Pour faire face à la dépendance aux énergies fossiles ainsi qu’à l’exposition à la volatilité de leurs prix sur le marché international, il n’y a pas trente-six solutions. Seules les énergies renouvelables peuvent permettre à la Tunisie de s’affranchir de cette dépendance accablante et du poids lourd que fait peser le déficit énergétique structurel sur la balance commerciale. Il reste que le pays doit accélérer son programme d’intégration des énergies renouvelables pour pouvoir atteindre les objectifs visés dans les délais impartis (30% du mix énergétique à l’horizon 2030). C’est ce qu’affirme, en somme, Belhassen Chiboub, directeur général de l’Electricité et des Énergies renouvelables au ministère de l’Industrie. Il apporte son éclairage sur les enjeux du secteur des énergies renouvelables. Entretien.
Quel est l’état d’avancement du programme d’intégration des énergies renouvelables ?
Tout d’abord il faut rappeler qu’on s’est fixé l’objectif d’atteindre 30% d’énergies renouvelables dans le mix électrique à l’horizon 2030. Ceci signifie l’installation d‘une capacité d’environ 4.000 mégawatts. Aujourd’hui la capacité installée en Tunisie est aux alentours de 6.000 mégawatts. On va donc ajouter presque les deux tiers de cette capacité-là en énergies renouvelables. Il s’agit d’un investissement de 3.500 millions de dollars, soit un peu plus de 10 milliards de dinars. Cela nécessite la participation du secteur privé parce que la Steg ne peut pas supporter un tel investissement sur son actif, étant donné qu’elle doit assurer d’autres activités notamment le transport et la distribution aussi bien de l’électricité que du gaz naturel. Pour optimiser les ressources de financement, il vaut mieux, alors, s’orienter vers le partenariat avec le secteur privé. C’est dans ce cadre qu’on a mis en place la loi de 2015 qui a permis l’instauration de trois régimes de production d’électricité à partir des énergies renouvelables. Le premier c’est le régime de l’autoproduction : il s’adresse aux personnes qui veulent produire leur propre électricité à partir des énergies renouvelables. C’est un régime qui existe déjà et qui a permis d’installer plus de 170 mégawatts en énergies renouvelables sur les toits des maisons. Le deuxième régime c’est le régime des autorisations. Il concerne les petits et les moyens projets. Dans le cadre de ce régime, on a octroyé près de 46 autorisations pour une capacité de 324 mégawatts dont 120 mégawatts en énergie éolienne et 204 mégawatts en énergie photovoltaïque moyennant des projets de 1 et de 10 mégawatts. On compte aujourd’hui, deux projets de 10 mégawatts et 4 projets de 1 mégawatt qui sont déjà installés. Il faut dire que ce régime a rencontré beaucoup de difficultés, notamment au niveau du financement parce que le Contrat d’achat d’électricité (Power Purchase Agreement-PPA) que nous avons proposé ne donne pas les assurances nécessaires aux banques et donc on a eu, au démarrage de ces projets, des problèmes de financement. Mais aujourd’hui, on va résoudre ce problème pour aller de l’avant avec ce régime qui permet in fine de tisser un partenariat entre le développeur étranger qui a la capacité financière et l’expérience technique et le développeur tunisien qui connaît le terrain et qui sait comment jongler avec les difficultés pour assurer le développement des projets sur site. Le troisième régime c’est la substitution. C’est lui qui va nous permettre d’atteindre nos objectifs en matière d’intégration des énergies renouvelables. Il accapare deux tiers de la capacité totale, soit 2.500 à 3.000 mégawatts qui seront réalisés en concession. Pourquoi ce régime? Parce que c’est un régime qui va permettre d’avoir le coût de l’énergie le plus faible. D’ailleurs, c’est le cas pour les 5 projets de capacité de 500 mégawatts dont nous avons célébré la cérémonie d’approbation, mercredi dernier. La moyenne des tarifs obtenus est aux alentours de 80 millimes par kilowattheure. Si on compare, aujourd’hui, ces tarifs au coût de production de l’électricité par la Steg à partir du gaz naturel qui s’élève à 200 millimes, on trouve que nous avons un gain de 120 millimes par kilowattheure. Ce gain se chiffre annuellement à près de 45 millions de dollars.
Il faut savoir que nous sommes en train d’avancer dans ces projets -là et que nous y avons mis notre temps parce qu’on avait besoin de garantir leur bancabilité. De ce fait, nous avons engagé des discussions avec les bailleurs de fond, à savoir, la Berd, l’IFC, la BAD et Proparco qui se sont proposés pour financer ces projets et qui ont été mandatés par les promoteurs retenus, à savoir la société norvégienne Scatec, l’investisseur franco-marocain Energie Narvea et le promoteur sino-émirati Teba Amea. Après avoir soumis, dernièrement, la documentation à l’approbation par décret-loi, nous allons, aujourd’hui, entamer une nouvelle phase, relative au bouclage financier. Suite à laquelle on va démarrer la conception de ces projets. Aujourd’hui, il s’agit d’une expérience réussie qu’on va dupliquer. Dorénavant, on ne mettra pas autant de temps pour préparer et signer la documentation. Nous avons désormais un modèle de documentation, c’est du “take it or leave it”. Nous allons avancer ensemble sur ces projets-là et accélérer le rythme d’exécution. L’année 2022 verra la publication de plusieurs appels d’offres relatives à des projets d’énergies renouvelables éolienne et photovoltaïque de capacité totale de 1.500 mégawatts. Ces projets s’étaleront sur les trois prochaines années.
On parle aujourd’hui de projets dont le taux d’exécution a atteint 100% mais qui ne sont pas opérationnels. A quoi est dû ce blocage?
La capacité des projets dont vous parlez est de 11 mégawatts, répartis comme suit: un projet de 1 mégawatt et un projet de 10 mégawatts qui sont réalisés dans le cadre du régime des autorisations. Ces projets sont prêts mais ne sont malheureusement pas raccordés par la Steg. Ceci s’explique par le fait que le contrat du régime des autorisations ne prévoit pas une clause de mise en service présumée, contrairement au régime de concession où on a prévu cette clause.
La cheffe du gouvernement a annoncé récemment la mise en place d’une agence de régulation pour le secteur. Quels seront le rôle et la mission de cette agence ? Quand est-ce qu’elle sera opérationnelle?
L’agence, qui sera créée, sera chargée des trois missions suivantes, à savoir le règlement des différends, la mise en place des règles d’accès au réseau et la proposition des tarifications pour les produits électriques. En effet, nous allons avoir plusieurs opérateurs de production d’électricité à partir des énergies renouvelables. Avec la multiplication des autorisations et des projets, nous allons avoir, d’après les premières données, une cinquantaine d’opérateurs. Ce chiffre est appelé à croître. On n’aura plus la capacité et les moyens humains d’effectuer l’arbitrage qui est assuré, aujourd’hui, par le ministère chargé de l’Energie. On a besoin d’un organe indépendant qui assure cette mission qui consiste au règlement de différends entre les promoteurs et la Steg. Concernant la deuxième mission, il faut savoir, qu’en 2019, nous avons ouvert la possibilité de commercialiser l’électricité. Et quand on dit commercialisation d’électricité, on dit accès au réseau. Pour ce faire, il devrait y avoir des règles transparentes, non discriminatoires, équitables pour tout le monde et qui permettent de gérer dans un climat sain les relations au niveau de l’accès au réseau. Cet organe de régulation aura, également, pour mission de proposer les tarifications au ministère chargé de l’Énergie, conformément à la stratégie et à la politique nationale. Si, par exemple, on nous propose un prix de 410 millimes, cette tarification ne peut pas être appliquée aux ménages démunis.
Une subvention de la Steg sera alors décidée afin d’offrir des prix conformes à la politique de l’Etat en matière d’énergie. Nous allons publier, au cours du deuxième semestre de l’année en cours, la loi relative à la création de cette autorité de régulation. Au cours de l’année suivante nous allons former le personnel et acquérir les outils nécessaires. Nous espérons qu’à la fin de 2023, cette autorité de régulation sera opérationnelle.
Pourquoi le ministère a-t-il décidé de réduire les subventions accordées aux équipements photovoltaïques?
Il ne s’agit pas d’une réduction des subventions. Le budget du Fonds de transition énergétique (FTE) est le même. Mais c’est une réorientation de ces subventions. L’objectif ne consiste pas à supprimer les subventions mais nous souhaitons plutôt les réorienter vers les plus nécessiteux. La subvention est maintenue aux alentours de 40 millions de dinars et elle concerne tout ce qui est cogénération et installation photovoltaïque.
Le Mot de la fin?
Je veux mettre l’accent sur l’orientation de la Tunisie dans ce secteur. Il est vrai que les énergies renouvelables ont eu du mal à démarrer, mais c’est toujours lié à ce qu’on appelle les maladies de jeunesse. On avait besoin de se mettre en place, de savoir comment financer, comment avoir les autorisations, où est-ce qu’on va au niveau de l’administration. Vous savez, les couloirs de l’administration c’est un peu le labyrinthe où on a besoin de se retrouver. Mais une fois qu’on s’est retrouvé, le développement va être accéléré parce que, pour la Tunisie, les énergies renouvelables ne sont plus une option. Il ne s’agit plus d’un choix, c’est plutôt une obligation. Quand on regarde aujourd’hui que le prix du baril est en train de grimper pour dépasser les 115 dollars et que les tendances sont toujours haussières, les énergies renouvelables ne sont plus une option non seulement sur le plan stratégique en termes d’indépendance énergétique mais aussi sur le plan économique. Elles sont moins chères que les énergies fossiles et le gaz naturel. C’est à nous, alors, de voir comment aller de l’avant pour développer ces énergies renouvelables.