Une nouvelle pierre de l’édifice démocratique tombe. Après l’amendement controversé de la loi organique sur l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), des voix s’élèvent pour dénoncer « une nouvelle dérive démocratique » qui pourrait compromettre l’intégrité et la transparence des nouvelles échéances électorales censées rétablir le processus démocratique dans le pays.
Le décret-loi n°2022-22 amendant et complétant certaines dispositions de la loi organique n°2012-23 du 20 décembre 20212 relative à l’Instance supérieure indépendante pour les élections paraphé par le Chef de l’Etat et qui a été publié au Jort n°45 du 22 avril 2022, apporte des amendements concernant, essentiellement, la composition de l’instance dont tous les articles y relevant ont été supprimés, ainsi que le mode de nomination des membres.
Ainsi, l’article premier dudit décret-loi prévoit la suppression des dispositions des articles 5, 6, 8, 9, 17, 18 ainsi que du premier paragraphe de l’article 14, du deuxième paragraphe de l’article 15, des deuxième et troisième paragraphes de l’article 21 et du premier paragraphe de l’article 25 de la loi organique sur l’Isie.
De ce fait, le Conseil de l’Isie sera composé de 7 membres désignés par décret présidentiel, contre neuf auparavant.
Dans la nouvelle composition, le Président de la République désigne trois membres ayant fait partie des précédents Conseils de l’Isie.
Un juge judiciaire ayant au moins 10 ans d’ancienneté sera également choisi parmi trois juges proposés par le Conseil de l’ordre judiciaire.
Un juge administratif ayant au moins 10 ans d’ancienneté sera choisi parmi trois juges proposés par le Conseil de l’ordre administratif. Un juge financier ayant au moins 10 ans d’ancienneté sera choisi parmi trois juges proposés par le Conseil de l’ordre financier et un ingénieur spécialisé en systèmes et sécurité informatiques ayant au moins 10 ans d’ancienneté sera choisi parmi trois ingénieurs proposés par le Centre national de l’informatique.
Les structures concernées soumettent au Président de la République la liste des candidats au Conseil de l’Isie, indique le troisième alinéa de l’article 5.
Selon l’article 6, le Président de la République nomme le président de l’instance parmi les trois membres qu’il a choisis lui-même.
Chaque membre du parti dispose d’un mandat de quatre ans non renouvelable.
Le Conseil n’a pas été informé
Commentant ces amendements, Nabil Azizi, membre de l’Isie, a indiqué dans une déclaration au journal Assabahnews que « le Conseil de l’Isie n’a pas été informé par le Président de la République ou par le gouvernement de l’intention d’amender la loi fondamentale N°23 et que l’Isie n’a pas été invitée à exprimer son avis sur les amendements envisagés » et que de ce fait « les membres de l’Isie n’ont aucune idée sur les modifications introduites ».
Il a ajouté que par ces amendements, « le Président de la République a enfreint la Constitution puisque la Constitution stipule que les membres de l’Isie sont élus et non désignés ».
Il a estimé que le Chef de l’Etat n’avait aucune raison de changer les membres du bureau de l’Isie puisqu’ils « n’ont pas falsifié les élections et qu’il n’y a pas de plainte en justice contre ses membres ou des jugements contre eux ».
En outre, il s’est étonné de la décision de Saïed de priver un million quatre cent mille tunisiens résidant à l’étranger d’un représentant.
Dans le même sillage, Nabil Baffoun, président de l’Isie, a exprimé, dans une déclaration à notre confrère Assahafa, son refus de la décision de Saïed d’amender la loi instituant l’Isie. Il a rappelé avoir demandé au Président de la République de faire participer l’Isie à la préparation des nouvelles échéances électorales annoncées et d’autres questions relatives à l’Isie.
Il a toutefois admis le droit du Président de changer les membres du comité directeur de l’Isie sauf qu’il a souligné que cette approche n’est pas conforme à la loi, que ce soit la Constitution ou le décret 117 et que ces amendements sont contraires aux normes internationales.
Il a signalé à cet effet que Saïed est un candidat potentiel à la prochaine élection présidentielle et qu’il n’est pas « logique qu’il s’engage dans des élections supervisées par un comité dont il aura lui-même désigné les membres ». Pour lui la question est comment assurer des élections libres et transparentes dans cette situation.
Sur un autre plan, Sami Ben Slama, ancien membre de l’Isie, a rappelé dans un post sur sa page Facebook qu’Ennahdha avait changé des membres de l’Isie en 2014, pour pouvoir disposer d’un comité acquis aux islamistes. « Ennahdha avait changé d’arbitre un mois avant les élections », a-t-il indiqué.
Il est à noter que les membres du bureau de l’Isie se réuniront pour présenter leur position vis-à-vis des amendements nouveaux.
Ennahdha s’oppose
Après la publication du décret portant amendement des statuts de l’Isie, le mouvement Ennahdha a annoncé son « rejet du décret du Président de la République ».
Dans un communiqué, il a estimé que ce décret « s’inscrit dans la continuité de la destruction de l’Etat, la mainmise sur toutes les autorités, le sabotage des acquis démocratiques et le mépris envers le peuple tunisien et sa révolution ».
Pour sa part, le parti des travailleurs a dit rejeter le décret présidentiel relatif à la révision de certaines dispositions de la loi organique portant création de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie).
Dans un communiqué, le parti a mis en garde contre toute tentative de porter atteinte aux institutions de l’Etat, d’exercer une mainmise sur tous les pouvoirs et de compromettre les acquis démocratiques du peuple tunisien et sa révolution ».
« Le Président Kaïs Saïed veut s’arroger tous les pouvoirs. Il a suspendu des pans de la Constitution et démantelé un à un les contre-pouvoirs au nom de la lutte contre la corruption », accuse le parti.
Un acquis
Par contre, le parti Alliance pour la Tunisie a estimé, hier, que le décret présidentiel relatif à la révision de certaines dispositions de la loi organique portant création de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) est un acquis sur la voie du processus de « rectification », ajoutant que les membres de cette instance n’ont jamais été indépendants».
Cette coalition politique a réitéré l’appel au Président de la République et au gouvernement à « accélérer la révision et l’amendement de la loi sur les partis et associations de manière à assainir le paysage politique et les activités de la société civile de tous abus et manquements».
Le parti considère « l’annonce par Ahmed Najib Chebbi de former un front de salut national et sa détermination à créer un gouvernement parallèle avec le soutien du mouvement Ennahdha, une déclaration de désobéissance, une dérogation aux lois de l’Etat tunisien et un crime contre la sûreté et l’unité du peuple tunisien ».
Par ailleurs, l’Alliance pour la Tunisie a appelé les citoyens et les forces vives de la nation à faire front commun pour lutter contre toute initiative qui risque de mettre en péril la stabilité et la paix sociales du pays.
Bien que le Chef de l’Etat ait, à maintes reprises, dénoncé « la politisation de l’Isie », dont certains membres avaient pris position contre les mesures édictées le 25 juillet, il est à rappeler que la première instance électorale est née suite à la promulgation par l’ancien président Moncef Marzouki de la loi organique N°2012-22 du 20 décembre 2012.