Accueil Economie Supplément Economique Analyse: Le making off  des révolutions en économie !

Analyse: Le making off  des révolutions en économie !

Par Hakim Ben Hammouda – Ancien ministre des Finances —  Directeur Global Institute 4 Transition    

Le monde traverse aujourd’hui un moment unique marqué par de grandes transformations et des changements majeurs à différents niveaux de la politique avec la crise du projet démocratique et la montée des populismes, aux relations internationales avec l’apparition de tensions profondes qui peuvent conduire à une nouvelle guerre froide entre les grandes puissances. Nous vivons également de grandes mutations sociales avec la montée de la pauvreté et des inégalités qui sont à l’origine d’importants mouvements sociaux devenus la plus importante source d’instabilité politique.

Ces bouleversements ont également touché le domaine économique, et plus particulièrement les politiques publiques qui ont commencé à se libérer progressivement de l’héritage néo-libéral des dernières décennies, particulièrement après la grande crise financière des années 2008 et 2009.

La pandémie de la Covid-19 va largement contribuer à ces grandes transformations dans l’accélération de sa dynamique et de son intensité dans les différentes sphères politiques, économiques et sociales.

Dans cette contribution, on a essayé de comprendre la dynamique de la transformation et les mutations dans les domaines des politiques économiques à travers l’examen de leurs trajectoires historiques. De mon point de vue, la dynamique de changement et de transition dans le domaine des politiques publiques connaît quatre étapes essentielles que nous chercherons à présenter à travers quelques expériences historiques que l’économie mondiale a connues au cours du siècle passé. Nous présenterons également quelques éléments sur les conséquences de ces grandes transformations en gestation sur nos politiques et nos grands choix économiques.

Des trajectoires du changement dans l’univers économique

La lecture minutieuse de l’histoire longue de la dynamique de changement dans le domaine économique nous a permis de distinguer quatre étapes majeures. La première étape réside dans la critique des politiques en cours. Cette critique commence dès que les signes de l’essoufflement de ces politiques apparaissent. Ces politiques s’inscrivent dans un paradigme qui domine les politiques publiques. L’hégémonie de ce paradigme se construit progressivement et se fonde sur une analyse réaliste et pragmatique des situations économiques et la proposition de réponses nécessaires afin d’échapper aux crises et d’ouvrir de nouvelles perspectives aux dynamiques économiques et particulièrement à la croissance et à l’emploi.

Mais ces paradigmes peuvent rentrer en désuétude et leur pertinence peut également trouver ses limites avec l’évolution des situations économiques et sociales. L’ombre de cet essoufflement va planer sur les politiques qui s’en inspirent et dont la pertinence sera de plus en plus réduite.  Cet essoufflement sera à l’origine d’une multiplication des critiques et des attaques à l’encontre des politiques en vogue.

La seconde étape dans cette dynamique historique concerne l’apparition des grandes crises qui vont ouvrir la porte à des critiques plus radicales aux politiques qui ont conduit à cette instabilité.

Ces critiques seront à l’origine de la perte de la confiance dans leur capacité à sortir des crises et à dépasser les dangers et l’instabilité en cours. Ces crises sont le résultat de la fin de la pertinence des paradigmes hégémoniques qui ont inspiré  les politiques publiques. L’accumulation des difficultés et des contraintes va conduire vers les grandes crises qui seront à l’origine du rejet des politiques en présence et l’ouverture de l’ère des grands changements.

La troisième étape dans ce processus concerne le passage à la formulation des politiques de sauvetage de l’économie et éviter, par conséquent, la débâcle. Dans ce nouveau moment historique, la priorité des politiques publiques devient le sauvetage en urgence de l’économie. L’ampleur de la crise et la peur de la chute vont ouvrir la porte à la formulation de politiques publiques qui seront en rupture avec les politiques en cours pour faire face à la dérive du système économique. La quatrième et dernière étape dans cette dynamique concerne la transformation des nouvelles politiques de sauvetage dans de nouveaux paradigmes qui vont devenir progressivement hégémoniques. C’est à ce moment que des politiques passeront au monde des idées et des paradigmes qui vont définir pour une longue période les frontières du pensable et de l’interdit dans le domaine des politiques publiques. Ces différentes étapes constituent des moments essentiels dans la dynamique de changement et de transformation des politiques publiques qui, progressivement, sera à l’origine de la sortie d’un paradigme et de l’entrée dans une nouvelle configuration.

La crise de 1929 et la sortie du capitalisme concurrentiel et l’avènement du paradigme de l’Etat-providence

Le monde a connu, après la Première Guerre mondiale, une période de transformations majeures dans les grands paradigmes qui ont dominé les politiques publiques dans les domaines économiques jusque-là.

La crise du paradigme dominant a commencé avec les critiques formulées par un grand nombre d’acteurs politiques et économiques, mais aussi à travers les grèves et les différentes formes des luttes politiques et sociales.

Les partis sociaux-démocrates et les syndicats ouvriers, qui avaient le vent en poupe au début du siècle avec le développement industriel, ont contribué à la critique des paradigmes hégémoniques en mettant l’accent sur la répartition inégalitaire de la richesse et la grande instabilité du système économique. La grande crise de 1929 va jouer un rôle majeur dans la remise en cause du paradigme dominant et l’émergence d’une nouvelle configuration. Ainsi, la plupart des pays ont-ils cherché à formuler des politiques d’urgence avec une forte intervention de l’Etat pour protéger les économies de la faillite et d’une chute vers l’abîme.

Ces politiques vont se transformer après la Seconde Guerre mondiale en un nouveau paradigme basé sur quatre principes fondamentaux dont le rôle central de l’Etat dans la régulation des grands équilibres macroéconomiques, une répartition plus égalitaire des revenus, le rôle majeur de la croissance et de l’investissement, l’amélioration de la productivité. Ces principes vont constituer le fondement de l’Etat-providence et le productivisme fordiste qui vont dominer les régimes économiques dans le monde et le cadre de formulation des politiques économiques jusqu’au début des années 1980.

La révolution néo-libérale

et l’entrée dans la globalisation

L’essoufflement du paradigme intellectuel de l’Etat-providence hérité de la Seconde Guerre mondiale va connaître la même dynamique historique et ouvrir la voie à un nouveau paradigme et de nouvelles politiques publiques.

La critique du paradigme de l’Etat-providence va commencer à partir du milieu des années 1970 avec la montée du chômage, l’inflation et l’incapacité des politiques traditionnelles de faire face à la stagflation. Les crises se répètent alors dans les années 1970, avec, en particulier, la chute du système de Bretton Woods avec l’abandon des Etats-Unis de la convertibilité du dollar en or et la hausse des prix du pétrole suite à l’embargo des pays de l’Opep. L’accumulation de ces crises a participé à l’essoufflement et à la chute du paradigme de l’Etat-providence avec la montée du paradigme néo-libéral. Cette dynamique sera à l’origine d’un changement radical des politiques publiques et la mise en place des politiques néo-libérales par les partis de droite qui arriveront au pouvoir dans les grandes démocraties à partir du début des années 1980.

Ces politiques vont se transformer en un nouveau paradigme intellectuel basé sur quatre principes fondateurs : la concurrence, la globalisation, le marché et le développement de la finance. Ces principes vont constituer le cadre intellectuel qui va fonder les politiques publiques dans la plupart des pays du monde. 

La crise du néo-libéralisme

et l’émergence du paradigme

de l’inclusion et du développement durable

Le paradigme néo-libéral a, lui aussi, connu un essoufflement suite à la montée des critiques avec la montée des effets pervers de ces politiques à tous les niveaux économique, social et climatique. La multiplication des crises financières, la détérioration du climat et la montée de la marginalisation sociale ont été au cœur des questionnements et des critiques du paradigme néo-libéral et la gestation d’un nouveau paradigme qui sera le fondement des nouvelles politiques publiques.

Ces nouvelles politiques ont commencé à se développer avec la grande crise financière de 2008 et 2009 qui a failli porter l’économie mondiale vers l’abîme et la crise de Fukushima au Japon en 2011. Ces nouvelles tendances de politiques publiques ont été confirmées par la crise de la Covid-19 et la grande peur qu’elle a suscitée de par le monde. Ces politiques ont rompu avec le cadre néo-libéral qui dominait l’action publique jusque-là, et ont été à l’origine d’un retour en force de l’Etat pour défendre l’économie et la société de la faillite et de la pandémie.

Cette dynamique de transition et de changement ne s’arrêtera pas au niveau des politiques, mais va également initier le développement d’un nouveau paradigme qui mettra l’accent sur quatre principes fondateurs dont le retour au rôle stratégique de l’Etat pour protéger nos sociétés contre les peurs et les grands défis, l’inclusion sociale pour sortir de la marginalisation, la défense du climat avec la sortie du productivisme, certains allant jusqu’à appeler de leurs vœux un choix en faveur de la décroissance.

Où en sommes-nous de ces grandes transformations ?

En dépit de ces transitions et de ces transformations majeures, nos politiques publiques restent fondamentalement ancrées dans les anciens paradigmes. Ainsi, nos politiques économiques continuent-elles à s’inscrire dans les choix de l’austérité héritée du paradigme néo-libéral. Simultanément, notre pays connaît un retard dans le développement des politiques énergétiques alternatives afin de développer des énergies propres. Au niveau social et en dépit de quelques tentatives pour répondre à la crise sociale, nous assistons à un renforcement de la marginalité sociale et à l’accroissement des inégalités. Le poids des crises politiques, économiques et sociales ne doit pas nous empêcher et nous interdire d’imaginer et de concevoir de nouveaux paradigmes et des politiques capables de rompre avec les échecs passés et d’ouvrir de nouvelles perspectives d’avenir. Cette quête de futur exige de l’audace, du courage et de la détermination pour faire de la reconstruction du contrat social notre objectif collectif.

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