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Par Abdel Aziz HALI
Beaucoup bien plus indépendants du pétrole russe que leurs alliés européens, les États-Unis — via leur président Joe Biden portant cravate jaune et bleu (un clin d’œil aux couleurs du drapeau ukrainien) — ont annoncé l’interdiction des importations américaines de pétrole et de gaz russe, l’arme énergétique du régime de Vladimir Poutine.
Cette décision a été prise « en coordination étroite » avec les alliés des Etats-Unis, a déclaré le chef de l’État américain. « Nous ne contribuerons pas à subventionner la guerre de Poutine. »
La Grande République américaine est un exportateur net d’énergie, c’est-à-dire qu’elle produit plus de pétrole et de gaz qu’elle n’en consomme, a rappelé Joe Biden. «Nous pouvons prendre cette décision, alors que d’autres ne le peuvent pas», a-t-il fait savoir.
Seulement 8% des besoins du pays de l’Oncle Sam en pétrole (3%) et produits pétroliers (5%) russes sont assurés par la Russie, contre près de 30% pour l’Europe.
En revanche, si près de 40% des importations européennes en or bleu (gaz) proviennent de la Russie (55% pour l’Allemagne), Moscou n’alimente pas le marché américain (grand producteur de gaz de schiste et autosuffisant-ndlr) de sa principale richesse.
Il est à rappeler qu’en 2021, l’énergie représentait 62% des importations de l’Union européenne (UE) en provenance de Russie. Le régime russe assure ainsi 20% des besoins du Vieux Continent en pétrole brut et 40% de ses besoins en gaz.
« Mais nous travaillons étroitement avec l’Europe et nos partenaires pour mettre en place une stratégie de long terme afin de réduire leur dépendance vis-à-vis de l’énergie russe. », a renchéri Joe Biden. « Nous restons unis dans notre intention de maintenir une pression croissante sur Poutine et sa machine de guerre ».
Ainsi, l’impact de cette décision du locataire de la Maison-Blanche semble plus gérable pour l’administration Biden. Certes, les États-Unis peuvent, théoriquement, pomper dans leurs réserves stratégiques l’équivalent du pétrole russe sacrifié. Mais, actuellement, les capacités de production sont insuffisantes.
En effet, Covid-19 oblige, les compagnies pétrolières locales ont drastiquement levé le pied. Néanmoins, depuis l’an dernier, la production a repris progressivement, mais reste inférieure de 1,5 million de barils par jour à son niveau de mars 2020 (11,6 millions contre 13,1 il y a deux ans).
Ce qui n’est pas le cas des Européens dont les besoins en hydrocarbures sont intimement liés aux 10,5 millions de barils jour (mbj) produits par la Russie.
D’ailleurs, les exportations russes en pétrole s’élèvent à 4,27 mbj, dont 60% sont livrées à l’Europe et 35% à l’Asie (1,44 mbj, dont 56% (805.000 b/j) par la Chine).
« La Russie est aussi un centre important de raffinerie et un exportateur de produits raffinés comme le diesel, l’essence, et le fuel domestique. En 2021, les exportations de produits raffinés ont atteint 2,69 mbj. Comme le pétrole brut, elles ont aussi une dimension mondiale avec l’Union européenne constituant un important marché pour le diesel russe (580.000 barils par jour), le naphta (matière première pour la pétrochimie) et l’essence (234.000 barils par jour), le mazout (223.000 barils par jour) et le fioul domestique (214.000 barils par jour) », soulignent les experts de l’Oxford Institute for Energy Studies.
Parallèlement, si les pays européens ne peuvent pas emboiter le pas au Américains, ces derniers ont d’autres alternatives pour se permettre le luxe de se passer du pétrole russe.
Washington peut compter sur son grand voisin du Nord. Le Canada pourrait augmenter ses exportations vers les USA, comme l’a déjà proposé, samedi, dans un tweet, la ministre de la province canadienne d’Alberta, Sonya Savage.
Avec 61% des volumes de pétrole exporté, le pays de Justin Trudeau est la premier fournisseur de pétrole étranger pour les Etats-Unis.
Et l’administration Biden ne s’est pas arrêtée en si bon chemin. Aux dernières nouvelles, Washington a réactivé ses canaux diplomatiques avec Caracas pour compenser ses 8% d’exportations en hydrocarbures russes avec du pétrole vénézuélien.
Selon des médias américains, une délégation US a rencontré avant-hier soir le président Nicolas Maduro avec comme principal objectif : mettre fin à l’embargo de Washington sur l’or noir du Venezuela, sous sanctions américaines depuis des années.
Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), en 2021, la production de la république bolivarienne est de 600 mille barils par jour, soit à peine le quart de ce que le pays produisait à la fin des années 1990.
De ce fait, l’ennemi juré continental des « Ricains » serait incapable de pouvoir compenser les 10,5 mbj de brut produits en 2021 par la Russie, soit 14% de la production mondiale.
La production du pays sud-américain pourrait grimper à 1,2 mbj en 8 mois, si les compagnies pétrolières présentes au Venezuela, comme l’américaine Chevron, augmentaient leurs extractions, selon des experts cités par le quotidien américain « The Wall Street Journal ».
Last but not least, cet embargo américain imposé sur le pétrole russe pourrait accélérer la signature d’un accord sur le nucléaire iranien. Une entente irano-américaine enfanterait un « deal win-win » (partenariat gagnant-gagnant) entre le régime des mollahs et Washington. Et par conséquent, ça pourrait ouvrir une nouvelle fenêtre sur des millions de barils en provenance du golfe persique.
La production de la république islamique d’Iran pourrait monter en flèche de 2,5 mbj à 3,6 mbj au deuxième semestre de cette année, selon des projections des experts de l’Oxford Institute for Energy Studies, dans un note d’analyse sur les conséquences de la guerre en Ukraine.
Assurément, pour le Kremlin, l’embargo décrété par un Joe Bien chauffé à blanc — sous la pression d’un Congrès affichant une union sacrée contre l’invasion des forces de Poutine en Ukraine — n’est qu’un coup d’épée dans l’eau du moment que 8% des importations américaines en pétrole et produits pétroliers en provenance de la Russie ne peuvent que représenter une piqûre de moustique pour l’Ours russe.
A.A.H.