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Par Abdel Aziz HALI
ANALYSE | Nul doute, après cinq jours d’offensive russe, le sort de l’Ukraine semble compromis vu la supériorité du contingent militaire déployé par le Kremlin.
Toutefois, Vladimir Poutine semble être dans une impasse militaire, pour ne pas dire acculé dans le traquenard ukrainien… et ce malgré l’encerclement, jusqu’à l’écriture de ces lignes de Kiev et de plusieurs villes de l’Est et du Sud.
En effet, les grands desseins du maître du Kremlin misaient sur un «Blitzkrieg» (guerre-éclair) qui devait mettre à genoux les défenses ukrainiennes et précipiter leur capitulation face aux forces de l’infanterie russe et ses unités tactiques.
Poutine voulait également pousser les officiers de l’armée ukrainienne à faire défection et les inciter à s’insurger contre le pouvoir en place, voire renverser le président Volodymyr Zelensky. Mais voilà, les plans du président russe sont tombés à l’eau. Il n’a pour le moment atteint aucun de ses objectifs.
Parallèlement, les forces armées russes ne s’attendaient pas à un tel sursaut d’orgueil des combattants ukrainiens.
La résistance bleu et jaune a surpris tout le monde. Et l’agression russe a fini par raviver la flamme nationaliste et renforcer l’élan patriotique de soldats ukrainiens, bien épaulés (à distance) par les Occidentaux en termes de renseignements (couverture satellitaire, suivi tactique des opérations russes, etc.) et de livraison d’armes modernes et sophistiquées.
Par ailleurs, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a gagné la bataille de la communication sur les réseaux socionumériques (Twitter, Instagram, Telegram, Facebook, etc). Une com’ fluide, dynamique et touchante contre une stratégie communicationnelle classique, stéréotypée et ennuyeuse du président russe à partir de sa tour d’ivoire (bureau) au Kremlin via la chaîne de TV étatique de la Fédération russe.
Manifestement, Poutine et ses généraux ont, non seulement, sous-estimé le charisme oratoire galvaniseur de foules et le magnétisme d’un ex-comédien et humoriste — star du petit écran —, mais aussi les capacités défensives de l’armée ukrainienne.
Face à une farouche résistance des forces armées ukrainiennes, notamment aux portes de Kiev et Kharkiv, le maître du Kremlin a fini par changer son fusil d’épaule en ayant concentré depuis, avant-hier, ses «opérations spéciales» sur les villes de l’Est et du Sud ukrainien.
Après avoir conquis partiellement Marioupol (ville portuaire et principalement centre industriel du pays) et Melitopol, actuellement, les bombardements russes ciblent, principalement, Kharkiv (2e plus grande ville de l’Ukraine), Odessa (la 3e plus grande ville d’Ukraine et l’une des plus riches du pays) et Tchernihiv (une ville située sur la rive droite de la Desna, à 131 km au nord de Kiev), tandis que la chute des villes assiégées dans le Sud, notamment Berdiansk et Kherson (un important port de la mer Noire et du fleuve Dniepr ainsi que le siège de chantiers de construction navales), entre les mains des forces armées de Poutine semble inéluctable.
Il est à signaler que la conquête des trois villes du Sud — Marioupol, Melitopol et Berdiansk — représente un double enjeu stratégique pour Moscou: primo, faire la jonction entre le Donbass (les républiques séparatistes de Donetsk et Louhansk) et la péninsule de Crimée, annexée par la Russie en 2014. Secundo, priver, surtout, Kiev de son poumon industriel, Marioupol.
En revanche, la chute de la ville de Kharkiv — un des plus importants centres industriels, culturels, scientifiques et universitaires d’Ukraine — serait un coup dur pour le pouvoir ukrainien. À l’image de Stalingrad lors de la Seconde guerre mondiale, Kharkiv est la clef de voûte de cette guerre et la pierre angulaire de l’offensive russe pour asseoir sa suprématie sur l’Est ukrainien.
Assurément, Poutine veut désormais scinder l’Ukraine en deux en suivant la frontière naturelle tracée par le Dniepr:
- Une rive Est sous contrôle/influence russe.
- Une rive Ouest sous l’étendard ukrainien.
Aux dernières nouvelles, l’armée russe a reconnu, avant-hier, pour la première fois enregistrer des pertes humaines au cours de ses opérations militaires sur le territoire ukrainien, sans pour autant donner des chiffres.
Dans le camp adverse, l’armée de l’Ukraine parle de plus de 4.300 soldats russes tués contre des dizaines de militaires ukrainiens.
Et pour ne pas conclure, devant l’avalanche de sanctions économiques/financières (l’exclusion de plusieurs banques russes du système interbancaire Swift et le gel des avoirs de la Banque centrale russe) et le tsunami des annonces de fermeture de l’espace aérien (européen et canadien) aux jets (privés) & compagnies aériennes russes, Poutine a annoncé avant-hier mettre en alerte la «force de dissuasion» de l’armée russe.
Malgré la tenue de pourparlers entre Russes et Ukrainiens, près de la centrale nucléaire de Tchernobyl, à la frontière ukraino-biélorusse, le «coup de bluff» du président russe (recours à la menace nucléaire) montre à quel point ce dernier est aujourd’hui isolé sur la scène internationale, pour ne pas dire dos au mur.
Certes la puissance militaire de Moscou est indiscutable, mais pour contrôler le deuxième plus grand pays d’Europe en termes de superficie (603.548 km²), le régime russe est bien parti pour s’enliser dans le bourbier ukrainien.
Et tout porte à croire que l’étau qui devait se resserrer autour de Volodymyr Zelensky s’est retourné contre Poutine : c’est l’effet boomerang dans un conflit qui est bien parti pour durer.
A.A.H.