Investi par les intrus, touché par la pandémie et face à de graves problèmes structurels, ce secteur est en butte à de grandes difficultés dans l’indifférence des décideurs. Et pourtant, la Tunisie est l’une des plaques tournantes d’un marché très lucratif avec plus de huit mille conteneurs pour vêtements usagés qui débarquent au port de Radès en provenance notamment de plusieurs pays européens.
Multipliant les alertes et les mises en garde à travers ses récentes déclarations aux médias, le président de la Chambre nationale syndicale des commerçants grossistes de friperie, Sahbi Maâlaoui, est-il en train de botter en touche sur les réelles raisons qui menacent un secteur qui s’apparente à une vraie soupape sociale en temps de crise et de pandémie ? Un secteur qui observe des mutations profondes et qui est appelé à une restructuration pour ne pas sombrer dans les dédales de l’économie parallèle et, surtout, ne pas laisser libre cours aux barons de la friperie et des sociétés de commerce dans l’exercice de cette activité lucrative ?
La pandémie a chambardé le secteur
La pandémie de Covid-19, qui n’a fait que trop duré, a considérablement impacté le mode de vie dans les pays européens, principaux exportateurs de vêtements usagés. Ce qui a bouleversé de fond en comble un secteur pourvoyeur d’emplois, notamment dans les quartiers populaires, et dont profitent près de 90% des Tunisiens, toutes catégories sociales confondues. Même les soldes ne résistent plus à la razzia des vêtements d’occasion, en raison de leur prix et de leur qualité.
En 2021, la pandémie de Covid-19 a impacté l’économie mondiale pour la deuxième année consécutive, empêchant un redressement complet et équilibré des marchés du travail, selon le Bureau international du travail (BIT). Dans l’ensemble, les principaux indicateurs du marché du travail dans toutes les régions n’ont pas encore retrouvé leur niveau d’avant la pandémie. Pour toutes les régions, les projections jusqu’en 2023 indiquent qu’une reprise complète restera difficile à atteindre, ajoute l’instance internationale du travail. L’inquiétude des commerçants grossistes de friperie pourrait donc être légitime. Les longues périodes de confinement total observées à intervalles de temps et durant lesquelles les activités des friperies ont été totalement suspendues ont rendu la vie plus difficile aux commerçants du secteur.
En 2016, et avant la propagation de la pandémie, notre pays importait annuellement, plus de 80 mille tonnes de vêtements usagés qui sont répartis sur plusieurs dépôts dans toutes les régions du pays, d’après la Chambre nationale syndicale des commerçants grossistes fripiers. Trois ans après, le chiffre d’importation a plus que doublé, atteignant les 200.000 tonnes. Cela dénote toute l’importance du secteur qui est toujours, faut-il le signaler, menacé par la gangrène de l’informel. En effet, environ 2.000 commerçants détaillants de vêtements d’occasion exercent sans autorisation.
Quoiqu’il regroupe 288 commerçants de gros, 3.689 commerçants de détail, et environ 10.000 travailleurs exerçant sur le terrain, dont une grande majorité ne bénéficie pas d’une couverture sociale, selon des données officielles reprises par la TAP, et en dépit de son importance pour les Tunisiens, il semble que le secteur ne constitue pas une priorité pour les décideurs en termes de restructuration. Cela s’explique surtout par une faible valeur ajoutée et une évasion fiscale évidente.
Quant à ses défaillances, elles sont multiples: une faible valeur ajoutée (13 millions de dinars uniquement en 2013) et l’évasion fiscale (100 millions de dinars en 2013), outre des difficultés au niveau du contrôle douanier et l’importance des déchets générés (126 mille tonnes de déchets détruits en 2013).
S’adapter à des nouvelles donnes
Il est vrai qu’aujourd’hui le secteur traverse une période bien difficile en raison de la pandémie qui a considérablement impacté les échanges commerciaux et, conséquemment, freiné l’importation des vêtements usagés. Toutefois, c’est aux professionnels du secteur de s’adapter aux profondes mutations post-pandémie. Depuis son apparition, le Covid-19 a condamné à l’inactivité un très grand nombre de secteurs entiers. Cela sans compter la nécessité de s’organiser au mieux pour faire face aux nouveaux moyens de vente en ligne, à la démocratisation de la mode de seconde main, au nouveau chic qui fait bon genre dans les vide-greniers.
Aussi, faut-il faire face aux barons de la friperie qui imposent leur loi et à l’amplification de la contrebande en la matière. Régulièrement, les services de la douane tunisienne annoncent la saisie de plusieurs tonnes de vêtements d’occasion dans diverses régions du pays. En général, les propriétaires n’étaient pas capables de justifier la source de leur marchandise.
Au demeurant, le secteur passe de moments très difficiles en raison notamment de la pandémie, d’un manque flagrant d’organisations dû à l’instabilité politique depuis une décennie, de nouvelles formes de vente et d’exposition en ligne ou par le biais de vide-greniers, mais la friperie a de beaux jours devant elle, et sa disparition n’est pas pour demain.