volume et injecte de l’épaisseur. La pression s’intensifie au gré de l’action. Il nous fait entrer dans la tête des personnages, souligne les états et ouvre des perspectives. La musique, où les effets sonores se présentent sous forme d’une écriture en filigrane qui s’incruste dans les vides, donne du relief et mène le spectateur de plain-pied dans ce monde construit par le film. Quant à Nejib Belkadhi, encore dans la contrainte, il se retrouve à jouer le rôle principal. Ne pas être dans la posture confortable du metteur en scène, il a réussi à être devant et derrière la caméra. «Je considère que c’est très prétentieux qu’un réalisateur joue un rôle principal dans ses films. En ce qui me concerne, je n’avais pas beaucoup de choix et c’était très difficile pour moi de jouer ce rôle», explique-t il. “Je ne nie pas que c’était une belle expérience, mais c’est très compliqué d’être à la fois réalisateur et acteur : c’est l’un des exercices les plus difficiles que j’ai jamais fait. De plus, l’aspect personnel du film a rendu l’expérience plus compliquée pour moi».
Comment passer du réalisateur au personnage et être les deux à la fois ? Comment prendre de la distance par rapport à son propre jeu pour pouvoir le critiquer ou l’accepter ? Ce sont des questions auxquelles Néjib Belkadhi répond dans “Communion”. Une œuvre fortement personnelle dans laquelle la part de l’intime est saisissante. Et même si nous sommes loin de l’écriture et du genre déjà exploré par ce cinéaste : “Bastardo”, “VHS Kahloucha”, “7 et ½” et “Regarde-moi”, nous retrouvons, tout de même, sa patte créative, sa cinéphilie sans limites et sa maîtrise de son métier.