Sur nos écrans actuellement, le film «Insurrection» de Jilani Saâdi. Un cinéma particulier qui s’est nourri des expériences «pas du tout financées» de «Bidoun». Cette fois le réalisateur a fait un film avec beaucoup plus de moyens et il nous en parle.
«Insurrection» est-il le début d’un nouveau registre dans votre cinéma ou l’aboutissement de toutes les expérimentations de «Bidoun»?
C’est plutôt la clôture du registre «Bidoun» mais avec plus de moyens. Cela m’a permis de m’amuser plus, de m’offrir une image de qualité, un chef opérateur à bord, un ingénieur son de qualité, des drones, etc. Enfin les techniques nécessaires pour la réalisation d’un film. Après les frustrations des trois derniers films, j’ai pu enfin réaliser celui-là correctement quand on m’a accordé enfin un soutien financier. Je dirais qu’«Insurrection» n’est pas un «Bidoun» mais c’est revenir à quelque chose avec l’inspiration des «Bidoun». Ce que j’ai appris avec «Bidoun», je l’ai mis, techniquement, dans un film financé… Toute cette liberté de ton, toute cette capacité à jouer avec la caméra et les angles en dehors des règles et de la grammaire classique du filmage, je les ai poursuivis dans ce film. C’est quelque chose que je n’abandonnerai plus. Cela fait partie de mon style.
En parlant de style nous sommes dans une sorte de science-fiction entre Méliès et la Bande dessinée.
Oui, pour moi, cela fait partie d’un langage cinématographique. Il y a le registre où j’ai emprunté à la science-fiction. L’apparition de Tunis de loin n’est pas non plus sans nous rappeler Méliès en nous ramenant à l’histoire du cinéma avec la fusée dans l’œil de la lune. J’ai essayé de mêler tous ces éléments ensemble et d’ailleurs même la couleur du film fait un peu genre bande dessinée.
On a l’impression que vous avez fait du drone un personnage du film …
Je voulais déjà utiliser le drone dans «Bidoun» mais je n’avais pas les moyens… Dans «Insurrection», filmer déjà les personnages de cette manière est impressionnant. Mais pendant le tournage cela faisait pression parce que le drone est utilisé normalement pour faire de jolis mouvements de caméra, mais dans «Insurrection» il était comme un plan fixe qui suit les acteurs… En cela créée un poids pour le spectateur…
Est-ce le point de vue de «Dieu» ?
On ne sait pas qui regarde… Dieu ? Un satellite ou autre ? D’ailleurs depuis la naissance de l’humanité nous avons l’impression d’être regardés d’en haut… De la spiritualité il y en a, bien entendu… De toute façon, dans tous mes films, il y a une part de spiritualité depuis «Khorma».
Cela transpirait aussi sur la musique du film…
La musique du film est presque soufiste dans son rythme. Elle a installé cette quête de l’absolu tout en racontant une souffrance. L’émeute contre l’autorité était un cri de désespoir. Pour moi c’est la même chose que la chanson «Al Jallad» qui est une complainte soufiste de quelqu’un qui demande à son bourreau d’arrêter de lui faire du mal.
Qu’est-ce qu’il y a derrière ce vieux paraplégique ?
C’était moi qui devais jouer ce rôle mais je n’avais pas le temps de le faire. Le personnage représente en fait une forme de passé qu’on traîne avec nous et qui est assez lourd et qui nous empêche de nous émanciper. Cela a aussi un rapport avec le père qui est embêtant et castrateur et dont on a du mal à se débarrasser dans le sens psychanalytique du terme .
Le côté politique dans le film est traité en filigrane, on n’entendait que les voix des politiciens.
J’ai voulu traiter le côté politique dans son impuissance. J’ai mis en voix off des discours anachroniques racontés par des hommes politiques dont on ne sait pas d’où ils sortent et qui sont complètement déconnectés de la réalité de ces quatre personnes qui déambulent dans la rue et qui se battent pour exister.