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Tribune | Réflexions sur le Sommet de la Francophonie

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Par Moncef FELLI              

La Tunisie et l’ile de Djerba ouvriront grands leurs bras au prochain sommet de la Francophonie. C’est sûr ! Mais de quelle francophonie avons-nous besoin ? Pour quelle francophonie faut-il militer ?

Monsieur Justin Trudeau, Premier ministre du Canada, semble être très inquiet, à propos de la situation des droits de l’homme et de la démocratie en Tunisie.

La décennie noire que vient de traverser le pays et sa situation économique et sociale actuelle ne semblent pas, par contre, l’interpeller. Pas du tout ! Par contre, il aurait pris son bâton de pèlerin pour mener campagne contre la tenue du Sommet de la Francophonie à Djerba au mois de novembre prochain. Ingratitude ! En effet, la Tunisie d’hier et même d’aujourd’hui mérite amplement l’organisation de cette joute. Il faut avoir la mémoire courte, comme cela semble être le cas de Monsieur Trudeau et bien d’autres francophones, pour oublier que la Tunisie fut l’un des pionniers de la francophonie. En effet, force est de rappeler certaines vérités qui remontent à la période de la pré-gestation de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF)

Bourguiba a toujours plaidé pour que la Méditerranée soit un lac et un espace de paix et de coopération entre les pays riverains. Pour cela, il avait proposé, surtout à la France, de créer un projet de «Conférence méditerranéenne» lors de sa visite officielle en France en juin 1972. L’accueil réservé à Bourguiba par la France et Georges Pompidou était pourtant grandiose, mais l‘idée de Bourguiba était occultée. Mutisme du communiqué final relatif à cette visite.

Auparavant, Bourguiba avait plaidé aussi pour la création d’un Commonwealth à la française depuis 1965, notamment lors son inoubliable périple africain de 1965. Ce projet fut relancé au Canada en 1968.

C’est dire donc que les idées de Bourguiba ne sont pas étrangères à la création, sous la houlette de Paris, de l’Agence de coopération culturelle et technique à Niamey le 20 mars 1970, agence qui sera plus tard baptisée Organisation internationale de la francophonie (OIF).

Aux origines de l’OIF, il y avait donc Bourguiba, mais également d’autres géants de l’époque post-indépendances, à savoir le Cambogien Norodom Sihanouk, le Nigérien Hamani Diori et le Sénégalais Léopold Sédar Senghor qui avait dit : «Dans les décombres du colonialisme, nous avons trouvé cet outil merveilleux, la langue française». Les fondateurs de l’OIF voulaient mettre à profit le français au service de la solidarité, du développement et du rapprochement des peuples par le dialogue permanent des civilisations.

Dans cette logique, la génération qui fut formée par le système éducatif Bourguiba-Messaâdi et même celle d’après était tout naturellement bilingues sans aucun complexe. Bien au contraire, maîtres et professeurs des deux langues (arabe et français) avaient réussi à «produire» des citoyens performants. A côté de l’arabe, langue maternelle, le français était un vecteur d’épanouissement des jeunes de ces générations.

La Tunisie et l’ile de Djerba ouvriront grands leurs bras au prochain sommet de la Francophonie. C’est sûr ! Mais de quelle francophonie avons-nous besoin ? Pour quelle francophonie faut-il militer ?

La réponse est simple. La francophonie à laquelle nous aspirons doit être un instrument pour créer un espace de coopération dans tous les domaines.

Il doit s’agir de coopération entre la France et les pays francophones d’une part et de coopération entre les autres pays francophones d’autre part. Donc plus d’échanges, plus de circulation de biens et services et bien entendu de citoyens.

Actuellement, l’on compte 300 millions de francophones dont 60% vivent en Afrique. Donc l’avenir de la Francophonie est en Afrique, continent fort de la richesse de son sous-sol et de la jeunesse de sa population. Mais, les Chinois arrivent. Ils sont déjà là et les langues concurrentes au français ne manquent pas telles que l’anglais, le hindi, le chinois qui sont en pleine expansion

La langue française est menacée sérieusement par d’autres langues. La France doit être le principal moteur de la francophonie. Est-elle en train de déployer les efforts nécessaires et de jouer le rôle qui devrait être le sien ? Rien n’est moins sûr.

L’un des objectifs de la francophonie consiste à promouvoir la langue française et la diversité culturelle et linguistique et appuyer l’éducation, la formation, l’enseignement supérieur et la recherche. Mais force est de constater que les frais de scolarité dans les établissements d’enseignement français basés à l’étranger sont devenus prohibitifs. Or, moins d’élèves dans ces établissements signifie inéluctablement moins d’ambassadeurs de la francophonie. Par ailleurs, il paraît clair que la France d’aujourd’hui est de moins en moins méditerranéenne et de plus en plus atlantiste. Que c’est triste de voir la France jouer de plus en plus et à ses dépens le jeu des néoconservateurs américains.

La diplomatie française, qui n’a ménagé aucun effort pour dissuader Bush et ses acolytes de détruire l’Irak sur la base de mensonges, s’aligne aujourd’hui, sans discernement, sur la position américaine en ce qui concerne la guerre Russie-Ukraine.

L’autre principal objectif de la francophonie consiste à développer la coopération au service du développement durable. Or, aucun pays membre ne figure parmi les 45 premiers pays avec lesquels la France a des échanges commerciaux.

Et puis est-ce normal que le 2e pays francophone, à savoir l’Algérie, continue à ne pas faire partie de l’OIF ?

Mais l’Algérie est le pays d’Albert Camus, de Kateb Yacine, de Mohamed Dhib, de Kamel Daoud, de Yasmina Khadhra, de Benjamin Stora, de Lakhdhar Hamina, d’Isabelle Adjani, de Fellag, et j’en oublie.

D’aucuns pensent en Algérie que la Francophonie est un instrument entre les mains de la France pour pérenniser son empire colonial et reprochent à ce pays de n’avoir pas soldé, pour tout compte, la période coloniale. Pour cela, l’on continue à parler de néocolonialisme et de «France–Afrique». J’avoue ne pas être insensible à cet argument. Il faut regarder la réalité en face. En effet, une colonisation est une colonisation quel qu’en soit le motif. Elle n’est jamais acceptable.  Elle est injustifiable par un soi-disant but civilisationnel. A ce propos, je suis saisi par un passage de la revue L’Histoire n°95. Je vous le livre : «L’interminable conquête de l’Algérie par la France se fait dans la violence. A l’occupation militaire, et son lot de massacres et de famines, succède une dépossession foncière massive des Algériens, non sans résistance de ces derniers. L’ordre colonial transforme les Algériens en musulmans, les distinguant des citoyens : français, migrants européens et juifs. Ce régime de séparation imprègne tous les pans de la vie sociale et politique. Au travail, à l’assemblée, dans les quartiers, une véritable ségrégation traverse de part en part la société coloniale algérienne. Majorité numérique, les «musulmans sont cantonnés dans une position subalterne». Pour moi cela s’appelle «apartheid». Quand on se veut le chantre de la liberté, il faut la vouloir à soi-même et aux autres. Malheureusement à la fin des deux guerres mondiales, la France libérée a refusé la liberté à ses colonies.

La page de la colonisation doit être définitivement tournée. Il y va de l’intérêt de la francophonie et des pays francophones. Passons à autre chose de meilleur. Un devoir de mémoire doit être fait par les uns et les autres. Les pays riverains de la Méditerranée ouest (Europe et Afrique) peuvent construire un bel avenir pour les générations futures.

Vivement une francophonie débarrassée de tout ancien démon pour créer une communauté culturelle et un espace d’enrichissement mutuel et de solidarité, à même d’établir un équilibre géopolitique afin que l’humanité ne soit pas écrasée par une puissance unilatéraliste tenue par une infime, très infime minorité qui décide de tout pour nous.

M.F.

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