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Environnement | Si la Medjerda m’était contée

Grâce à un inventaire de la zone humide de Béchouk, à l’embouchure du barrage Sidi Salem, au cœur de la Medjerda, la rivière la plus emblématique de Tunisie livre ses secrets. Un travail de longue haleine réalisé par l’Association Exploralis et l’engagement sans concession de son directeur exécutif, Arafet Ben Marzou. Un projet qui a pour finalité la création d’une réserve naturelle sur ce site à la biodiversité exceptionnelle

Les voyages, l’aventure, l’exploration de territoires méconnus, voire secrets font partie des inclinations de toujours de cet ingénieur en génie biologique qu’est Arafet Ben Marzou. Et même si ce jeune homme de trente ans et quelques poussières s’est également frotté au monde des télécommunications, des industries pharmaceutiques et de l’informatique, un fil rouge réunit tous ses centres d’intérêt : la passion immodérée de l’écologie. Car y compris lorsqu’il parcourt, à pied, fin 2010, 20 000 kilomètres à travers le grand désert pour atteindre l’Afrique du Sud, ou encore lorsqu’il part à vélo, quelques mois plus tard en Asie, sur la route de la Soie — expérience dont il tirera un livre —, la beauté du monde reste sa première préoccupation. Sa constante fascination. En 2014, il cofonde avec Ridha Ouni, expert dans le domaine de l’environnement, l’Association Exploralis.  « Tout a commencé avec une envie de promouvoir la nature et la beauté de l’écosystème tunisien. Avec le temps, notre démarche a pris une voie plus technique, notamment avec le projet-Med’Ex ou encore Medjerda Expédition à travers ses deux phases 1 et 2 », explique Arafet Ben Marzou.

370 km en canoë-kayak

Le projet Med’Ex, qui s’intéresse à la conservation de l’un des écosystèmes humides les plus riches et complexes de la Tunisie, est né d’une action ludique : la traversée des 370 km de la rivière emblématique de la Tunisie en canoë-kayak. Une rivière, qui constitue le principal fournisseur d’eau potable pour les Tunisiens et une des principales sources d’arrosage de leurs terres agricoles. Une rivière si méconnue malgré sa récurrence dans les livres de géographie destinés aux écoliers et aux lycéens. Avec son binôme et compagnon de route Ridha Ouni, ils s’embarquent en avril 2014 dans cette expédition scientifique, écologique et culturelle, qui durera un mois, démarrant à Ghar El Diwan, sur les frontières algériennes, et prenant fin à Ghar El Melh, en Tunisie, sur les rives de la Méditerranéen où se jette l’oued.

« Au cours de cette traversée, nous découvrons un site d’une beauté paysagère inouïe, un endroit plus ou moins préservé situé aux environs de la ville de Béja. Il s’agit de la zone humide de Béchouk », se rappelle Arafet. En fait, la construction du barrage Sidi Salem en 1982, au cœur de la Medjerda, a créé non seulement un lac artificiel, mais a laissé également apparaitre, au fil des années, une zone humide stable, qui s’étend sur plus de 600 hectares. Cette zone est en relation étroite avec la dynamique écologique de la Medjerda et est devenue un sanctuaire pour une biodiversité exceptionnelle. C’est ce site, qui va retenir l’attention d’Exploralis et sera l’objet dès 2016 d’une étude approfondie à l’issue de laquelle les militants de l’ONG appelleront à la mise en place d’une réserve naturelle dans cette zone. L’Inventaire de la biodiversité de la Medjerda qu’ils publient en 2022 à l’issue de cinq ans de travail sur la faune et la flore de la rivière, le guide zoologique Med’Ex 2 publié également en 2022, ainsi qu’une exposition organisée le mois de février dernier à Tunis et le film documentaire réalisé par Arafet Ben Marzou sur le projet sont les outils avancés par Exploralis pour faire le plaidoyer de leur ambition.

Une dynamique d’intérêt collectif

L’inventaire, qui a demandé la mise en place d’une équipe de vingt experts tunisiens dans divers secteurs scientifiques, a été soutenu par le programme PPI-Oscan, «Programme des petites initiatives pour les Organisations de la Société civile d’Afrique du Nord » sous l’égide du Centre de coopération pour la Méditerranée de l’Union internationale pour la conservation de

la nature (Uicn-Med), et avec un Financement conjoint de la fondation Mava et du Fonds françaispour l’environnement mondial (Ffem).

Toutes ces ONG internationales ont été séduites par la pertinence du projet d’Arefeemt Ben Marzou et de ses amis et en particulier par : « la dimension pédagogique et artistique qui représente un volet essentiel de notre démarche », insiste le coprésident d’Exploralis. En fait, c’est bien la première fois en Tunisie que la Medjerda est fouillée de fond en comble avec une focalisation sur cette zone humide à l’embouchure de la retenue du barrage Sidi Salem.

Parce que dans les zones humides, ces espace de transition entre la terre et l’eau, qui constituent un patrimoine naturel unique en raison de leur richesse biologique et de leurs services écosystémiques et sont protégés par des conventions internationales, les équipes d’Exploralis ont découvert sur le site étudié 187 espèces d’oiseaux. Il faut y ajouter 28 espèces de mammifères, 16 espèces de reptiles, 5 espèces d’amphibiens et plus de 400 espèces d’invertébrés.

Toutes les possibilités d’une réserve

Et comme le démontre l’Inventaire de la biodiversité de la Medjerda, l’intérêt général pour les zones humides a changé au fil des années dans le monde. Elles ne sont plus considérées « comme des terres marginales et une source de nuisance mais plutôt en tant que composantes du patrimoine naturel d’une importance environnementale et socioéconomique inestimable », constate l’étude. C’est dans ce cadre-là qu’Exploralis défend l’idée du grand potentiel dont dispose la zone humide de Béchouk pouvant devenir un site reconnu au niveau national et international en raison de sa biodiversité exceptionnelle.

Or, le site est menacé par l’expansion urbaine et les fouilles archéologiques anarchiques sur ses rivages, la rivière, elle, subit des rejets industriels de l’oued Béja. Le classer permet à la fois de le protéger et de le valoriser. Le transformer en réserve naturelle peut créer, d’une manière encadrée, selon Arafet Ben Marzou, plusieurs réponses et possibilités : « Un parcours pour l’observation des oiseaux, un circuit de tourisme scientifique et d’aventure, un écomusée. En 2015, j’ai visité une cinquantaines de parcs écologiques aux Etats-Unis. Ces endroits offrent trois dimensions, une zone de récréation accessible au public, une autre ouverte uniquement aux scientifiques et la troisième préservée de tous ». Ce système écologique bourdonnant de vie situé à près de 150 km de la capitale mérite aujourd’hui que les autorités s’y intéressent sérieusement.

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