Pour assurer le passage à cette nouvelle orientation et faire face aux problèmes de l’eau, il est indispensable de passer par la règle des 4 R : récupérer, réduire, recycler, réutiliser.
Les «eaux grises» sont les eaux qui sont issues des douches, bains et lavabos (eaux savonneuses) et sont considérées comme faiblement polluées, sans véritable déchet. Elles représentent les deux tiers (près de 70%) de notre consommation quotidienne et ces sources peuvent représenter plus de 80 litres d’eau par personne et par jour. Un chiffre qui inquiète et qui ne cesse de progresser durant ces dernières années, alors que dans un pays en situation de pénurie d’eau absolue, à l’instar de la Tunisie, il est indispensable d’intégrer dans sa gestion la valorisation économique de chaque goutte d’eau et tout particulièrement les eaux usées domestiques. Et donc, le traitement, le recyclage et la réutilisation des eaux grises font désormais partie intégrante des préoccupations et des économies d’énergie. Or, dans notre pays, ces pratiques ne sont pas encore encadrées par une réglementation capable d’exiger une meilleure gestion de l’eau. Partant de ce constat, le Centre de recherches et des technologies des eaux (Certe) vient d’organiser, mardi dernier, un atelier “Decision Makers Workshop”, ayant comme thème «Règlementations locales et outils de planification urbaine pour promouvoir la réutilisation des eaux non conventionnelles». Dans le cadre du projet Nawamed (développé dans le cadre du programme de coopération transfrontalière IEV Ctfmed et dont le Certe est le partenaire tunisien), au cours de cet atelier, la gouvernance, le cadre légal et la planification urbaine étaient à l’ordre du jour afin de promouvoir l’utilisation des eaux pluviales et des eaux grises au niveau urbain. Une attention particulière était accordée au cadre juridique local.
Une seconde vie pour les eaux grises : pourquoi ?
Dans une déclaration accordée à La Presse, Latifa Bousselmi, professeur au Certe et coordinatrice du projet Nawamed, a indiqué qu’aujourd’hui, on a besoin d’une nouvelle vision en ce qui concerne la gouvernance et la gestion de l’eau—notamment usée— dans notre pays, à l’heure où la tension sur la ressource en eau n’a jamais été aussi forte et s’accentue davantage, d’où l’urgence de trouver la parade face aux sécheresses et d’arrêter de gaspiller. Mais dans l’état actuel des choses, le manque d’un cadre réglementaire propice pour le traitement des eaux grises reste un épineux problème, alors que le recyclage de l’eau et son réemploi sont aujourd’hui encouragés dans plusieurs autres pays.
«On a toujours séparé les eaux usées des ressources en eau, alors que toute goutte d’eau est une ressource, qu’elle soit usée ou non usée. Dans plusieurs pays, à l’instar de Singapour, cette vision a changé et on parle aujourd’hui de ‘’nouvelle eau’’ ou ‘’Newater’’. Et donc, chaque goutte doit être utilisée plus d’une fois. C’est la devise du programme Nawamed pour faire face à la forte augmentation de la demande en eau, étant donné que, selon les prévisions, avec la croissance démographique et l’intensification des usages industriels et agricoles, la demande en eau pourrait augmenter de 50% d’ici à 2030. Et donc, je pense qu’il est important de partir de ce point de vue pour pouvoir pousser à la valorisation de cette eau non conventionnelle», a-t-elle souligné.Mme Bousselmi a ajouté que cet atelier est l’occasion pour tous les acteurs dans le domaine de l’eau d’agir ensemble pour aller de plus en plus vers cette vision et pour adopter une réglementation appropriée à ce sujet… «Aujourd’hui, tout le monde voudrait valoriser l’eau grise et les demandes ne cessent d’augmenter pour mettre en place un système de traitement et de recyclage de ces ressources. Et malgré l’absence du cadre légal et des normes en la matière, il existe une volonté qui a dépassé le législateur et la volonté politique… Si on veut développer tout le processus et faire les choses selon les règles de l’art, c’est le moment de mettre en place une stratégie et de revoir ce qui s’implique au niveau de la réglementation », a-t-elle précisé.
80 litres partent dans les toilettes chaque jour
Pour sa part, le directeur général du Certe, Ahmed Ghrabi, a affirmé qu’il existe des eaux grises, des eaux noires…, des nominations selon la gravité de la pollution et de la saleté de l’eau, mais l’eau reste toujours l’eau. Et pour assurer le passage à cette nouvelle orientation et faire face aux problèmes de l’eau qui existent en Tunisie ou dans le bassin méditerranéen où l’eau est rare, il est indispensable de passer par la règle des 4 R : récupérer, réduire, recycler, réutiliser.
A une question sur le poids des eaux grises, M. Ghrabi a indiqué que ces dernières représentent entre la moitié et les 2/3 de la totalité des eaux usées, c’est-à-dire entre 50 et 70% de l’eau potable consommée par une famille partent dans ses toilettes. A titre d’exemple, la Sonede distribue 100 à 120 litres par jour et par habitant. Ce dernier utilise de 50 à 80 l ou plus de cette quantité pour prendre une seule douche, laver ses mains… «Ce sont des eaux peu polluées… Et avec les techniques que nous disposons au sein du Certe, il existe, bel et bien, des solutions pour le traitement et la réutilisation des eaux grises conformément aux normes. Et donc, ces eaux savonneuses, qui sont en général peu chargées et non grasses, sont envoyées dans les égouts, alors qu’un recyclage aisé permettrait de les réutiliser pour les chasses d’eau des toilettes, l’arrosage, l’irrigation, le lavage des sols ou des véhicules, les mosquées, les unités sportives…Et comme nous sommes des experts et des chercheurs dans ce domaine, on est en train de démontrer que ces eaux peuvent être valorisées, moyennant une technologie simple, à l’heure où on parle de villes intelligentes, de murs végétalisés… Et donc, dans un contexte de développement durable, et à l’heure où la réutilisation des eaux grises en milieu domestique est souvent évoquée afin d’épargner la ressource en eau et réduire la consommation d’eau potable, la Tunisie ne dispose pas encore d’un cadre réglementaire approprié », a-t-il expliqué.
Une technique coûteuse ?
M.Ghrabi a indiqué que la réponse à cette question dépend de l’angle sous lequel on se place. A titre d’exemple, dans un aéroport ou dans une caserne, où la production de l’eau grise est très importante avec des dizaines de toilettes et de douches, le traitement des eaux grises reste une opération rentable. Mais pour un simple agriculteur, qui va supporter des charges supplémentaires pour la réutilisation de ces eaux, cela peut être perçu comme une opération coûteuse, notamment à un moment où le pays passe par une crise économique aiguë.
«Mais qu’on le veuille ou non, l’intérêt est manifeste pour tout le monde, à sa tête les agriculteurs, même si le problème de la réglementation se pose encore. Ceci est une question de temps. Car le passage à l’utilisation de cette ressource n’est plus un choix, mais une obligation, étant donné que dans un contexte de dégradation de l’environnement, l’attente sociétale pour éviter le gaspillage de l’eau est de plus en plus forte. A cela on ajoute qu’au niveau de la recherche et du développement (R&D), on n’est pas en retard. Donc, il suffit de passer à l’action et d’afficher la volonté politique nécessaire pour une réutilisation des eaux grises qui est devenue une pratique de plus en plus courante dans les industries et dans les habitations… Cela ne sera pas une boîte de solution prête de l’étranger ou une solution dictée de l’extérieur. C’est un travail d’expertise où chaque partenaire a ses problématiques et va essayer de présenter ses solutions, selon le contexte, les besoins et les spécificités de chaque région ou pays…», a-t-il encore précisé, ajoutant qu’au sein du Certe, ce projet coûte près de 300 mille euros pour faire de la démonstration, de la sensibilisation…, alors que la globalité du projet coûte 3,2 millions d’euros.