Accueil Economie Supplément Economique 20e édition du Forum de l’Investissement | Ferid Belhaj, Vice-président de la Banque mondiale pour la région MENA : «Si vous voulez battre la compétition, il faut aller beaucoup plus vite, plus fort»

20e édition du Forum de l’Investissement | Ferid Belhaj, Vice-président de la Banque mondiale pour la région MENA : «Si vous voulez battre la compétition, il faut aller beaucoup plus vite, plus fort»

Pour Férid Belhaj, la lenteur et les atermoiements dans les prises de décisions ne font qu’altérer la confiance des investisseurs. Ainsi, il affirme que  la relance de l’investissement passe notamment  par la révision du rôle de l’Etat dans l’économie et par l’instauration d’une justice commerciale professionnelle.    

Intervenant lors du panel “La relance de l’investissement”, le vice-président de la Banque mondiale pour la région Mena, Ferid Belhaj, a mis l’accent sur la transparence dans la  prise de décision en tant que gage de confiance pour les investisseurs. Il a souligné, en ce sens, l’importance de la concrétisation rapide des décisions prises, mettant en garde contre les atermoiements, ennemi juré des investisseurs. “ En réalité, l’atermoiement tue la confiance. L’absence de réactivité et de décisions est le premier repoussoir pour tous ceux qui viendront, à la fois en investisseurs locaux et en investisseurs internationaux, avec une bonne volonté de s’engager en Tunisie”, a-t-il précisé. Le deuxième point, sur lequel s’est attardé Belhaj, est la question de la transparence et de la gouvernance. Un écosystème, qui permet la prévisibilité de la décision et  des processus, est un élément clé pour tous les investisseurs, estime-t-il. “Il se trouve que lorsque les règles du jeu ne sont pas claires, cela donne évidemment beaucoup de champs ouverts aux pratiques arbitraires et à des distorsions, voire des pratiques de corruption”, a-t-il ajouté.

Pour un Etat régulateur

Belhaj n’y est pas allé par quatre chemins pour rappeler encore une fois que le rôle de l’Etat dans l’économie est un rôle de régulation et d’encadrement. Car l’Etat entrepreneur aurait montré ses limites. “L’Etat n’est pas entrepreneur. L’Etat est facilitateur. Et à chaque fois que l’Etat s’est mêlé à l’entreprise, nous voyons aujourd’hui dans quel état sont les entreprises publiques “, a-t-il commenté.

Loin de prôner une privatisation à tout-va, Belhaj estime que la participation de l’Etat dans des entreprises publiques, qui ont su confirmer leur compétitivité dans des secteurs ouverts à la compétition, est un acquis.  “Nous ne poussons pas à la privatisation à tout prix. J’aimerais bien effacer cette idée de l’esprit de tous les participants. S’il y a participation de l’Etat dans des entreprises publiques,  c’est très bien si ces entreprises publiques sont compétitives. Pour tester la compétitivité d’une entreprise, il faut ouvrir le secteur dans  lequel elle opère à la compétition et la laisser en compétition avec le secteur privé. Si elle s’impose, si elle est efficace, si elle apporte la satisfaction aux utilisateurs, qu’elle reste là et qu’elle continue d’être compétitive. Si elle ne l’est pas, il faut penser à une nouvelle manière de l’approcher. Il est très important pour l’investisseur de savoir que des secteurs importants dans l’économie sont effectivement ouverts à la compétition”, a-t-il ajouté. Il a indiqué, en ce sens, que c’est à l’Etat d’identifier quels sont les secteurs stratégiques. Car des secteurs,  tels que la production et la génération de l’électricité, peuvent ne pas être l’apanage de l’Etat d’autant que plusieurs  expériences  de privatisation de ces secteurs, menées dans plusieurs  pays, ont été couronnées de succès, affirme-t-il.  “Prenons le secteur de l’électricité, dont on dit — comme un label — un secteur stratégique. Est-ce que la distribution de l’électricité est stratégique? Est-ce que la génération de l’électricité est stratégique ? Est-ce qu’on peut essayer de voir dans quelle mesure la génération de l’électricité doit obligatoirement être l’apanage de  l’Etat? Quand on regarde à travers le monde, on s’aperçoit qu’il y a une majorité de pays où la production de l’électricité est privée ou, en tout cas, hybride (privée et publique). La Banque mondiale et la SFI, ont engagé avec le gouvernement irakien,   au milieu d’une période extrêmement complexe (2014 -2015), la privatisation de la génération de l’électricité. Cela  a marché et il y a eu des bénéfices qui ont  été faits et une manière de rationalisation qui a été proposée”, a-t-il argumenté.

Justice commerciale professionnelle

Par ailleurs, le vice-président de la Banque mondiale pour la région MENA  a mis un point d’honneur à évoquer l’importance de l’instauration d’une justice commerciale professionnelle et transparente pour restaurer la confiance des investisseurs. “Il est de toute première instance de réfléchir sérieusement à une justice commerciale professionnelle, transparente et prévisible. Nous l’avons fait dans un grand nombre de pays. Il y a des cours commerciales spécialisées. Elles sont équipées et les juges qui y président sont des juges qui savent gérer un contentieux commercial. Il y a un travail à faire en ce sens en Tunisie et ce ne sont pas les chambres commerciales auprès des tribunaux de première instance qui gèrent la chose. Il est important de lancer un signal très fort sur le fait que le pays est un pays ouvert et où la justice est transparente”, a-t-il souligné.

Des réformes, deux vitesses

Belhaj a, en outre,  fait savoir qu’il y a deux vitesses avec lesquelles les réformes peuvent  être engagées.  Il y a, d’abord,  des réformes urgentes  qui peuvent avoir un impact immédiat. “Comme l’a précisé le ministre de l’Economie,  80% des autorisations ont été élaguées sur une période relativement courte. C’est important parce que c’est un traitement de choc. C’est tout ce dont nous avons besoin  pas seulement en Tunisie mais dans tous les pays de la région: avoir clairement la volonté politique de la part du gouvernement  de choquer, d’ouvrir le système», a-t-il expliqué. Ensuite, il y a les réformes qui seront réalisées sur le moyen et le long termes. Il s’agit alors de la réforme du système éducatif, de la santé et de la protection sociale.

En ce qui concerne l’éducation, un effort de mise à niveau doit être réalisé pour faire en sorte que les étudiants qui sortent du système éducatif  puissent avoir la possibilité de s’acclimater à une économie qui bouge très vite, affirme Belhaj. Et de soutenir : “Il ne s’agit pas  d’apprendre mais d’apprendre à apprendre et donc continuer à se recycler tout au long de sa carrière”, fait-il remarquer.  S’agissant de la santé, le représentant de la Banque mondiale a expliqué  qu’il est important de faire en sorte que les secteurs de la santé dans les pays de la région et notamment en Tunisie soient performants à même de  permettre aux jeunes  d’être en bonne santé et relever les défis du monde dans lequel ils vivent.

700 millions de dollars débloqués en deux ans seulement

La troisième réforme sur laquelle a insisté Belhaj est celle de la protection sociale. “La lenteur de ces réformes engendre un amoncellement de complexité et de douleurs. Elles peuvent avoir un coût et parfois un coût social. Pour que ce coût social soit absorbé, il faut qu’il y ait des filets sociaux efficaces qui soient mis en place. Sur les deux dernières années, la Banque mondiale a mis de forts engagements financiers pour financer les filets sociaux à un moment où le pays traverse une période compliquée.  L’idée derrière ce transfert direct de cash aux ménages les plus vulnérables et les plus pauvres était d’offrir au  gouvernement des marges de manœuvre  pour aller de l’avant sur des réformes qui pourraient avoir un impact social. Entre l’année dernière et cette année, la Banque mondiale a mis sur la table 700 millions de dollars, c’est beaucoup d’argent pour un pays de 11 millions d’habitants”, a-t-il soutenu.

Il a ajouté, en somme, que la Tunisie n’est pas le seul pays de la région qui fait face à ces défis et qu’il est grand temps qu’elle mette les bouchées doubles pour avancer sur les réformes et parvenir à se repositionner dans la région.  Et de préciser :  “Un grand nombre de pays autour de nous  sont des compétiteurs — parfois c’est une compétition complémentaire, parfois c’est une compétition exclusive —  qui doivent engager ces réformes. Il faut avancer très vite. La compétition existe. Si vous voulez la battre, il faut aller beaucoup plus vite, il faut aller beaucoup plus fort.  Sinon, nous restons dans des approches par étapes. Ces approches ne nous permettent pas de faire ce saut qualitatif qui est absolument important à faire aujourd’hui. Donc, l’appel est d’aller vite, d’aller plus fort et nous comptons sur le gouvernement pour prendre ces importantes décisions politiques”.

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