C’est comme une lame de fond qui monte et que rien ne semble pouvoir arrêter. La marée de festivaliers, plus hétéroclite, plus joyeuse, plus jeune, plus belle et plus saine que jamais, se prépare à prendre ses quartiers de bonheur à La Goulette. De jour comme de nuit, de cette cité historique au patrimoine protégé, village cosmopolite à la croisée des chemins des vacanciers, qui se veut une ville plus belle, plus conviviale, plus accueillante, plus respectueuse de l’environnement et des générations futures, baignée dans les couleurs du soleil, émane un appel envoûtant à l’escapade. En été, à La Goulette, le pouls du temps bat à un rythme mystérieux, celui du rien vacancier qui nargue le visiteur et le pousse au farniente limace. Voilà une ville singulière qui brave le temps, défie les âges et conserve jalousement les traces de sa splendeur passée.
C’est une métropole qui fascine, qui a toujours quelque chose d’intime à offrir mais qui livre chichement ses secrets. Le soir, la noirceur lui apporte un petit quelque chose de spécial. Elle est porteuse de mystère, de possibilités, d’aventures et peut transformer l’ambiance urbaine du quotidien en une atmosphère de fête. Nuit et jour, sans interruption, la ville est en mouvement. Reportage
La Presse — La Goulette. Il est 9 heures du matin et le soleil qui darde déjà ses rayons sur les artères nervurées de la ville, ponctués de myriades de klaxonnades des voitures bondées d’estivants de tous bords mettant le cap sur la plage, mettent à vif les nerfs des agents de police en faction.
La ville est enveloppée ce jour-là dans une chaleur d’airain. Fort heureusement, les grands ficus, devenus l’habitat de prédilection de toutes sortes d’oiseaux, permettent d’arpenter les rues à l’abri de ces chaudes journées ensoleillées. Derrière les persiennes encore fermées, le soleil filtre, à l’insu des habitants, quelques rayons de lumière. Intra muros, tout semble être endormi. Mais derrière ces moucharabiehs, où les adultes semblent encore pris dans la bulle royale, quelques pleurs de bébé se font entendre.
Du côté du marché, l’odeur violente du poisson attire une foule hétéroclite. Dans le sas d’entrée, un client est abordé par un gamin en haillons qui s’accroche à lui, le regard implorant. Il est vite repoussé par un vendeur, qui le somme de quitter les lieux. On rebrousse chemin, tellement l’endroit est plein à craquer. Tellement ça crie au poisson et tellement les prix sont exorbitants.
Gagner au plus vite la plage
Croisés sur le macadam, sur les visages de quelques passants se dessinent les traits d’êtres exténués, pressés, collant aux exigences de l’instant et prêts à shooter leurs affaires telles des comètes humaines qui veulent traverser le temps pour gagner au plus vite la plage.
En effet, La Goulette est la station balnéaire la plus populaire du Grand Tunis. Très proche des cœurs des Tunisiens, ses plages sont envahies chaque été par des milliers d’estivants. On reconnaît les Goulettois par leur teint un peu plus basané. Sur la plage aménagée qui fait face au Lido, des petits garçons courent ventre à terre en direction de la mer. Les premiers qui atteignent l’eau s’arrêtent brusquement et lancent des cris stridents. Pour cette première baignade, ils sursautent, avant de décider de piquer une tête. Tout proches, leurs parents observent avec plaisir ces enfants heureux comme tout au simple contact de l’eau. Un plaisir simple et accessible tous. En effet, seuls ou en groupes, les gens qui se baignaient étaient nombreux ce jour-là. Ils passeront la journée les pieds dans l’eau.
Mais quand les frontières de la nuit tombent, la ville propose une nouvelle dynamique urbaine, plus festive, plus créative, moins «ordinaire». Elle entraîne une autre dimension à la vie urbaine, qui favorise la sociabilité, les rapprochements, la créativité, et son dynamisme contribue à l’attractivité touristique et au rayonnement international de la destination.
Les frontières de la nuit
En effet, La Goulette, le soir, est une ville trépidante grâce à une foule bigarrée, qui se répand dans toutes les principales artères de la ville. C’est qu’avec l’été, le pouls de la ville bat plus que d’habitude. Et pour cause, l’ouverture à la circulation du pont Radès-La Goulette, depuis le 21 mars 2009, offre une liaison directe, rapide et permanente entre la banlieue nord et la banlieue sud.
En effet, ce nouveau fleuron urbanistique qui vient de faciliter les communications entre la banlieue nord et sud est désormais le vecteur d’une synergie qui induit incontestablement une nouvelle dynamique économique, sociale et culturelle. Ainsi, pour leurs sorties vespérales, les résidents de la banlieue sud jettent désormais leur dévolu sur les sites d’animation dont regorge cette ville côtière grâce à l’accès facile qu’assure ce pont. En effet, le bras de mer qui, de tout temps, a constitué une entrave au développement économique entre les deux banlieues n’est plus un obstacle, et la ville connaît donc une affluence particulière. Selon les autorités locales, ils seraient plus de 150.000 per- sonnes à déambuler sur le macadam, à l’avenue Roosevelt ou à l’avenue de la République.
Mais partout où l’on passe, les eaux vous entrent jusque dans l’âme et vous mènent droit au cœur de l’avenue Franklin-Roose- velt, rue gastronomique par excellence qui compte plus de 40 restaurants, dont une dizaine est classée touristiques. En effet, les effluves criards du poisson et le fumet des belles pièces grillées au feu de bois font saliver les palais les plus exigeants.
Cette spécialité est le reflet même d’une forte et longue tradition culinaire. Dans cette rue gastronomique, des grappes de citoyens, des touristes et des résidents, le regard vif, comme de vieux loups de mer à la barbe fournie, devisaient gaiement devant les présentoirs frigorifiés bien fournis en poisson frais. Pageot, daurade, loup et mulet, les passants frémissent à la rencontre de l’odeur d’un poisson frais qui sent la mer et l’iode. A plusieurs reprises, par le toucher, les clients les plus audacieux n’hésitaient pas à tester la fraîcheur du poisson. Question de savoir si l’animal est entier. « Sa chair est ferme et il dégage des senteurs douces et parfumées », lance un client à sa compagne. Certes, le toucher est un moyen perspicace pour vérifier la fraîcheur du poisson, mais attention, il laisse une forte marque odorante sur les mains.
Fraîcheur, quand tu nous tiens
Un autre client accompagné de sa femme et de ses enfants répond favorablement à l’invitation d’un maître restaurant et franchit le seuil de l’établissement, d’autant plus que le prix proposé pour le «complet poisson» est acceptable.
Au-delà, le traiteur a le droit de le servir en tranches et de le répartir sur deux, voire trois menus. Il est servi avec un hors-d’œuvre, «tastira» et frites.
Mettant le cap sur l’avenue de la République, où une foule hétéroclite aux silhouettes difficilement distinguables s’affaire autour des livrées de poissons aux restaurants de la place, des chats crapahutaient entre les pattes des badauds.
Cette avenue, avec ses terrasses de café à même la plage, offre également des moments de pur bonheur, les pieds dans l’eau.
Sur cette corniche, une légère brise par- semée de mille et une couleurs caresse les amateurs de sorties vespérales qui auscultent du regard les eaux grises, écumées de la Méditerranée qui se mêlent à un ciel couleur de plomb. Néanmoins, c’est sur cette corniche avec cette étendue de terrasses qu’on découvre La Goulette des veillées. Si par habitude ou par enchantement les Goulettois optent pour des soirées au bord de la plage, n’hésitant pas à se balader torse nu, les visiteurs, eux, privilégient les terrasses des cafés : « le Chebli », « la Marina » ou « Miled ». Ce dernier est facilement reconnaissable avec les tubes d’Om Khaltoum ou Farid Latrech, comme pour immortaliser le passage goulettois de cet artiste et son tube indélébile dédié à la région. Pour colorer l’atmosphère, des vendeurs ambulants se fondent dans le décor pour l’égayer avec des senteurs rafraîchissantes et des acrobaties entre les chaises des terrasses.
D’autres habitants et estivants de tous bords, fuyant une chaleur caniculaire et cherchant à allier fraîcheur et détente aux bons plaisirs du palais, préfèrent prendre d’assaut les terrasses au pied des remparts de la forteresse de Charles Quint. Ici, l’animation ne manque pas mais on peut toujours jeter son dévolu sur des «banbalouni» (beignets au sucre) ou des chips.
Tandis que dans le lacis des venelles du quartier de la « Petite Sicile » ou de « Tahounet El Rih », les familles demeurent fidèles à des veillées au clair de la lune sur les paillassons. Les gamins jouent à cache- cache. Tout ce beau monde ne se soucie guère du vacarme des artères principales « colonisées » par des milliers d’estivants.
Mohamed Ali Elhaou
5 août 2022 à 16:03
merci pour cet article détaillé qui nous fait vivre à la ville de la Goulette