Accueil Economie Tribune | Comment développer une économie verte ou comment l’hydrogène vert pourrait être l’élixir des maux de la Tunisie ? : Le problème des finances publiques (II)

Tribune | Comment développer une économie verte ou comment l’hydrogène vert pourrait être l’élixir des maux de la Tunisie ? : Le problème des finances publiques (II)

Par Chokri ASLOUJ*

En 2011 et pour la seconde fois consécutive dans la même année, la Tunisie a vu sa note souveraine abaissée, par l’agence de notation américaine Moody’s de B3 à Caa1 avec maintien d’une perspective négative. Moody’s s’attend à ce que le déficit budgétaire de la Tunisie atteigne 7,7% de son PIB en 2021 et 5,9% en 2022. Cela en dit long sur l’état des finances publiques. Si jamais un financement important n’est pas assurée rapidement, la Tunisie serait de fait en cessation de paiement envers ses créanciers, c’est-à-dire, en plus clair, l’Etat serait en faillite. A ce propos, on croit savoir, selon des informations officieuses non confirmées, que les vautours du Club de Paris sont déjà entrés en action, ils étaient observés décrivant leurs cercles rituels avant de s’abattre sur l’économie tunisienne agonisante.

Dans la loi de finances de 2022, le déficit budgétaire s’élève à 6,7% du PIB. En 2021, la dette extérieure de la Tunisie avait atteint un pic de 109 milliards de dinars (environ 30 milliards d’euros). Pour financer le budget de l’année en cours, la mobilisation d’emprunts de l’ordre de 19.983 MD répartis entre 12.652 MD d’emprunts extérieurs et 7.331 MD d’emprunts intérieurs serait nécessaire.

L’encours de la dette publique s’établirait en 2022, à 114.142 MD, ce qui représente 82,6% du PIB. Les dépenses de l’intérêt de la dette ont été fixées à 4.326 MD.

En gros, le secteur de l’énergie affecte négativement le budget de l’Etat et/ou les finances publiques et/ou la balance du commerce extérieur et/ou les réserves en devises, de cinq manières  différentes :

1- La couverture du déficit énergétique, qui est égal à plus de la moitié de nos besoins en énergie, et ce, par le recours massif à l’approvisionnement sur le marché international, moyennant l’utilisation de nos réserves en devises à hauteur d’environ 2 milliards de US $/an, rien que pour l’achat des produits pétroliers. Cette rubrique n’est bien évidement pas visible dans le budget de l’Etat, car l’import des produits pétroliers se fait à travers la Stir, qui, en tant qu’entreprise publique, jouit de l’autonomie financière. Il faudrait savoir que ce système a eu comme conséquence aberrante de placer la Stir de loin en tête de la liste des entreprises publiques déficitaires avec une ardoise de déficit net de plus de 612 millions de dinars, que l’Etat doit bien évidement apurer d’une manière ou d’une autre.

2- L’achat en devises du gaz naturel algérien et tunisien provenant des champs gaziers tunisiens, exploités par des multinationales, et ce, essentiellement pour les besoins de la production de l’électricité. A ce propos, la Steg a fait savoir que le déficit de 2 MD, publié dans son rapport comptable net pour l’exercice 2018, est dû à l’achat du gaz naturel en devises.

3- Le financement de la compensation, relative à la différence entre le prix subventionné à la pompe et le prix de revient réel des produits pétroliers. Conformément à la loi de finances 2022, les dépenses de compensation ont été fixées à 7.262 MD pour couvrir les subventions des hydrocarbures (2.891 MD) et du transport (600 MD), lesquelles peuvent  être considérées en bonne partie comme des subventions indirectes pour les hydrocarbures et le reste pour les produits de base.

4- La volatilité des prix du pétrole sur le marché international

Les variations abruptes et imprévisibles des prix des produits pétroliers sur le marché international, rend l’élaboration du budget de l’Etat un exercice à la fois incertain et périlleux. A titre d’exemple, la loi de finances 2021 a été élaborée sur la base d’un prix de baril à 45 US$, depuis, l’envolée des prix a atteint des pics de 79 US$ à la fin de 2021. En 2022 le budget est calculé sur la base de l’hypothèse de 75 US$ par baril, celui-ci a atteint déjà en fin du mois de janvier des prix dépassant le seuil de 90 US$, tendance haussière. Pour combler les trous budgétaires résultant de la divergence chronique entre les hypothèses sur les prix des hydrocarbures et les prix réels sur le marché, les budgets complémentaires, dits rectificatifs, relèvent désormais de la règle plutôt que de l’exception.

L’augmentation d’1 US $ sur le prix du baril coûte environ la bagatelle de 140 millions de dinars sur le budget de l’Etat par an. Devant cette situation, l’Etat et surtout le citoyen sont pris entre le marteau et l’enclume, car on est contraint en permanence à gérer le dilemme suivant : réduire drastiquement les subventions pourrait  déstabiliser le pays sur le plan social, compte tenu de la dégradation déjà insoutenable du pouvoir d’achat des Tunisiens ; en revanche augmenter la compensation risquerait de ruiner définitivement la trésorerie publique.

5- Les fluctuations des taux de change du dollar

En plus des fluctuations du prix du baril, les variations du taux de change du dollar viennent aggraver l’incertitude budgétaire, puisque l’achat des hydrocarbures sur le marché international se fait avec le billet vert. Pendant la dernière décennie, nous avons assisté à une dégringolade du taux de change du dinar vis-à-vis du dollar sous forme d’une dépréciation de plus de 50%.

Cerise sur le gâteau et comme si tout cela n’était suffisant, le gazoduc qui reliera l’Algérie à l’Italie via la Sardaigne, dans le cadre du projet Galci, risque de rendre redondant le gazoduc qui traverse actuellement la Tunisie pour acheminer le gaz algérien vers l’Italie. En conséquence, la redevance de 659 MD, que perçoit la Tunisie comme droit de passage et qui représente environ 19% des ressources non fiscales du budget de l’Etat risquerait de disparaître, laissant un grand trou béant dans les finances publiques.

Que faire ?

La situation financière pourrait paraître étriquée et même désespérée, pourtant la solution est bien simple. Le maître-mot serait de réduire les dépenses tout en augmentant les revenus. En effet, le développement massif des énergies renouvelables et l’utilisation à grande échelle de l’hydrogène vert et de ses dérivés dans les différents secteurs de l’économie nationale nous permettraient de combler notre déficit énergétique et de nous éviter de nous approvisionner en produits pétroliers sur le marché international, ce qui allégera les finances publiques d’un lourd fardeau. De plus, la conversion des turbines à gaz de la Steg pour fonctionner à l’hydrogène, nous évitera également d’acheter du gaz naturel algérien en devises. Par ailleurs, et bien que je sois conscient des considérations géopolitiques et des conséquences que cela pourrait entraîner, je pense que notre pays ne devrait plus continuer à avaler des couleuvres en achetant à prix fort et en devises son propre gaz naturel. Sur fond de la crise ukrainienne, l’Europe s’est retrouvée sans marge de manœuvre pour riposter contre les dangers qui la guettent, et ce, à cause de sa dépendance du gaz naturel russe. Les Européens et surtout l’Allemagne, avec laquelle la Tunisie a signé en décembre 2020 l’accord sur l’Alliance tuniso-allemande pour l’hydrogène vert, ont donc tout intérêt à s’affranchir de cette dépendance, en développant des sources d’approvisionnement en hydrogène vert qui soient proches, sûres  et bon marché. Les pays du Maghreb, en général, et la Tunisie, en particulier, jouissent à cet égard d’avantages concurrentiels importants et s’invitent comme les candidats idéaux pour jouer ce rôle. Il serait tout à fait pensable que les partenaires européens de la Tunisie accepteraient alors de convertir sa dette extérieure en investissements dans des projets d’énergies renouvelables et d’hydrogène vert, si on arriverait à bien négocier un «deal» sur la base d’une formule «win-win».

*(Ingénieur, ancien président du Conseil des sciences de l’ingénieurLe Think tank de l’Ordre des ingénieurs tunisiens)

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