Le Sommet de la francophonie commence à pointer. C’est pour lui réunir les conditions de réussite qu’un collectif associatif de Djerba a pris l’initiative de procéder à un exercice d’entraînement : organiser une rencontre de la société civile autour d’un thème qui s’y prête : devoir de mémoire et francophonie.
C’est le célèbre Azdine Ben Yacoub, le Tunisien vivant entre Paris et Djerba, dont le dynamisme et l’entregent font merveille, qui est à l’origine de cette action innovante.
Son association Carthage, associée à Activ’Citoyens et l’Association de développement Mellita Djerba, ont été les promoteurs de cette première qui doit sans doute faire des émules.
L’animation, assurée par le directeur de l’Agora Midoun, Wajdi Borgi et Azdine Ben Yacoub, a donné d’emblée le tempo pour susciter l’intérêt de l’assistance, assez relevée, et l’inspiration des intervenants.
C’est Moncef Felli, président de l’Association hilalienne et marathonien invétéré, qui a ouvert la séance.
Son exposé sur l’historique de l’Organisation internationale de la francophonie ainsi que sur ses missions a éclairé l’assistance sur les différentes phases de cette fondation, sur le rôle de Bourguiba et de la Tunisie et sur quelques aspects occultés de la vie de l’OIF.
Ses digressions ont enrichi son propos surtout en évoquant les souvenirs de la scolarité et l’apport autant des écrivains français que des poètes arabes qui ont marqué leur époque pour s’inscrire ensuite dans la postérité.
Moncef Felli a ensuite mis l’accent sur le rapport entre la francophonie et la coopération économique tout en déplorant l’insuffisance des échanges entre la France et ses partenaires francophones et entre les pays francophones eux-mêmes.
L’intervention de Maherzia Gaddour, une retraitée du tourisme, active dans la société civile, a été un voyage dans le passé où foisonnaient des souvenirs liés à la langue française qui a constitué un pont entre la Tunisie et le monde occidental que représentait pour sa génération la France.
L’inédit y a été fréquent et son récit a permis de plonger l’assistance dans la nostalgie. La précision de ses souvenirs et son amour manifeste du français justifient largement sa participation. Abderrazak Essaied a ensuite éclairé l’assistance sur une question importante : le prix Nelson Mandela. Colonel à la retraite, de la promotion Bourguiba de Saint-Cyr – 1957, ayant quitté l’armée pour devenir fonctionnaire à l’ONU depuis 1977, il a réalisé une performance unique: à trois reprises, il est associé à l’obtention du prix Nobel de la paix au sein d’institutions différentes. Son intervention a été un plaidoyer pour l’action de Bourguiba, l’un des promoteurs de la francophonie, un témoignage d’admiration pour Mandela et un rappel des actions des deux hommes en faveur de la paix en Afrique et dans le monde.
Introduction de l’anglais dès le primaire : un challenge et non une menace
L’enchaînement a été assuré par Mohamed Kilani, l’homme aux casquettes multiples: journaliste, cadre de banque et écrivain. Il a commencé par faire l’éloge de la langue française à travers l’expérience d’un Chinois qui l’avait découverte à Paris, en 1949, à l’âge de vingt ans pour la maîtriser chemin faisant jusqu’à accéder à l’académie française. Il adopte un patronyme à double généalogie : Robert Chang. Invité lors de l’émission La Grande Librairie, il avait évoqué sa saga et sa production prolifique autour de thèmes touchant aux sciences humaines, concluant que grâce à son amour de la langue française, il ressentait le réconfort de s’estimer encore à 90 ans un homme valable. L’intervenant en a profité pour rappeler que les hommes se définissent soit par l’utilité qu’ils apportent aux autres ou par celle qu’ils tirent des autres. Il a fait lui-même un survol de ses rapports avec la langue française et édifié l’assistance sur une péripétie insolite: sautant la 3e année primaire, il s’était retrouvé le cancre de la classe puisque nul en français.
Et c’est son repêchage par son instituteur, l’ayant rétrogradé, qui lui a permis de se mettre sur la bonne voie avec, plus tard, une incursion dans l’édition.
Au sujet de la mission de la francophonie, il a fait remarquer que d’autres défis l’attendent, et que le projet de l’introduction de l’anglais dès le primaire doit être perçue comme un challenge et non une menace. Et qu’une stratégie doit être arrêtée pour que le français poursuive son rayonnement.
Abordant la question du devoir de mémoire, Mohamed Kilani a fait un survol des différentes injustices qui ont frappé l’humanité, évoquant les cas subis par la Tunisie : destruction de Carthage, les offensives d’El Kahena et des Hillaliens. Il a rappelé également le sort réservé aux musulmans chassés de l’Andalousie, les différentes inquisitions, le génocide arménien, l’Holocauste, la Palestine, le Biafra, la Yougoslavie, le Rwanda, l’Irak, etc.
Aussi est-il arrivé à considérer que le devoir de mémoire, tout en étant une obligation éthique envers les victimes d’injustices, de répression, de bannissement ou d’élimination, ne doit pas perpétuer la haine. Il doit servir de frein à la récidive et l’arrogante domination des puissants.
Il a même insisté pour que le devoir de mémoire ne doive pas sécréter la propension à la vengeance, préconisant un travail d’apaisement à grande échelle pour que les pays, les hommes et les minorités retrouvent la concorde dans un monde débarrassé des forces du mal, notamment chez les gouvernants.
Le débat a apporté d’autres témoignages et éclairages pour enrichir le thème et rassurer les organisateurs sur l’adhésion de l’assistance à cette joute conciliant entre culture, politique, histoire et éthique.
Le Djerbien Tarak Mami, journaliste de son état, installé à Paris, proposa d’autres pistes pour mieux cerner l’événement.
Le bilan est positif et sûrement encourageant pour Azdine Ben Yacoub et ceux qui l’ont accompagné avec enthousiasme dans son entreprise. Il est à parier que d’autres actions suivront, d’autant que la présence du Maire et son engagement explicite peuvent se lire comme une volonté de mettre toutes les énergies de l’île, avec la synergie souhaitée, en faveur d’un Sommet qui n’arrête pas depuis longtemps de susciter intérêt, controverse et crainte.