Lors de sa rencontre avec le vice-président du bureau de la Banque mondiale (BM) dans la région Mena, Férid Belhaj, le Président de la République a jeté un pavé dans la mare en l’informant qu’un don d’une valeur de 500 millions de dollars au profit de notre pays s’est volatilisé et n’est pas parvenu en Tunisie. Ce n’est pas la première fois que le locataire de Carthage lance de telles accusations qui ne font que dénoncer la décomposition institutionnelle et la décadence d’une certaine classe politique échappant à tout contrôle.
Lors d’un Conseil ministériel tenu en octobre dernier, Kaïs Saïed a demandé à la ministre des Finances, Sihem Boughdiri Nemsia, de procéder à un audit global des dons et prêts obtenus par notre pays durant ces dernières années. «Où sont passés ces fonds et ces prêts accordés à la Tunisie par des pays étrangers ? Le temps est venu pour rendre des comptes et pour que chacun assume sa responsabilité», avait-il martelé. Par la même occasion, il a dévoilé qu’une partie de cet argent destiné au peuple a été transférée à l’étranger sans pour autant apporter d’autres éclaircissements autour de cette grave question qui remet en cause la crédibilité des gouvernements qui se sont succédé depuis le 14 janvier 2011.
Une conjoncture difficile
L’audit risque de s’étendre dans le temps en raison notamment de la complexité du dossier relatif aux crédits alloués à la Tunisie une décennie durant. Du pain sur la planche pour la commission spéciale qui sera chargée de faire un audit sur la gestion des dons et des crédits accordés à la Tunisie depuis 2011. Ce n’est guère une tâche facile d’autant plus que la Banque mondiale et l’Union européenne sont dotées de mécanismes de contrôle et de suivi assurant la traçabilité des crédits et des dons. C’est donc à la nouvelle commission spéciale de mettre en évidence les éventuelles fraudes.
A ce titre, un ancien diplomate nous confirme que les dispositifs de contrôle mis en place au sein de l’Union européenne et la Banque mondiale en matière de contrôle, d’audit et d’obligation de rendre des comptes sont très rigoureux quand il s’agit de crédit ou de don. La même source a qualifié de très graves les révélations faites par le Président de la République en présence du président du bureau de la BM dans la région Mena autour d’un don de 500 millions de dollars qui n’a pas atterri en Tunisie comme le lui avait indiqué un haut responsable.
Cherchant à faire tomber dans le discrédit les gouvernements qui se sont succédé ces dernières années, Kaïs Saïed n’y va pas par quatre chemins pour légitimer aussi les mesures d’exception prises depuis le 25 juillet 2021, dont le gel de l’ARP et la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature. «La situation économique ne s’est pas améliorée, elle s’est plutôt dégradée», fait-il savoir à son invité lors du même entretien. Il fait de la lutte contre la corruption et le renforcement de l’indépendance de la justice son cheval de bataille.
Une décision bien accueillie
«Ce qui est en jeu dans une démocratie, c’est la redistribution : aider à l’enrichissement et à la consolidation des classes moyennes pour tirer vers le haut les plus démunis et rendre moins insupportable le fossé avec les plus privilégiés. Mais c’est difficile de faire bouger les lignes économiques en Tunisie. Plus difficile que de les faire bouger au niveau sociétal», telles furent les paroles de l’ancien ambassadeur de l’Union européenne Patrice Bergamini publiées dans le journal Le Monde, le 09 juin 2019. La position de ce dernier est très proche de celle du locataire de Carthage qui, à maintes reprises, avait pointé la mainmise de certains monopoles sur l’économie du pays. «Certains groupes familiaux n’ont pas intérêt à ce que de jeunes opérateurs tunisiens s’expriment et percent», avait mis en garde l’ancien ambassadeur de l’UE, Bergamini.
Pour rappel, la Tunisie a reçu de 2011 à 2018 de la part des Européens environ 10 milliards d’euros, mais en raison de la mauvaise gestion et à défaut de profondes réformes dans tous les secteurs et en l’absence de consensus politique, le pays s’est enfoncé encore plus dans la spirale de la dette. On est en droit de se demander, une décennie après, qu’a fait l’Etat de ces crédits et des autres fonds alloués par des pays étrangers ? La création d’une commission pour auditer les crédits et les dons obtenus par la Tunisie a été bien accueillie par l’Ugtt selon une déclaration de son porte-parole Sami Tahri, alors que du côté des partis politiques, le Parti destourien libre (PDL) avait déjà appelé dans un communiqué publié récemment à exiger un audit global des dons et prêts obtenus par la Tunisie depuis 2011.
Notons qu’à la suite de la rencontre entre Kaïs Saïed et le vice-président du bureau de la BM dans la région Mena, Férid Belhaj, l’ambassadeur de l’UE en Tunisie, Marcus Cornaro, a publié le statut suivant sur son compte facebook : «Bon échange sur le soutien des partenaires internationaux de la Tunisie, notamment les réformes socio-économiques, cruciales pour toute sortie de crise. Bonne continuation de la mission».