Nizar Yaïche souligne qu’entre une mondialisation débridée et un protectionnisme redouté, il existe des solutions de juste milieu pour avoir une croissance mondiale inclusive, équitable, durable et respectueuse de l’environnement.
Cela fait plusieurs années que le monde assiste à une montée du protectionnisme. La succession des crises, à savoir la crise des Subprimes, le Brexit et la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis (qui a connu son apogée après l’arrivée de Donald Trump au pouvoir), n’a fait que raviver des tensions protectionnistes qui ont mauvaise presse en raison de leurs conséquences néfastes sur les échanges commerciaux et sur la croissance mondiale.
Cependant, la pandémie Covid-19, et, aujourd’hui, la crise russo-ukrainienne ont marqué un nouveau tournant pour les politiques protectionnistes à travers le monde. Cette montée en flèche du protectionnisme met-elle fin au libre échangisme, va-t-elle saborder la mondialisation? Quel sort sera réservé aux pays africains, notamment la Tunisie, suite à ce rebattement des cartes ?
Interrogé sur la question, en marge de la conférence de presse qui s’est tenue jeudi dernier pour présenter la 5e édition de la Fita, le commissaire général de l’événement, Nizar Yaïche, a indiqué dans une déclaration à La Presse, que le fort mouvement de globalisation, qu’a connu le monde au cours des dernières décennies, a causé beaucoup de tort à plusieurs pays et populations. Il a ajouté que la crise russo-ukrainienne a accéléré cette tendance qui commençait déjà à se renforcer suite au déclenchement de la pandémie et à l’aggravation de l’impact climatique, deux facteurs qui ont poussé la réflexion vers le raccourcissement des chaînes de valeur et chaînes logistiques.
La limite de la rationalité économique…
Yaïche a, en ce sens, souligné qu’entre une mondialisation débridée et un protectionnisme redouté, il existe des solutions de juste milieu pour avoir une croissance mondiale inclusive, équitable, durable et respectueuse de l’environnement. « On est en train de partir dans l’autre sens de manière un peu trop forte à mon avis, un peu trop émotionnelle. D’un côté, on était à tout-va vers la globalisation et maintenant on entend des discours plutôt nationalistes avec la mauvaise définition du nationalisme avec des discours souverainistes pas forcément à mon sens du souverainisme […] Et ça n’est pas bon non plus. Il est de notre devoir de dire qu’il y a un juste milieu entre les deux. Respecter le climat, respecter les autres, co-investir dans la durée, partager les richesses et surtout écouter. Lorsqu’on regarde et on fait une analyse des accords de négociations, on constate qu’on ne s’écoute pas pour comprendre mais on s’écoute pour répondre. Il faudrait maintenant qu’on valorise les bénéfices du développement du continent africain sur l’économie mondiale », a-t-il précisé.
Yaïche a, en outre, mis l’accent sur les vertus et les bénéfices d’une économie africaine prospère pour le reste du monde. « L’économie mondiale va être nettement mieux développée et beaucoup plus sécurisée avec une Afrique développée. Car on a du mal à quantifier le coût d’une Afrique moins développée. C’est ce qu’on appelle la limite de la rationalité économique. C’est comme si on bâtit un pont, on connaît son coût, mais malheureusement on s’arrête là. Il y a les deux rives du pont qui vont en profiter : les pays développés et les pays en développement et ça on a du mal à le quantifier. Il faut quantifier l’impact positif sur les plans éducation, sécurité, santé… Il faudra qu’on trouve ce juste milieu », a-t-il souligné.
Miser sur le partenariat public/privé
Interrogé sur l’impact du conflit ukrainien sur l’économie tunisienne, l’ancien ministre des Finances a estimé qu’il est important de ne pas isoler l’impact de cette crise géopolitique seule, « car cela ne serait que voir une partie du problème ». Pour Yaïche, la crise des finances publiques par laquelle passe le pays est le résultat d’une accumulation, depuis des années, de plusieurs problèmes économiques structurels, auxquels se sont ajoutées la pandémie et maintenant la guerre en Ukraine. Il a souligné qu’en matière de dépenses budgétaires, les investissements publics seront lourdement impactés par cette crise. « Il y a déjà la partie coût qu’il va falloir anticiper. Le coût notamment sur la matière première, sur le baril… et cela se chiffre en plusieurs milliards de dinars sur le budget supplémentaire de l’Etat. Il va falloir se préparer, notamment en ce qui concerne la partie investissement. Qu’on se le dise clairement le budget de l’Etat a été lourdement impacté, je pense que le titre 2, c’est-à-dire la partie investissement public, va être lourdement impacté. On est en train de réduire au maximum l’impact sur le déficit budgétaire de l’Etat, ce qui veut dire qu’ils vont forcément resserrer un peu plus les budgets », a-t-il précisé.
S’agissant des possibilités de financement, l’ancien ministre des Finances a mis l’accent sur les avantages du partenariat public/privé, notamment, pour la réalisation des grands projets d’infrastructure. Un mode de financement, qui, selon lui, a fait ses preuves dans les pays d’Asie. Il ajoute : «Il faut encourager massivement la partie privée. J’encourage également, à titre personnel et d’une manière significative, tout ce qui est partenariat public/privé et notamment la grande tendance qui est de soutenir le privé y compris dans les investissements d’infrastructure. En Asie, par exemple, plus de 90% des investissements réalisés par des privés dans des infrastructures publiques sont ce qu’on appelle en anglais des « publicly assisted projects », cela veut dire que les Etats interviennent par des mécanismes de garantie, de subvention pour qu’ils réussissent. Il faudrait qu’on travaille dans ce sens- là en Tunisie ».