Véritable terreur des gardiens, notamment en D2 où il lui arriva d’aligner 34 buts en une seule saison, Mohamed Sahnoun n’eut pourtant pas la carrière espérée en raison des inconstances de son club, le Stade Sportif Sfaxien, qui le condamnèrent à effectuer le fameux mouvement d’ascenseur entre la L1 et L2. Buteur racé du temps où les attaquants opportunistes à souhait s’en donnaient à cœur joie, l’alter ego de Hafedh Khoufi a crevé l’écran par sa moisson de buts: 258 en 14 saisons selon le décompte officiel de son club, près de 400, toutes compétitions confondues, pour certains statisticiens.
Mohamed Sahnoun, vous qui vous vous y connaissez, les buteurs d’antan ont-ils survécu à la rigueur écœurante du foot d’aujourd’hui?
Non, c’est une race en voie d’extinction au même titre d’ailleurs que les bons footballeurs. Il faut étudier le pourquoi de la chose. En Tunisie, nous n’avons malheureusement plus de footballeurs qui donnent du plaisir et des émotions. Aux entraînements, on n’accorde pas suffisamment d’intérêt aux gestes et à la technique spécifiques de l’attaquant. On ne corrige pas les erreurs qu’ils commettent dans un match. Résultat: notre foot produit des défenseurs par quantités industrielles, mais se montre stérile au rayon des attaquants.
Quel est à votre avis le dernier grand
attaquant tunisien ?
Feu Mohamed Ali Akid. En plus de ses qualités de buteur implacable, de redoutable killer, il sait aussi pousser la délicatesse jusqu’à rejeter les compliments qu’on lui adresse. Un jour, nous jouions en lever de rideau au Mhiri de Sfax contre l’ASMarsa. J’inscris trois des quatre buts de notre victoire. En match vedette, le CSS reçoit le CA. Entre les deux matches, sur le chemin des vestiaires, je croise Akid accompagné d’un journaliste qui l’apostrophe: «Bravo pour le but que vous avez marqué dernièrement de la tête en équipe nationale». Et Akid de lui répliquer sèchement: «C’est peu de choses par rapport à ce que peut faire de la tête ce joueur» (et il me montre du doigt). Akid, c’est la classe pure !
Un peu comme Habib Mougou, vous étiez «tête d’or»…
Des headings spectaculaires, de plus, qui ont forcé mes adversaires à venir me féliciter. La Patriote de Sousse joue sa survie en cette dernière journée. L’entraîneur Rachid Daoud me fait entrer à la reprise. Je marque d’abord d’une reprise de volée magistrale. Ensuite, trois minutes avant la fin du match, je récidive, mais cette fois-ci de la tête, le ballon percutant la transversale avant de rentrer. Quoique son équipe soit reléguée, sous le charme, le gardien adverse vient me donner l’accolade. Nous avons terminé deuxièmes de la poule Centre-Sud de D2, mais sans avoir droit à l’accession. D’ailleurs, mon plus beau but, je l’ai marqué d’un lob de la tête dans la cage de Ajroud au stade Maârouf. Ce jour-là, on a perdu (2-1) contre l’ESS.
Avez-vous marqué contre Attouga ?
Deux buts dans un même match. Nous avons gagné (3-1) et avons été relégués.
Quelles étaient vos qualités ?
Détente, vitesse et tir foudroyant des deux pieds.
Les chroniqueurs parlaient dans votre cas d’une force de la nature ?
Mohsen Habacha ne l’était pas moins. Un jour, nous nous sommes heurtés tête contre tête. Le choc, on l’avait entendu à partir des gradins. Pourtant, nous nous étions relevés sans subir de dommages. Cela revient à l’hygiène de vie. A 20h00, je suis toujours au lit. On s’entraînait sérieusement, et puis, récupération à la maison. Mon frère Ali, qui a joué libero à Redayef, puis à Métlaoui, me ressemblait énormément. Lui aussi était une force de la nature.
On raconte que vous préfériez néanmoins la terre battue aux terrains gazonnés…
Le gazon me fatigue. Depuis ma tendre enfance, j’ai été formé sur des terrains durs, comme tous les joueurs de ma génération.
Quel est le défenseur qui a réussi à vous museler, vous rendant la vie dure ?
Mohsen Habacha, très puissant et roublard, et Mohsen Jendoubi.
Vous avez dû vous blesser très souvent ?
Les joueurs étaient très rugueux, vous imposant un combat physique permanent. Et puis, quand vous allez jouer en D2 ou 3 Centre-Sud à Metlaoui, Gafsa, Tozeur… il vous faut vous préparer à souffrir. D’ailleurs, j’ai eu les deux arcades ouvertes. Une fois, j’étais resté 24 heures sous surveillance à l’hôpital de Gabès.
Quelle était votre idole ?
Attouga, Mohamed Salah Jedidi et Khaled Hosni, un type très éduqué. Moncef El Gaied, lui, c’était la classe, le maestro d’un orchestre nommé CSS au contact duquel nous nous sommes bonifiés. Chaque jeudi, ou presque, les «trois S» disputaient les matches d’entraînement contre le CSS. J’avais Habib Jerbi en face, et ils nous battaient régulièrement 5-2, 6-3… C’étaient des frères pour nous. Lundi, on se rencontrait tous, joueurs du CSS, SRS, SSS et OCK à Bab Bhar, à Sfax, et prenions un ticket de cinéma.
A votre avis, quel est le meilleur
footballeur tunisien de tous les temps ?
Tahar Chaibi, Hamadi Agrebi, Abdelmajid Chetali, Taoufik Ben Othmane, Hedi Douiri, Nejib Ghommidh, Moncef Khouini…
Quels furent vos entraîneurs ?
Chedly Zaddem, Mohamed Najar, le père de Raouf, l’ancien libero du CSS et ex-ministre des Sports, Skander Medelgi, Popov, Rachid Daoud, Jules Mathé, Mokhtar Ben Nacef en sélection… Mais je crois que les meilleurs entraîneurs tunisiens restent Abdelmajid Chetali, Ali Selmi, quelqu’un que j’apprécie énormément, Taoufik Ben Othmane et feu Ahmed Ammar.
Le foot est plein d’injustices. Vous en avez connues?
Enormément. En sélection d’abord où on faisait peu de cas des joueurs venant des petits clubs. Chacun veut faire jouer les siens. Les arbitres ensuite qui prennent parfois des décisions qui vous laissent pantois. J’ai inscrit à Kalaâ un but d’une détente de la tête sur un centre de Hedi Ben Hamida. Je saute pour envoyer le cuir sous la transversale. Le juge invalide un but des plus réguliers. Cette saison-là, Habib Agrebi, le frère de Hamadi jouait avec nous.
Quand avez-vous rejoint le Stade Sportif Sfaxien ?
Né le 21 juin 1941 à Sfax, j’ai signé ma première licence au cours de la saison 1959-60 pour l’équipe Cadets des «3S». J’ai livré mon premier match seniors en 1960-61 contre la Patriote de Sousse (victoire 2-1) et j’ai inscrit les deux buts.
Et le dernier ?
Contre Kalaâ Sport (défaite 1-2) en 1973-74. En 1984, mon club a organisé à mon intention un match jubilé.
Quand avez-vous renforcé l’équipe
nationale ?
Durant deux ans, entre 1965 et 1967. Je n’ai jamais eu ma chance. J’ai également fait partie de la sélection du Centre-Sud avec laquelle nous avons, entre autres, disputé un match-test contre les ex-Soviétiques de Dynamo Minsk (3-2). Notre équipe comprenait Mongi Dalhoum, le gardien Aleya Ajroud, Mahfoudh Benzarti… Je possède une photo remontant à ce match-là que j’ai agrandie. Je l’ai ensuite accrochée à un mur du salon de ma maison. Chaque matin, je salue tous ces artistes.
Quel est votre palmarès ?
Deux accessions en D1 avec le SSS en 1967-1968 et 1970-1971. Avec un total de 10 buts, j’ai été sacré deuxième meilleur buteur de la division nationale en 1971-1972, derrière Moncef Khouini (12).
Vous vous êtes ensuite reconverti
en entraîneur…
Oui, depuis 1977 jusqu’à tout récemment, j’ai entraîné les jeunes du Stade Sportif Sfaxien.
Enfin, quel métier avez-vous exercé
dans votre vie ?
J’ai été agent de la Siape (Groupe chimique tunisien unité de Sfax). Je suis parti à la retraite en 2010.