Accueil Société Reportage — Marché el Yahoudia: Rien ne se perd, tout se récupère

Reportage — Marché el Yahoudia: Rien ne se perd, tout se récupère

A l’une des sorties sud de Tunis, et au bout de sept kilomètres, une vue particulière s’offre aux passants : un mur blanc se dresse tout le long du trottoir gauche. Ce mur s’étale sur une distance d’un kilomètre environ, il délimite tout un cimetière… ce n’est pas celui des humains, détrompez-vous, c’est celui des voitures…

Le marché El Yahoudia  est un grand espace qui englobe une infinité de carcasses de voitures accidentées et entassées pêle-mêle sur un vaste terrain servant de refuge pour tout engin accidenté. Un amalgame de couleurs, de tôles disparates, d’ailes, de capots de pare-chocs, de vitres, de phares, de feux de route, de vitres avoisinant les confortables fauteuils d’une BMW ou d’une Ford jadis éclatante, hélas «morte» aujourd’hui, sans parler des différentes pièces mécaniques de toutes marques : blocs moteurs, boîtes de vitesses, roues pneumatiques de toutes dimensions, défectueuses et «bonnes», vieilles et «neuves», toutes démontées pour attirer les éventuels clients en quête de pièces auto. Ce lieu s’appelle El Yahoudia, refuge des uns,  secours des autres où rien ne se perd, tout se retrouve !

Un marché auxiliaire

En effet, les pénuries périodiques de quelques pièces de rechange se trouvent aléatoirement comblées par l’épanouissement d’un marché auxiliaire de pièces semi-usées récupérées du lot quotidien des voitures endommagées, dont l’état ne peut connaître un sort meilleur que celui de la casse.

Il paraît, dès lors, commode de démonter les «organes» encore vivants de ces engins accidentés et de les vendre afin de servir à d’autres véhicules qui sillonnent encore les routes.

«Nombreux sont les clients qui s’approvisionnent à El Yahoudia», nous confie Trabelsi, un jeune vendeur qui semble ne pas ignorer les aléas du marché des pièces auto. Pour ce faire, il dispose d’une liste indicatrice des pièces auto introuvables au jour ‘‘J“ et d’une autre liste complémentaire des pièces de rechange avec les prix de vente des maisons mères. «Je fixe mes prix en fonction de ceux affichés dans les agences de vente des pièces d’origine, tout en tenant compte de quelques considérations, telles que la disponibilité de la pièce recherchée, son état, son âge et surtout la bourse des clients qui, fuyant les magasins et les maisons mères, espèrent récupérer ici une pièce en bon état de marche et à un prix adéquat».

Les bonnes affaires

Aux clients appartenant à la classe moyenne, se substituent ceux de la classe aisée. Les propriétaires de voitures de luxe qui, parfois touchés par la pénurie, considèrent El Yahoudia en tant que lieu de secours où toutes les pièces de rechange sont relativement trouvables et il suffit de s’armer de courage et de bonne volonté  pour pouvoir dénicher la perle rare tant convoitée et dont on a expressément besoin. « Une fois trouvée, on passe à la seconde étape: la discussion du prix qui fait souvent l’objet d’un dilemme, excessif pour les uns, abordable pour les autres », témoigne ce monsieur qui a dû payer 200 dinars pour une paire de cardans, alors qu’elle est vendue à 420 dinars à la maison mère (pièces d’origine), soit 53% d’écart.

Quant au vendeur disposant d’un lot contenant une centaine de véhicules accidentés servant d’épaves, il pense que cet écart est honnête, dans la mesure où il est appelé à assurer sa propre marge bénéficiaire et payer les taxes y afférentes.

«L’achat à El Yahoudia est une affaire de coups de chance», nous explique un autre monsieur qui semble fier d’avoir déniché une roue pour son Isuzu ancien modèle : «Parfois on tombe sur une pièce semi-usée dont le rendement est tout à fait médiocre, comme on peut récupérer une pièce encore neuve, de surcroît d’origine et dont la durée de vie semble respectable».

Cet avis est partagé aussi par d’autres clients habitués de ce lieu qui préfèrent parfois les pièces détachées d’origine récupérées à la ferraille que celles qui sont neuves et commercialisées dans les magasins, mais qui sont adaptables.

T.A., commerçant venant d’El Fahs, semble satisfait du prix négocié avec le vendeur concernant l’acquisition d’une culasse Honda: «Je viens de payer la bagatelle de huit cents dinars pour cette pièce introuvable sur le marché et dont le prix d’origine dépasse les mille dinars».

Trafic frauduleux

Toukébri, la soixantaine sonnante, disposant d’un lot numéroté à El Yahdoudia, nous a longuement parlé de ce lieu trop sollicité selon ses dires par les citoyens de tous les niveaux :

«Environ 150 lots de voitures accidentées se répartissent sur une distance d’environ 1km sur la route d’El Fahs. Dans chaque lot, s’entassent pêle-mêle les carcasses des voitures accidentées, et Toukebri de poursuivre : «Je vends tout ici, les pièces de rechange toutes marques confondues et les épaves des véhicules, malheureusement ceux-ci font parfois l’objet d’un trafic frauduleux axé, entre autres, sur la possibilité de transférer l’identité d’un véhicule épave à un autre de même marque et qui a fait l’objet d’un vol».

Tout  liquider

Subissant la loi de l’offre et de la demande, El Yahoudia se considère comme tout autre marché où les transactions se font à deux niveaux : du propriétaire au casseur par le biais d’un expert auto et du casseur vendeur à l’acheteur. Une fois les pièces démontées et vendues, les carcasses seront à leur tour englouties et broyées par les fonderies pour les reconvertir en métal et les réintroduire de nouveau dans le cycle de la production. N’est-ce pas là une façon de délimiter le gâchis et d’éviter le gaspillage?

«Néanmoins, tout ce beau monde de pièces métalliques et de tôles exposées, à même le sol, à ciel ouvert, demeure à la merci de Dame Nature qui, une fois en colère ramasse tout ce qu’on peut récupérer… bon et mauvais». Cette remarque émanant de Am Khémaïes, un chevronné de la ferraille, se passe de tout commentaire. Mais que peut-il faire? Lui qui a passé son temps à se balader d’un coin à l’autre, jadis, il gérait la casse de Lafayette, puis il a passé cinq ans à la casse de Mégrine. Aujourd’hui, il est à El Yahoudia… demain il sera certainement ailleurs…

Tarek ZARROUK

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