«Pour le contentieux, qui est géré par l’État, il est souhaitable d’attendre l’issue finale avant d’émettre quelque opinion que ce soit, au risque de mal informer l’opinion publique sur cette question… »
Après avoir constaté la cessation de paiement de la Banque franco-tunisienne et l’impossibilité de son redressement, la Commission de résolution des banques et des établissements financiers en situation compromise a annoncé avoir procédé à la transmission d’un rapport au Tribunal de première instance de Tunis pour rendre un jugement de dissolution et de liquidation de la BFT et désigner un liquidateur conformément aux dispositions en vigueur. Et donc, 66 ans après son indépendance, la Tunisie connaît, aujourd’hui, sa première liquidation bancaire, un dossier complexe de plusieurs décennies de contentieux et qui divise toujours la sphère financière entre ceux qui estiment que la faillite de la BFT peut causer une crise économique majeure, ce qui portera atteinte à l’image du pays, et ceux qui insistent sur l’absence d’impact de la faillite de la banque sur le secteur bancaire et financier, étant donné que le volume des engagements interbancaires et des transactions était insignifiant.
Un long feuilleton judiciaire et financier
Dans un entretien accordé à La Presse, Jaâfar Khattech, directeur général du Fonds de garantie des dépôts bancaires (Fgdb), a indiqué que cette liquidation fait suite à plusieurs tentatives de redressement et de restructuration avant d’arriver à l’étape de résolution, qui a pu avoir lieu grâce à la promulgation de la loi bancaire de 2016. D’après lui, «cette loi a révolutionné la législation en matière de résolution bancaire par un ensemble d’articles spécifiques qui l’ont affranchie de l’application du droit de faillite des entreprises qui ne répondaient pas aux spécificités des intermédiaires agréés bancaires et des établissements financiers».
«En conséquence de ce qui précède, certes le feuilleton judiciaire a impacté négativement le redressement de la banque. Néanmoins, ce parcours est totalement indépendant du processus de résolution. Et là je rappelle que la commission de résolution est une commission technique qui s’est appuyée dans sa décision de liquidation sur des données et analyses purement financières, qui ont mené à une confirmation de l’impossibilité de poursuite du plan de résolution», a-t-il souligné.
Quel impact sur la stabilité financière ?
C’est en fait la question qui agite toute la presse (nationale et internationale) et qui divise les économistes, laissant encore de nombreuses questions ouvertes. De l’avis de M. Khattech, prendre une telle décision n’était pas facile mais ne pas la prendre peut s’avérer catastrophique et peut même aggraver la situation et amplifier par la suite son impact négatif sur le secteur bancaire et financier. Mais dans l’état actuel des choses, le poids de la BFT est tellement faible que l’impact de cette opération de liquidation sur la stabilité financière est quasiment nul.
Parlons chiffres, le DG du Fgdb a précisé que la BFT présente 0,02% des dépôts de la place et 0,03% des engagements. Et avec un pilotage des effets intermédiaires en matière de compensation et de systèmes de paiement conduit avec efficacité par la Banque centrale de Tunisie (BCT), on a évité tout tracas durant les jours qui ont suivi le 28/02/2022, date de notification de la cessation de paiement de la BFT.
«Par ailleurs, un liquidateur sera nommé par le Tribunal de première instance de Tunis et aura à charge de poursuivre les affaires en recouvrement de portefeuille, en cession des actifs de la Banque entre autres, et on ne pourra parler de bilan final de cette opération qu’après la fin des travaux du liquidateur. Pour le contentieux, qui est géré par l’État, il est souhaitable d’attendre l’issue finale avant d’émettre quelque opinion que ce soit, au risque de mal informer l’opinion publique sur cette question», a-t-il encore précisé.
Indemnisation : que dit la loi ?
Il est vrai que la BCT a tenu à rassurer les déposants que le Fgdb procédera à leur indemnisation dans les délais légaux et dans la limite d’un plafond de 60 mille dinars pour chaque déposant. Mais pour les sommes dues au-delà de ce plafond, les déposants sont désintéressés à partir du produit net de la liquidation de la banque selon l’ordre des créanciers prévu par la loi bancaire. Une clause qui pourrait être problématique pour un bon nombre de clients…
Face à cette situation, M. Khattech n’a pas manqué de rappeler que quatre ans après la mise en place du Fonds de garantie des dépôts bancaires, durant lesquels ont été mis en place ses structures administratives, la constitution de son équipe, de son statut, son dispositif opérationnel ainsi que le dispositif de contrôle interne et d’audit, le fonds a travaillé sur la mise en place d’une plateforme pour l’indemnisation des déposants d’une banque en cessation de paiement et est tout à fait prêt à prendre en charge l’indemnisation des déposants de la BFT et de la financer sur ses propres ressources, évitant d’alourdir le budget de l’Etat comme cela était théoriquement conçu sous l’ancienne loi bancaire.
«En conséquence de tout ce qui précède, et pour le cas de la BFT, 99,99% des déposants seront indemnisés pour la totalité de leurs dépôts (qui sont inférieurs à 60 mille dinars). Seuls quatre déposants, d’après les données provisoires, ont des soldes supérieurs à 60 mille dinars, et ils sont en rang, privilégiés sur la grille de répartition des produits de liquidation, soit le deuxième rang précédant l’État, les caisses sociales et les autres créanciers, y compris le Fgdb», a-t-il affirmé.
L’autre point qui mérite d’être souligné est le sort des employés de la banque. A ce niveau, M.Khattech a rappelé qu’un accord a été conclu entre l’Association professionnelle des banques tunisiennes et des établissements financiers (Aptbef) et les banques de la place pour recruter les 67 employés en exercice. Sachant que plus de 120 employés ont bénéficié d’un plan d’assainissement social opéré durant la période de résolution.