Dans le cadre des Journées du théâtre méditerranéen de la cité, «L’éloge de la mort » d’Ali Yahyaoui, œuvre produite par le Centre des arts dramatiques et scéniques de Tataouine, a été présentée avant-hier au théâtre des régions. D’après un texte de Ridha Boukadida, une adaptation de l’œuvre de José Saramago «Les intermittences de la mort », Ali Yahyaoui propose une écriture poignante portée par une belle performance d’acteurs : Amina Dachraoui – Awatef Laâbidi – Mohamed Taher Khairat – Kamel Allaoui – Hamza Ben Aoun – Oussama Hanaani – Ali Kaiad – Riadh Rhoumi – Abdessalem Hamidi – Omar Jmal – Anouar Ben Amara – Haifa Kamel.
La pièce est imprégnée de l’atmosphère qui régnait du temps de la pandémie: les rues sont désertes, les gens sont recroquevillés sur eux-mêmes, l’air est lourd, le monde s’est vidé de toute activité, il n’y a que le silence qui règne. Ali Yahyaoui représente dans ce travail un sujet éternel, la mort, le sens de la fin, la vie et ses enjeux, dans une lecture à la fois philosophique, existentielle dans une perspective qui mêle le magique et le réel. Avec « L’éloge de la mort », Ali Yahyaoui continue de poser les grandes questions et de travailler sur les textes majeurs. Les précédentes œuvres furent des adaptations de Koltès, d’Ibrahim al-Koni et de Gabriel Marquez. « L’éloge de la mort » est une lecture assez fidèle de l’œuvre de José Saramago, qui commence son roman avec force : « Le lendemain personne n’est mort ». Et parce que l’événement est absolument contraire aux coutumes de la vie, il a causé une énorme confusion dans l’âme, et cet effet est justifié à tous égards. Faudrait-il rappeler que, depuis la nuit des temps, toute société humaine se construit à partir de l’inéluctabilité de la mort. Et l’immortalité serait ce qui pourrait arriver de pire à l’espèce humaine, qui alors ne connaîtrait plus ni limites ni lois. Elle déchaînerait les pires travers de l’homme. Dans ce pays sans nom, où plus personne ne meurt, l’euphorie va vite céder la place au chaos, car le temps, lui, poursuit son œuvre, et l’immortalité tant désirée se révèle n’être qu’une éternelle et douloureuse vieillesse. Entre allégresse, désespoir et chaos, l’écriture dramatique d’Ali Yahyaoui propose des agencements subtils… La narration se chevauche avec la réflexion…
La pièce est un postulat d’un Etat fantasmé mais d’un terrifiant réalisme. Si l’onirique prend parfois l’avant-plan, il tisse en filigrane la toile de fond.
Quand les hôpitaux regorgent de malades en phase terminale, les familles ne peuvent plus faire face à l’interminable agonie de leurs aînés, les entreprises de pompes funèbres ferment, les compagnies d’assurance sont ruinées, l’Etat est menacé de faillite et la religion et les croyances sont menacées de disparition, car sans mort, il n’y a pas de paradis, même pas d’enfer. Ce scénario tout à fait « plausible » met l’être face à un autre destin possible. Espérer la mort devient une doléance urgente à un tel point que des familles emmènent leurs vieillards dans le pays voisin où la mort est toujours en activité et où ils meurent aussitôt la frontière franchie. Tous les moyens sont bons pour se débarrasser d’eux: organisations mafieuses, racket, corruption, chantage. Jusqu’au jour où la mort décide de reprendre du service, et devient le personnage central. Organisée, elle informe ceux qui vont mourir de la date de leur trépas en leur envoyant une lettre sur papier. Et elle prend son travail tellement à cœur pour rétablir l’ordre.
La multitude de personnages qui portent le propos de cette œuvre a proposé une belle performance d’acteur. Ils sont à la fois personnages et pensées. La force de cette pièce réside aussi dans la scénographie proposée. Des constructions modulables qui réécrivent l’espace, le dessinent et orientent la lecture. Offrant par sa présence, une construction imposante, labyrinthique, parfois obstruante et opaque, parfois jouant de la transparence.
« L’éloge de la mort » d’Ali Yahyaoui est une nouvelle lecture d’une œuvre majeure, un choix et une orientation qu’il a choisis dans une démarche réfléchie et bien structurée à saluer.