Accueil A la une Menace en mer : Les espèces invasives pullulent sur nos côtes

Menace en mer : Les espèces invasives pullulent sur nos côtes

Avec la forte pression exercée sur les ressources halieutiques, la destruction généralisée du milieu marin due à la pratique d’une pêche ne respectant pas les réglementations nationales, la généralisation d’une pêche illégale soutenue par des lobbies de la pêche industrielle…, notre mer et nos ressources maritimes sont menacées, aujourd’hui, comme jamais.

La simple idée de voir nos ressources maritimes se raréfier peut effrayer des milliers de familles tunisiennes qui vivent de la mer. Face à cette situation, la protection du milieu marin est une priorité absolue et réside notamment dans l’interdiction de toutes les techniques de pêche dangereuses pour la faune ichtyologique et pour l’écosystème en général, la délimitation des zones de pêche, la limitation de l’effort et des tailles de capture, la fixation du maillage des filets… Mais malgré ce combat, qui a été mené depuis un bon moment et, malgré les messages ainsi que les campagnes de lutte contre le braconnage en mer, on n’a pas senti une baisse de cette activité illégale et ces appels ne sont pas pris au sérieux par nos décideurs… La goutte qui fait déborder le vase, c’est la mauvaise gestion et l’exploitation irrationnelle des ressources halieutiques. C’est en quelque sorte le constat désolant fait par Abdelmajid Dabbar, président de l’Association Tunisie Ecologie.

Trois-quarts des captures sont des espèces non visées

Dans une déclaration accordée à La Presse, M. Dabbar n’a pas manqué de rappeler qu’après la révolution, un système de pêche interdite depuis janvier 1994 a vu le jour. C’est le chalutage avec l’engin appelé localement ‘’le kiss’’, qui détruit le fond marin à des faibles profondeurs. C’est un genre de braconnage de pêche marin très dangereux qui racle le fond marin avec des chaînes lourdes qui arrachent la flore des hauts fonds, spécialement les prairies de posidonie, et avec les petites mailles des filets, tous les poissons et crustacés, même de petite taille et sans valeur commerciale, sont capturés…

«Bien que cette technique soit interdite dans notre pays depuis des années, les bandits et les propriétaires des bateaux du kiss poursuivent cette pratique en ne respectant ni la loi ni la réglementation, et ce, au vu et au su de tous… En août 2020, ils ne sont pas moins de 479 bateaux à utiliser le kiss. Aujourd’hui, le bilan est alarmant et catastrophique même dans les aires dites protégées, car entre 18 et 25% seulement des poissons capturés par le kiss ont une valeur commerciale et pourraient être vendus sur le marché, alors que le reste, plus de 75%, qui sont des poissons de 1 cm et même moins, ce sont des espèces non désirées et pêchées accidentellement et elles sont en général rejetées, souvent mortes, en mer ou sur les côtes. A tout cela, on ajoute que ces pêcheurs clandestins ne respectent pas le repos biologique du 1er juillet au 30 septembre de chaque année où tout chalutage, même dans les eaux profondes au delà de 50 m, sont interdits dans cette période », explique-t-il.

Investigation, et après ?

M. Dabbar ajoute que face à cette situation, l’ONG Tunisie Écologie avait participé aux travaux d’investigation sur le terrain dans les côtes tunisiennes en général et le golfe de Gabès en particulier. De ce fait, 28 ports de pêche étaient visités, des frontières libyennes au Sud jusqu’à la Chebba au Nord, passant par les îles de Djerba et Kerkenbah.

« Les autorités ont été saisies pour ces actions interdites et des campagnes de sensibilisation ont été engagées dans les ports de pêche, outre des articles dans les journaux et des interventions sur les ondes des radios nationales et locales qui ont été largement diffusées… Et avec l’appui des autorités portières et de la pêche à Sfax et centrales à la capitale, et grâce à la coopération nipponne et des fonds de la Jica, le 19 mars 2014 des récifs artificiels ont été submergés dans les chanots entre les îles Knaïes, qui sont dotées du statut de Réserve Protégée, pour empêcher le chalutage par les embarcations du kiss dans ces habitats très sensibles. Au début, les pêcheurs traditionnels se sont manifestés mais quand ils ont remarqué que le stock des poissons s’est multiplié, ils n’ont pas caché leur joie et contentement, puisque les prises sont devenues intéressantes. Mais malheureusement les pêcheurs clandestins ont réussi à neutraliser ces récifs (de 600 kg) quand ils les ont tractés et regroupé pour ne plus endommager leurs filets… L’idée maintenant c’est de trouver des fonds pour placer de nouveaux récifs de plus de 1.000 kg et qui seront armés par des barres de fer redoutables aux filets de ces braconniers récidivistes et dangereux…

D’ailleurs à la date du 18 avril 2022, des marins de la pêche côtière traditionnelle à Skhira ont fermé le port de pêche en signe de protestation contre le phénomène de la pêche aveugle, destructive et interdite par la technique du kiss. Mais c’est toujours insuffisant. Pour ce faire, une mobilisation nationale des pêcheurs artisanaux avec le soutien de la société civile devrait se manifester sérieusement contre cette dangereuse pratique qui détruit l’habitat et les ressources halieutiques », explique-t-il.

Les espèces invasives et le crabe bleu

Au port pétrolier de Skhira, presque en face des îles Knaïes, et suite à une étude engagée en 2015 par la Faculté des sciences de Sfax et confirmée par l’Inat (Institut national de l’agriculture de Tunisie), qui évoque l’existence d’espèces aquatiques invasives, on a confirmé l’existence de 154 nouvelles espèces invasives en compétition avec les espèces autochtones. Par ailleurs, le Centre d’activités régionales pour les aires spécialement protégées (RAC/SPA) indique dans son rapport de 2017 qu’elles sont déjà 168 espèces invasives recensées.

« Face à cette situation et en collaboration avec les scientifiques, des campagnes d’information sur la gravité du phénomène de cette invasion dans le littoral tunisien ont été menées. Et d’après nos recherches, cette invasion est due aux eaux de ballast dégagées par les grands pétroliers qui arrivent au terminal pétrolier de Skhira. Avant de charger le pétrole brut, ils vident les grandes citernes remplies d’eaux prises des ports de la dernière escale, apportant ainsi des bactéries, des microbes et larves de poissons ramenés des mers d’Asie, d’Afrique et des Amériques. Et là, il n’est pas inutile de rappeler que le crabe bleu a été indiqué et signalé pour la première fois sur les côtes de la Skhira en mars 2004 et confirmé en 2006.

Face à cette situation, Tunisie Écologie avait saisi l’Agence nationale de protection de l’environnement (Anpe), en présence du représentant de la Direction Générale de la Pêche et de la Direction Générale des Forêts, où une présentation sur la gravité du problème et les mesures à prendre ont été évoquées. Mais actuellement, «le phénomène de l’invasion du crabe bleu est devenu hors de contrôle et la répartition gagne malheureusement le Nord de la Chebba vers les côtes du Sahel, et au sud jusqu’à la lagune de Biben », précise-t-il encore.

Charger plus d'articles
Charger plus par Meriem KHDIMALLAH
Charger plus dans A la une

Un commentaire

  1. Hedi Ghachem

    9 mai 2022 à 12:26

    Le crabe bleu est une delicatesse qui se vent cher a l etranger, Ce n est pas une catastrophe, mais bien une opportunite! en plus sa chair surtout dans les pinces et delicieuse! faites bouillir le crabe (meme vivant) pendant 20 min, cassez les pinces et enjoy!

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *