Accueil Culture «Papillon d’or» film d’Abdelhamid Bouchnaq: L’utopie d’un lieu magique (III)

«Papillon d’or» film d’Abdelhamid Bouchnaq: L’utopie d’un lieu magique (III)

Par Olfa DAOUD

«Papillon d’or» est un monde magique où le jeu des acteurs est pertinemment doublé de lieux filmiques déterminés de leur part comme des acteurs révélateurs d’une certaine capacité signifiante. Ces lieux sont essentiellement figurés en non-lieux afin de transmettre leur impact psychique au spectateur, et c’est l’agilité émotionnelle de celui-ci qui sera profondément mise à l’épreuve pour déceler le contenu psychique de ces lieux.

Déterminés comme un signifiant imaginaire, ces lieux acteurs divulguent leur propension sémiotique et renforcent l’impression de réalité. Le film nous délivre d’un rêve enfantin, nous sollicitant à mieux vérifier la nature psychique de l’être humain que nous sommes. Entre réalité et magie, figure un lieu utopique régénérateur d’une enfance volée et d’un bonheur manqué.

La magie des lieux pour une reconsidération utopique

Les débuts du film relatent la situation sociale, professionnelle et familiale de Moez. Ce sont les lieux filmiques qui nous permettent de pénétrer une configuration spatiale pertinemment axée sur tout ce qui les représente comme acteurs psychiques, capables d’engager le spectateur dans une substantielle assimilation de l’image et en rapport à son potentiel dramatique. C’est ainsi que la disposition spatiale des lieux nous permet une meilleure intrusion dans la personnalité du protagoniste pour démontrer à quel point celui-ci est affecté par son père alcoolique, déversant constamment une violence injustifiée sur son entourage familial. Ce père déchu et blessé, du fait de rater sa vocation d’ artiste comédien, est une cause principale du malheur du fils. Entre brutalité et magie, se délivrent des réminiscences enfantines d’un temps révolu, retraçant une période illuminée, vécue avec ce père abusif, et d’un seul coup, c’est l’imaginaire qui prend le dessus révélant en toute subtilité une réalité imaginaire relevant du mystérieux et du fantastique. Ainsi figurent désormais pour le restant de l’histoire ; Moez et son alter ego, représentés par un petit garçon silencieux aux yeux écarquillés atteint d’un syndrome rare lui faisant perdre progressivement la vue. C’est alors que Moez, le personnage principal, s’écarte légèrement pour laisser place à son alter ego. C’est en entreprenant de montrer à l’enfant les choses les plus merveilleuses à voir, que Moez lui-même se détourne d’une réalité accablante pour un nouveau versant de l’histoire filmique qui se déroule dans l’aventure, le magique et le merveilleux, comme pour contraster avec un début pénible à supporter.

A travers l’intrusion du personnage de l’enfant, Bouchnaq nous permet d’appréhender une perspective psycho-émotionnelle, se fondant sur une introspection assez spécifique, sollicitant l’enfant gisant au fin fond de nous-mêmes. Il s’agit là d’intercepter de nouveau ce regard fasciné pour une existence sollicitée par une découverte permanente d’une réalité utopique aux yeux de cet enfant. C’est dans l’esprit du réalisme magique que le réalisateur entreprend de nouvelles balises pour l’interprétation de la matière filmique, focalisée pour ses caractéristiques mystérieuses. C’est une réalité reconnaissable, mais toutefois rehaussée par l’imaginaire, et dans laquelle le merveilleux et le fantastique sont invités. Ce sont les lieux filmiques qui nous intéressent dans leurs différentes manifestations mystérieuses et pour leur disposition sémiotique à se déterminer comme un langage approprié à un lieu utopique aux yeux de tout enfant. Ce style magique invite le spectateur à considérer obstinément des lieux imaginés dans des représentations urbaines, paysagistes, expressionnistes et humaines pour ainsi les déployer et les dévoiler comme la quintessence d’un regard enfantin menacé par un syndrome anonyme celui de se convertir en adulte. C’est là que la charpente filmique mise sur des lieux empreints de l’extraordinaire, particulièrement sur une construction de lieux imagés dans l’acte de spectature révélant l’enfant en chacun de nous-mêmes. Sans doute, c’est le titre du film qui fait allusion à cet enfant, si fragile comme un papillon et si précieux comme de l’or, un enfant menacé par le syndrome de la perte progressive de la vue, de ce que notre monde comporte de bonheur manqué. «Papillon d’or» est une métaphore, indéniable allusive à une enfance dénigrée et menacée par un processus moral et éducatif avilissant, troquant abruptement le regard enfantin au profit de celui de l’adulte. L’auteur du film exprime, dans une pareille métaphore, ce que nous manquons de ce monde merveilleux de l’enfance et de ses représentations utopiques de l’existence. «Papillon d’or» figure les signifiants imaginaires nécessaires pour impliquer le spectateur et lui faire entendre combien cette enfance se trouve volée, pour dire aussi ce que nous ratons dans ce passage obligé vers le monde des adultes. C’est dans la logique d’une «interpellation émotive», «focalisée par l’entité spatiale de ce monde imaginaire, que le spectateur se voit mieux déterminé dans les termes d’André Gardies comme ce qui «résulte nécessairement d’un double travail, celui du film (c’est le monde proposé par la fiction du film), celui du spectateur dans l’intelligibilité». En effet, ce sont les émotions sollicitées dans le film qui seront en mesure de mener le spectateur vers la perception de ce monde utopique imagé dans l’entendement. C’est dans l’intelligibilité que le spectateur sera en mesure de décrypter, dans l’espace filmique de «Papillon d’or», un lieu utopique tantôt minimaliste tantôt abondant, mais qui reste toujours à construire selon les termes d’André Gardies, dans la mobilisation des «compétences particulières qui s’alimentent, à la fois, au savoir préalable dont [on] dispose au moment de recevoir le film et aux (instructions) que ce dernier [nous] adresse». Nous trouvons que l’espace cinématographique dans le film de Bouchnaq figure une pareille mobilisation adjuvée par une disposition composite de signes figurés, agencés selon les jeux du montage ; là où la parole, la gestuelle et les mimiques des comédiens, ainsi que leurs manifestations corporelles, lors de cet espace, assignent l’utopie d’un lieu magique pertinemment formulée selon un non-lieu expansif.

Cet aspect magique des lieux et des personnages réside dans les moindres détails que comporte l’espace filmique; celui-ci est censé par sa matérialité spatiale engager le spectateur pour mettre en évidence cette utopie spatiale, contrastant avec le réalisme exaspérant des débuts. Cette utopie, octroyée par le travail implicite, qui se tisse entre le monde du film et celui du spectateur, détermine un sens plus pertinent à des lieux pourvus dans l’acte de spectature d’une identification soutenue par l’imaginaire de l’enfant latent en tout spectateur. C’est à travers ce monde magique foisonnant que le sens utopique des lieux se trouve bien accordée par notre acuité auditive et visuelle. Toutefois ce monde filmique que nous envisageons de décrypter la teneur sémiotique reste à construire dans l’intelligibilité du spectateur. La magie des lieux est élaborée dans cette intelligibilité même, qui se détermine par une représentation de l’instance spectatorielle dans ce que traduit le rapport des corps et des lieux comme une nouvelle considération utopique de ce monde réel. Ainsi, l’état de spectature à l’égard de cet espace se voit prépondérant au «spectacle filmique» et le spectateur, loin d’être passif, se convertit en un «auteur» concepteur capable d’exhumer l’apport sémiotique divulgué par les lieux filmiques.

(A suivre)

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