Par Dr Mohamed Salah Ben Ammar et Dr Mohamed Adel Chehida
Il y a eu l’avant-Covid comme il y aura le post-Covid. Malheur à ceux qui ne le réalisent pas encore.
Bien que les pays du monde entier continuent à communiquer des statistiques journalières de décès liées au Covid, l’opinion publique mondiale semble être passée à autre chose. Les conséquences de la pandémie, inflation, stagnation de l’économie mondiale, les nouveaux pauvres, les abandons scolaires, le burn-out des professionnels de santé…il fallait vite les oublier. La génération « masque », les enfants qui ont ouvert les yeux sur des visages à moitié couverts devront se débrouiller seuls ! Faute d’avoir des responsables qui ont le courage politique d’assumer leurs choix, les leçons de la crise ne seront pas retenues.
L’exemple de la Chine qui s’acharne à vouloir appliquer la politique de zéro Covid est pathétique. Les confinements successifs de plusieurs millions de personnes et le spectacle des interminables queues sous le soleil, de milliers de personnes qui attendent leur tour pour faire un test sont proprement insupportables.
Des millions de morts nous regardent errer. Comme toujours depuis le moyen âge, après chaque pandémie l’équilibre des forces qui régissait le monde et les sociétés est remis en question et en 2022 nous avons encore beaucoup de mal à l’admettre. Pour cette raison, longtemps encore le Covid continuera à faire des dégâts à l’échelle internationale et nationale.
Les grandes puissances bombent le torse, la guerre est aux portes de l’Europe et la guerre économique est mondiale, c’est une réalité perceptible à l’échelle des individus. Les conséquences que nous observons déjà vont s’accroître et elles seront terribles pour les petites nations qui ne sauront pas s’adapter à cette nouvelle réalité.
Rares sont les dirigeants politiques à travers le monde qui ne se sont pas enorgueillis d’avoir sauvé leurs citoyens d’une mort certaine. Oxygène, masques, lits de réanimation, vaccins et même à un certain moment hydroxychloroquine, peu importait la mesure, ils prenaient tout, pourvu que cela fasse illusion auprès de la population. Tous les cas de figure ont été observés. Certains sont restés silencieux et ont guetté l’instant propice pour sortir du gué et ramasser la mise.
Les légendes s’écrivent a posteriori et toujours par les vainqueurs. Pour Boris Johnson, Bolsonaro, Trump, Kim Jong Un et d’autres, responsables de centaines de milliers de vies perdues dans des conditions dramatiques… oubliées les prises de position non fondées et les provocations. Il n’y a pas si longtemps, souvenons-nous, dans une logique complotiste-populiste ils avaient nié la gravité de la pandémie, refusé la vaccination, puis par miracle ils ont rejoint le concert des vainqueurs autoproclamés, ironie du sort ou logiquement tous ont eu le Covid.
Le vrai défi n’est pas de réaliser que le Covid est sûrement l’une des pandémies les plus mortelles des temps modernes, mais de se préparer à la prochaine pandémie.
Ceux qui oublient l’histoire sont condamnés à la revivre. Le courage d’assumer sa part d’erreur n’est pas une vertu politique. Le refus d’analyser objectivement ce qui s’est passé est compréhensible mais irresponsable. Comment justifier vis-à-vis d’une population meurtrie l’incapacité de l’ensemble du système à répondre à une telle urgence ? Pourquoi tant de morts ? Pourquoi ces écarts entre les quartiers, les villes, les régions, les classes sociales, les Noirs et les Blancs d’un même pays, les riches et les pauvres ?
Pourtant ils auront beau nier et mettre la poussière sous le tapis, plus rien ne sera comme avant, c’est une certitude.
Comment continuer à l’ignorer ? pandémie a été un puissant révélateur des injustices, des incohérences de nos modes de vie, des aberrations de notre modèle de développement, de nos errements, des insuffisances du système de santé, de l’absence de réactivité de nos systèmes scolaires, d’aide sociale… Nos réactions ont été telles que seul le qualificatif qui vient à l’esprit est ridicules ! Tous les systèmes du monde entier sans exception ou presque ont failli.
Cette pandémie a mis sur le devant de la scène la vraie question de la biopolitique et de la question jusqu’où les scientifiques peuvent influencer des décisions politiques au sein d’une société ? Mais nous avons aussi touché du doigt une autre vérité. Les décisions prises à Stockholm ou Vancouver, aussi fondées sur de solides arguments scientifiques soient-elles, ne s’appliquent pas à Bombay ou au Caire. Les sociétés ne réagissent pas de la même façon face à un fléau. A trop vouloir imposer un mimétisme aveugle, nous nous sommes ridiculisés.
Il faut se préparer à la prochaine pandémie. Que faire ?
Le Covid long continue à faire des morts et des handicapés. La création d’une structure nationale pour gérer la nouvelle pathologie (maux de têtes, asthénies, difficultés respiratoires, douleurs articulaires…) s’impose. Cette maladie encore mal connue est devenue une réalité qui mine la vie de milliers de citoyens.
Tous les secteurs de la vie, en passant par les relations internationales ont été durablement touchés. Il faut retenir les leçons de la crise. Le ministère de la Santé n’est qu’un maillon d’une chaîne. Une pandémie n’est donc aucunement l’affaire de la santé seule. Maintenant que la pandémie s’est calmée, nous pouvons dans un calme relatif dire que la gestion de la crise ne relève pas uniquement du ministère de la Santé.
A quel point avons-nous réalisé qu’il faut que les médias, les réseaux sociaux, la recherche scientifique, la défense nationale, les sciences sociales, les transports, l’enseignement, l’agriculture, le commerce, les affaires étrangères… et j’en passe, soient autour de la table dès le premier jour. Nous l’avons compris, un effort centré sur le système de santé seul conduit à l’échec. Une réforme partielle n’aura aucun impact sur le bien-être des citoyens si elle ne tient pas compte de cette donnée. Nous devons raisonner en population.
La création d’un espace dédié à la gestion des pandémies et qui aura pour mission d’interconnecter les diverses structures appelées à réagir en cas de pandémie, s’impose. Il est temps, à notre sens, de mettre fin à la commission nationale et de créer un organisme national multidisciplinaire indépendant. Le rôle principal (à titre indicatif) de cet organisme qui doit être réellement indépendant de la santé, sera de mettre en place une plateforme de dialogue, pérenne, d’établir un bilan réel des pertes humaines, d’évaluer l’impact réel de la pandémie sur la société, la santé mentale des citoyens, l’économie, le système scolaire (L’État doit au moins cela aux familles des 27.000 personnes décédées du Covid).
Cet organisme devra proposer des actions à entreprendre dès à présent. Leurs travaux devront alimenter la réflexion avec de nouvelles approches adaptées à la Tunisie post-Covid et ce dans tous les secteurs.
La bonne question n’est pas, allons-nous affronter une nouvelle pandémie, mais quand ? Il faut donc dès à présent retenir objectivement les leçons du passé, anticiper et préparer le long terme, encore une fois dans tous les secteurs de la vie, pour aider à la prise de décisions qui de toutes les façons seront toujours au bout du compte politiques (ce type de commission a déjà été établie en Grande-Bretagne).
M.S.B.A. & M.A.C.