Lorsque l’on parle de cinéma au féminin, ce sont les réalisatrices qui monopolisent l’image. Les techniciennes, créatrices, monteuses, maquilleuses ou scénaristes sont souvent oubliées. «A l’œuvre au cinéma» raconte les parcours singuliers de ces tisseuses du cinéma. Le livre est le fruit de plusieurs recherches sur l’Afrique et le Moyen-Orient. Il est dirigé par Patrica Caillé (Université de Strasbourg /Crem) et Raluca Calin (Université de Paris-Sorbonne nouvelle/Ircav). Patricia Caillé nous a accordé cet entretien.
Parlez-nous du réseau Escales dans lequel le livre a été concu. En 2016, lors d’un colloque au Maroc, nous avons décidé de créer le réseau «Escales, Histoire économie et sociologies des cinémas d’Afrique et du Moyen-Orient». Dans le cadre de ce réseau international et multidisciplinaire, on voulait explorer les différents cinémas d’Afrique et du Moyen-Orient à partir d’une meilleure compréhension du fonctionnement des secteurs d’activité. Nous avons donc commencé par une enquête sur le spectatorat, ensuite nous avons travaillé sur la question des femmes dans le cinéma. Il ne s’agit pas seulement des réalisatrices, mais aussi des techniciennes (monteuses et scénaristes). Dans ce réseau, on travaille sur différents terrains dans plusieurs pays. Dans chaque pays, il y a une équipe de chercheuses qui partent des travaux de terrain, ce qui nous permet d’aboutir à des approches comparatives.
Qu’est-ce qui caractérise ces métiers de techniciennes au cinéma ?
Personnellement, j’ai travaillé sur la place des réalisatrices en Tunisie, mais on voulait étendre avec ces réseaux nos recherches aux collaboratrices et aux techniciennes créatrices. C’est ce qui a donné naissance à cet ouvrage qui porte le titre de «A l’œuvre au cinéma, professionnelles en Afrique et au Moyen-Orient». L’idée est de comprendre ce que font les femmes, comment elles le font, mais aussi comment elles arrivent à participer et à s’intégrer au fonctionnement des secteurs cinématographiques. A travers ces études, nous nous sommes rendu compte que les femmes sont présentes depuis longtemps et qu’elles ont participé à la valorisation des productions locales en participant à l’organisation des festivals de cinéma et à l’enseignement par exemple. En Tunisie, la présence des femmes dans ce secteur d’activité ne date pas d’hier et il y a une première génération qui est assez présente.
Il y a eu des pionnières…
En effet, Il y avait des pionnières en Afrique et au Maghreb, par contre, une présence continue qui n’est pas seulement liée à la réalisation est quelque chose de récent. Nous avons organisé des tables rondes avec des techniciennes et c’était étonnant la façon dont elles racontaient leur présence, ce qu’elles faisaient alors qu’on ne les voit pas. Les femmes sont là, elles font quelque chose, mais elles ne sont pas retenues dans l’histoire des cinémas nationaux.
Quels sont les métiers de femmes les plus lésées par l’histoire du cinéma ?
Là encore cela va dépendre des pays. Par exemple, en travaillant sur le Liban, j’ai constaté qu’on oubliait les réalisatrices. Mais il y a des femmes oubliées et qui ont contribué à l’organisation d’événements qui valorisent les patrimoines.
Quand on parle de cinéma au féminin, on ne parle que des réalisatrices et on oublie les monteuses et tous les autres métiers liés à la production d’un film…
Tout à fait ! Même en tant que chercheuses intéressées par ces questions, nous avons du mal à penser au-delà des réalisatrices. Nous nous sommes rendu compte que dans les travaux qu’on a produits que les réalisatrices sont très présentes. C’est pour ça que nous sommes en train de travailler sur un autre projet consacré uniquement aux techniciennes créatrices. Là aussi nous n’avons pas assez de données générales sur la technique liée à la création des films, que ce soit sur les hommes ou sur les femmes. Nous avons décidé de travailler alors sur les techniciens et techniciennes à partir d’une approche genrée et générationnelle.
(*) Ont contribué à ce livre : Patricia Caillé (Introduction), et Hayne Srour (Liban), Raluca Calin (Éthiopie), Claude Forest, (Andrée Davanture, monteuse, France), Ons Kamoun (Kahena Attia, monteuse, Tunisie), Dennis-Brooke Prince Lotsu (Ghana), et Leïla Djansi, réalisatrice ), Emna Mrabet (Tunisie).