
Dans les pays du Maghreb, la filière colza est confrontée aux mêmes défis, à savoir les mêmes conditions agro-climatiques et les mêmes problématiques liées au désherbage et à la montée en puissance des maladies et des ravageurs. Cependant, chaque pays a sa propre expérience. Entre le Maroc où les premiers jalons de la filière ont été posés vers la fin des années 70, l’Algérie qui, sous l’impulsion de l’Etat, est partie du bon pied pour l’introduction de la culture du colza et la Tunisie qui a connu un début d’expérience en dents de scie, la filière commence à s’enraciner. Ainsi, une coopération intermaghrébine s’avère nécessaire pour relever ensemble les défis auxquels sont confrontés les agriculteurs.
Le troisième panel du forum était l’occasion de débattre des intérêts d’une coopération entre les filières oléagineuses du bassin méditerranéen. Les intervenants ont mis l’accent sur le rôle que peut jouer une telle coopération dans le développement de la filière colza dans les pays maghrébins et particulièrement dans les pays où l’introduction de la culture du colza n’est qu’à ses débuts.
Mêmes performances que les Australiens
Revenant sur l’expérience qui a été menée en Tunisie et au Maroc, par l’Institut technique de la filière des huiles et protéines végétales et de la filière chanvre Terre Inovia, l’ingénieur Franck Duroueix a dressé le bilan du travail qui a été effectué pour mettre sur pied une filière méconnue et jugée au départ comme concurrente des céréales, considérés comme étant un enjeu stratégique national. Il a affirmé que les résultats étaient probants d’autant que les performances obtenues sont similaires à celles des cultures pratiquées en Australie, un pays doté des mêmes conditions climato-agricoles. “On est arrivé aux mêmes performances que les Australiens. Le colza fait, comme moyenne, 50% du rendement du blé. Ce qu’on a vu, c’est que le colza peut mieux faire encore et qu’il a un comportement exceptionnel même en conditions sèches. On a vu des colzas qui arrivent à faire un rendement avec des 180 millimètres ou des 200 millimètres sur le cycle au moment où la féverole n’y arrivait pas et quand parfois l’orge avait du mal à monter”, a-t-il expliqué. Et de soutenir : “On a réussi à faire le même rendement que la monoculture de blé en scénario d’extrême sécheresse. Le bilan est très positif. Il a fallu déployer de grands moyens”.
Durouiex a ajouté que la recherche et développement constitue un défi majeur pour la filière colza dans les pays du Maghreb. Miser sur des variétés adaptées (puisque la région n’est pas une grande zone de production de colza de printemps), résoudre les difficultés du désherbage, trouver des solutions aux problèmes des ravageurs et d’herbicide… sont tant d’enjeux que l’agriculteur doit affronter dans le futur pour garantir la compétitivité de la culture et obtenir la performance souhaitée. “Les futurs défis devraient se retrouver dans les axes de la Recherche et Développement. Aujourd’hui, il y a des défis autour de l’aspect variétal parce que ce ne sont pas de grosses zones de production de colza de printemps. Il y a également des difficultés autour du désherbage qu’on n’a pas fini de résoudre, des défis autour des ravageurs sur lesquels il faut être vigilant, mais également des défis techniques, voire politiques.
On a pris différentes options. On a été amené avec les collègues à développer de nouveaux herbicides en essayant de monter des projets pour avoir un meilleur accès aux solutions techniques. On a fait ces mêmes choix en Tunisie, en 2015, autour des variétés tolérantes aux herbicides, puisque le Maghreb est un grand pays de crucifères (il y a beaucoup de crucifères adventices). Un autre défi auquel on était confronté, c’est le ravageur. On a fait le choix des traitements de semence pour minimiser le risque pour l’agriculteur et obtenir la performance souhaitée. Des défis aussi en ce qui concerne la compétitivité de la culture, et notamment le coût des intrants, subsistent : notre objectif est de trouver les moyens pour améliorer le ratio rendement/coût des intrants”, a-t-il souligné.
Des textes qui favorisent l’installation de l’interprofession au Maroc
De son côté, Aziz Bouhejba, président de l’Association pour l’agriculture durable (Apad), a estimé que la Tunisie peut s’inspirer du Maroc qui a une longueur d’avance sur le reste des pays du Maghreb en matière d’organisation interprofessionnelle des filières. “Je pense que ces rencontres sont l’occasion de trouver de vraies pistes de coopération sur l’aspect organisation professionnelle et interprofessionnelle. Je pense qu’il est grand temps d’y penser pour limiter les risques relatifs à la régression des superficies (c’est ce qui s’est passé en Tunisie, cette année) et pour sécuriser nos objectifs de 100 mille hectares à l’horizon 2030”, a-t-il soutenu. Pour Bouhejba, il serait judicieux de s’inspirer des textes qui ont favorisé l’installation de l’interprofession au Maroc plutôt que d’être figés sur les groupements professionnels, tels que pratiqués en Tunisie. L’objectif est de changer les statuts, trouver une souplesse de gestion et inciter les opérateurs à se fédérer autour de ce type d’organisation. L’intervenant a mis l’accent sur l’importance d’identifier une vision pour les trois années à venir, laquelle vision devrait regrouper tous les pays de la région. Il a, par ailleurs, évoqué plusieurs problèmes qui subsistent et qui s’érigent en obstacles face au développement de la filière, tels que les traitements insecticides et les crucifères qui pénalisent les rendements.
Coopération technique
Abondant dans ce sens, Tarek Jarrahi, directeur général de l’Institut national des grandes cultures, estime qu’il est nécessaire de mettre en place une plateforme qui favorise l’échange des connaissances et des expériences entre les pays de la méditerranée. “Vu les enjeux actuels auxquels font face nos pays, en matière de souveraineté alimentaire, nous avons besoin de collaboration. Je pense qu’il faut, en ce sens, définir une stratégie à long terme qui permet de faciliter la collaboration entre les pays et de mettre en place les outils nécessaires pour la dynamiser “, a-t-il ajouté. Selon Jarrahi, il est important de mettre l’accent sur la formation et d’encourager l’innovation afin de développer cette culture dans les pays du Maghreb.
Revenant sur l’expérience marocaine qui a été menée depuis 1976, Mohamed Saïdi, directeur de la Fédération nationale interprofessionnelle des semences et plants (Fnis) du Maroc, a précisé que la coopération entre les pays du Maghreb peut être axée sur la création des variétés compétitives (qui coûtent moins cher aux agriculteurs), puisqu’il s’agit de recherche coûteuse nécessitant des marchés. Le responsable a souligné que la coopération devrait être tissée non seulement entre pays, mais également entre les divers acteurs au sein du même pays. En effet, selon Saïdi, les opérateurs de chaque filière doivent s’organiser, et ce, dans l’objectif de discuter les problèmes, définir les stratégies et proposer des solutions communes. Ils doivent également convaincre l’Etat de la nécessité de mettre en place un cadre juridique qui encadre les relations de partenariat entre les acteurs et l’Etat. Il a ajouté que ces partenariats peuvent sous-tendre la recherche et développement, avec, en point de mire, des solutions aux problèmes qui freinent l’essor de la filière, tels que le couplage entre le colza et les céréales.
De son côté, Gilles Robillard, président de Terre Inovia, a mis l’accent sur le rôle que jouent les instituts techniques dans l’amélioration de la performance et du rendement des cultures oléagineuses. Selon le panéliste, les enjeux auxquels fait face la filière colza sont des enjeux de production, mais également de valorisation. “Si des agriculteurs n’ont pas la technique ou ne maîtrisent pas la technique dès le départ, ils vont aller vers des échecs, des écueils et ils vont perdre confiance en cette culture”, a-t-il précisé.
L’Algérie vise à atteindre 100 mille hectares en 2024
Prenant part au débat, Aziz Oulelhoucine, agriculteur algérien, a expliqué que la filière colza est une orientation stratégique des pouvoirs publics algériens. Il a affirmé que le pays a démarré, l’année dernière, la première expérience d’introduction de la culture du colza, avec l’exploitation de 7.000 hectares. L’Algérie vise à atteindre 100 mille hectares en 2024. Pour ce faire, les agriculteurs peuvent bénéficier de prêts bonifiés et de subventions (notamment des intrants) accordés par l’Etat. L’intervenant a affirmé que les agriculteurs algériens peuvent tirer les leçons de l’expérience tunisienne, soulignant que la coopération entre les pays est devenue vitale dans un contexte plombé par la guerre qui s’est déclenchée en Ukraine.