
Soutien indéfectible du bâtonnier Brahim Bouderbala au Comité de défense des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi lors de la conférence de presse organisée hier à Tunis. C’est que derrière les assassinats politiques des deux martyrs Belaïd et Brahmi et l’organisation secrète présumée du parti Ennahdha, se dissimule une pieuvre qui semble toujours à l’œuvre, aux tentacules énigmatiques. Il ne s’agit plus cette fois de nouvelles informations qui demeurent sans suite, mais de révélations très graves qui dévoilent un complotisme qui a pris en otage l’Etat tunisien une décennie durant et notamment la justice, conduisant aux assassinats politiques, à la prolifération des réseaux d’envoi des jeunes vers les zones de conflits, au martyre de nos soldats et sécuritaires dans des opérations terroristes. Rien ne sera plus comme avant. Des preuves plus que tangibles ont été apportées au moment de la conférence incriminant le président du parti Ennahdha Rached Ghannouchi ainsi que l’ancien procureur près le tribunal de première instance de Tunis Bechir Akremi. Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) n’a pas été épargné. Ce n’est qu’un conseil de façade, rien de plus, a martelé l’avocat Abdennaceur Laouni.
Le temps n’était plus aux simples accusations hier, mercredi 9 février, à l’occasion de la conférence de presse tenue par le Comité de défense des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, mais plutôt à la présentation de preuves démontrant l’existence de l’organisation secrète du parti Ennahdha, de l’implication de certains juges dans des tentatives visant le blocage des dossiers des assassinats politiques, ainsi que l’organisation en question avec la complicité de hauts cadres sécuritaires. Cinq juges se sont relayés sur l’assassinat de Belaïd sans pour autant dévoiler la réalité autour des commanditaires. «Il n’est plus permis de parler lenteur dans le traitement de ce dossier et de celui de l’organisation secrète, mais plutôt de complicité», ont souligné les membres du comité.
La mutation pour éviter les dossiers des assassinats politiques !
Le parti Ennahdha, a tout fait avec l’aide de l’ancien procureur de la République Bechir Akremi pour endiguer l’évolution de l’enquête, a fait savoir le président des jeunes avocats, Tarek Harakati, tout en adressant des critiques acerbes à l’égard du CSM et en n’hésitant pas à le qualifier de foire d’empoigne. L’institution en question fait partie de la crise et de tous les problèmes qui ont conduit à la non-indépendance de la Justice, se sont accordés à témoigner les membres du Comité, dont l’avocat Abdennaceur Laouini. Des plaintes ont été déposées à l’encontre de certains juges qui ont tenté d’enterrer les dossiers relatifs aux assassinats politiques et à l’organisation secrète du parti Ennhahdha et autour de la chambre noire du ministère de l’Intérieur qui n’a pas toujours livré tous ses secrets.
A ce titre, l’avocat Koutheir Bouallegue, membre du comité de défense des deux martyrs, a rappelé que certains juges à qui ont été confiés des dossiers relatifs à l’organisation secrète du parti Ennahdha et la chambre noire du ministère de l’Intérieur, ainsi que d’autres dossiers mettant en cause des actes d’espionnage tournés contre l’Etat, ont demandé leur mutation sous différents prétextes, dont le fait qu’ils ont été soumis à des pressions sur les réseaux sociaux. Ces demandes de mutations n’avaient pas fait l’objet de refus de la part du CSM.
Il a accusé l‘une des magistrates du tribunal de première instance de l’Ariana d’avoir à son tour enterré ces dossiers et aucun accusé n’a été convoqué, bien qu’ils aient été cités dans les dossiers. Parmi ces accusés figuraient Rached Ghannouchi et des hauts directeurs sécuritaires. «C’est une justice qui ne mérite pas le respect puisque nous avons été privés de notre droit d’accès à la justice», a-t-il regretté.
Plainte contre Ghannouchi et Akremi pour atteinte à la sécurité du pays
et blanchiment d’argent
Il va sans dire que ces accusations ne rapportent rien de nouveau en dépit de leur gravité. Ce sont plutôt les révélations faites lors de la conférence autour de l’implication en 2013 de l’association Namaa (créée en 2011) dans des activités douteuses d’envoi des jeunes vers les zones de conflits qui constituent la mauvaise surprise pour le parti Ennahdha. Ce dossier n’a jamais livré ses secrets malgré la mise en place d’une pseudo-enquête parlementaire.
En apparence, l’association Namaa encourageait l’investissement étranger, mais ce n’était qu’une activité-écran, selon les affirmations du membre du comité Ridha Raddaoui. En contrepartie, de l’argent était viré par le cabinet royal dans un compte au nom du président d’Ennahdha au Qatar. Mais très vite, l’enquête a piétiné après intervention du juge Bechi Akremi et l’affaire n’est plus à l’ordre du jour.
Raddaoui explique plus loin qu’un certain Najeh Haj Letaief fut le représentant d’une société étrangère active en Tunisie dans le textile. Il était en relation avec Rached Ghannouchi et avait des rapports avec certains dirigeants nahdhaouis. C’est après son renvoi pour implication dans une affaire de vol d’argent que son successeur a eu vent des emails échangés entre Najeh et Ghannouchi, ainsi qu’avec d’autres dirigeants nahdhaouis sur l’adresse électronique professionnelle de la société. Le Comité a pu accéder à ces emails et a découvert des sommes d’argent d’environ 50 MDT. L’argent transitait facilement en provenance du Qatar puisque Ali Laârayedh était ministre de l’Intérieur à cette époque et les dirigeants nahdhaouis pouvaient transiter avec leurs invités par le salon VIP en toute quiétude. D’autres mails découverts sont en rapport avec des documents internes de Nida Tounès avant même sa constitution officielle. Une intrigue de plus.
Par ailleurs, le comité a révélé les multiples rencontres, dans un hôtel à Gammarth, entre Ghannouchi et le PDG d’une société de télécommunications d’origine qatarie qui finance Ennahdha, selon Raddaoui.
Ces rencontres organisées dans une suite de l’hôtel sont couramment précédées d’inspections effectuées par une équipe technique et parfois en présence de son fils Mouadh. Le comité a déposé des plaintes à ce sujet auprès de la justice militaire à l’encontre de Rached Ghannouchi, son fils Mouadh et l’ancien procureur Bechir Akremi et de hauts cadres sécuritaires pour atteinte à la sécurité intérieure et extérieure de l’Etat et blanchiment d’argent.
Le doyen des avocats Brahim Bouderbala retenait à peine son émotion à la lumière des révélations et de la teneur du travail du comité en raison notamment des preuves accablantes présentées lors de la conférence. Il a espéré que les juges tiendront compte de ce travail colossal pour faire éclater la vérité, toute la vérité, rien que la vérité pour toute la Nation.
C’est le prélude à un réel virage politique. On s’adresse aujourd’hui aux juges pour qu’ils assument leurs responsabilités dans ces divers dossiers, pour que tout le monde sache qui a programmé et qui a exécuté de sang-froid les assassinats de Belaïd, Brahmi, de nos braves soldats et sécuritaires. La domestication du peuple ne passera pas, a-t-il martelé
Le comité ne se contentera plus d’organiser des conférences de presse pour les medias, mais passera à une nouvelle forme de protestation sur le terrain. Ainsi des sit-in sont prévus aujourd’hui, jeudi 10 février, devant le Conseil supérieur de la magistrature, le vendredi 11 devant la Cour d’appel de Tunis et le samedi devant la demeure de Rached Gahnnouchi.
Photo : Koutheir Khanchouch