Dans sa première édition, le Master international film festival (MIFF) a rendu hommage à Raouf Ben Amor. Rencontre avec l’un des plus grands acteurs tunisiens, témoin de toute une époque de cinéma et de télévision.
On vous a rendu hommage lors de la première édition du MIFF. C’est le premier en Tunisie …
Je suis très content qu’on me rende hommage après 50 ans de carrière, surtout dans un festival nouvellement né. J’ai été déjà honoré avec le prix Saleh-el-Kasab, et dans deux semaines, on me rendra hommage au festival de Fez au Maroc, mais c’est mon premier hommage en Tunisie, moi qui ai vu naître les JCC .
Que pensez -vous de ce nouveau venu dans le paysage des festivals ?
Aussi bien ce festival que toutes les autres manifestations culturelles sont les bienvenus parce, que c’est la seule bouffée d’oxygène pour nous faire oublier, cette décennie totalement folle. Pour moi, chaque gouvernorat doit avoir son festival de cinéma. Parce que le cinéma est une industrie qui a un rayonnement mondial. Elle peut drainer les réalisateurs étrangers à venir tourner chez nous. D’ailleurs, nous avons vécu cette expérience avec Tarek Ben Ammar dans les années 70. Le MIFF est aussi un festival qui allie culture et tourisme, c’est pour cela que j’ai salué le ministère du Tourisme qui a contribué à la réalisation de ce festival, mais aussi M. Bouzganda et le groupe Poulina. Et c’est là que je cite aussi les frères Kilani à Gabès qui ont construit l’Agora et créé un festival magnifique. Chaque gouvernorat a ses hommes d’affaires, ses intellectuels et son élite. Il suffit de se réunir en une association et de créer un festival de cinéma. Le cinéma dépasse toutes les frontières… C’était notre école à nous. Nous avons découvert le cinéma à Halfaouine. Feu Omar Khelifi nous projetait des films sous la tente. Après, c’était l’école qui avait pris le relais. A la naissance de la Première République, on se souvient du cinéma ambulant.
Cette éducation qui invite le cinéma dans notre vie à l’époque n’existe plus …Peut-on se rattraper ?
En effet ! C’est pour cela que je dis qu’il faut redémarrer à zéro aujourd’hui. Pour le moment, c’est difficile vu cette situation très floue que nous vivons. Au lendemain de la Première République, la situation était claire. Il y avait les hommes qu’il fallait et surtout la volonté de bien faire. Ce n’est pas une question de moyens seulement. Il faut accompagner les élèves pour qu’ils grandissent dans la connaissance du cinéma de telle manière que lorsqu’ils grandissent ils ne restent pas «bouche bée devant une œuvre d’art», comme disait Brecht.
Aujourd’hui, on voit de plus en plus les hommes d’affaires s’impliquer dans les festivals de cinéma et espérons-le dans la production de films. Qu’en pensez-vous ?
Le ministère des Affaires culturelles ne peut pas faire plus qu’il n’est en train de réaliser en ce moment. On oublie toujours que le cinéma est une industrie. Encore faut-il faire prendre conscience aux hommes d’affaires qu’on peut gagner beaucoup d’argent en produisant des films. Ne nous comparons pas à Hollywood, mais regardez l’Égypte par exemple. L’industrie tient le coup depuis un siècle. Toutes les salles sont pleines à chaque sortie de film, malgré l’existence de Netflix et les autres plateformes. Sensibiliser les hommes d’affaires tunisiens est un pas très important qui reste à faire. Et j’espère que quelques-uns d’entre eux mettront la main dans cette industrie. Jusque-là les nouveaux producteurs sont des acteurs et des réalisateurs toujours dans l’attente de la subvention de l’État. Il est temps de voir les choses autrement. Avec les nouvelles technologies, on peut maîtriser les coûts d’un film en production et en postproduction. Les films coûtent moins cher et, personnellement, je visionne les courts-métrages de fin d’études des écoles de cinéma et je suis très heureux de constater que nous avons une jeunesse prête à prendre la relève. Le monde du cinéma a énormément évolué et nous demeurons dans un carcan administratif avec des lois éculées. Il nous faut une révolution culturelle… Mais avec des roses..