Né le 26 octobre 1932 à Tunis, ce monument de la photographie tunisienne, qu’est Jacques Perez, est décédé le 1er juillet 2022. L’Association In’Art Hammamet lui a rendu un vibrant hommage, avec une exposition d’une vingtaine de ses clichés culte et des évocations du parcours de l’homme et de l’artiste.
Elle-même artiste-photographe, Dalel Bouslama, la présidente d’In’Art, ne pouvait pas rater l’occasion de prévoir dans sa programmation estivale un évènement qui honore la mémoire de Jacques Perez. «C’est mon Doisneau tunisien», confie-t-elle. L’idée, elle l’a eue en présentant en juillet ses condoléances à Hamid Eddine Bouali, son ami et commissaire de la grande exposition rétrospective «Souvenirs d’avant l’oubli» (septembre-octobre 2021 au Palais Kheireddine). L’initiative a pris forme suite aux échanges de Dalel avec Rabaâ Ben Achour, présidente de l’Association «Nous Tous», qui a organisé l’exposition de Jacques Perez de l’automne dernier.
Très vite, la liste des amis et témoins de l’histoire de vie et de l’itinéraire artistique de Perez est définie : Rabaâ Ben Achour, Sophie Bessis, Faouzia Sahly, Souhayr Belhassan, Hichem Ben Ammar, Dalel Bouslama et Olfa Belhassine, l’auteure de ces lignes. De jeunes photographes, qui ont pris Perez pour maître et inspirateur, sont aussi invités, Amine Boussoffara, Kaies Ben Farhat, Karim Kammoun.
Et la famille de l’artiste accepte d’envoyer, à In’Art, vingt photos tirées de «Souvenirs d’avant l’oubli», que l’association a exposées sur les cimaises de Sidi Abdallah, son siège, situé dans la médina de Hammamet.
Un humanisme à fleur de peau
Le cadre de Sidi Abdallah, une zaouïa donnant sur la mer et immaculée de blancheur, aurait beaucoup plu à Jacques Pérez, lui dont beaucoup d’images appellent à la méditation, tellement elles sont ancrées dans une délicatesse et un humanisme à fleur de peau. Par fragments, chacun des intervenants, prenant l’histoire de Jacques par le bout qu’il connaît le plus, revient sur l’incroyable destin de l’artiste. Défilent à travers les propos des uns et des autres, son étonnant roman familial, son passage à l’Association de sauvegarde de la médina (ASM), son projet de cinémathèque tunisienne concocté avec feue Sophie El Goulli, sa proximité avec les grands écrivains, intellectuels et créateurs de ce siècle, dont Man Ray, Max-Pol Fouchet, Jean Cocteau, Henri Langlois, ses cartes postales devenues iconiques, son expérience dans l’édition, ses voyages, sa connaissance du patrimoine tunisien sous toutes ses formes et coutures.
D’un autre côté, ceux qui l’ont approché de plus près ; Souhayr Belhassan, Sophie Bessis, Rabaâ Abdelkefi et Hichem Ben Ammar, entre autres, évoquent les liens inébranlables qu’il a le pouvoir de tisser avec ses amis. Ces liens, il les maintient grâce à sa fidélité à toute épreuve, son humour décapant, ses communications téléphoniques, qui peuvent durer des heures et son génie de raconter les choses…
Sa Tunisie nous rassemble et nous ressemble
Mais c’est la tendresse de son regard sur la Tunisie, qu’il a sillonnée et photographiée du nord au sud, qui a le plus fait l’unanimité des témoignages et des évocations.
«Jacques a photographié les fous, les clowns, les nains avec un esthétisme proche du style de Fellini. Il a autant photographié la Tunisie que nous connaissons que celle qui se cache dans la marginalité. Il a su la transcrire dans toute sa diversité. Jacques restera comme l’un des plus beaux regards qu’un photographe ait porté sur son pays», dira l’historienne Sophie Bessis.
Pour Faouzia Sahly, ancienne présidente de la Commission d’achat du ministère de la Culture, Jacques Perez qu’elle a connu dans les années 70 à travers sa grande amie Sophie El Goulli «est un homme authentique, attachant et modeste. C’est dans le réel que son parcours d’artiste photographe a été tracé».
La photographe Dalel Bouslama a bien retenu les leçons de Jacques, transmises à travers son œuvre : le jeu avec la lumière, les contrastes, les ombres : «Cette maîtrise absolue de la lumière incarne ce qui magnifie ses prises de vues ». Elle ajoute : «Son génie réside également dans ce regard acéré qui sait exactement les moments les plus intenses, justes et précis pour saisir une expression, une tension, un geste plein de grâce».
C’est sur une note d’humour et de pudeur qu’Hamid Eddine Bouali, absent cette soirée-là mais présent à travers un texte clamé par Rabaâ Ben Achour, que le photographe a choisi de rendre hommage à son grand ami en revenant sur les funérailles de Jacques, tenues le samedi 2 juillet 2022 au cimetière du Borgel : «Jacques a convié ses proches, ses admirateurs et collègues pour une sortie au grand air, afin de l’accompagner dans une petite promenade. Embrassades sans masques puisque vraies et tendres, discours sans envolées lyriques ni langue de bois. Puis, à la fin de la cérémonie, les applaudissements résonnent joyeusement dans ce cimetière multiconfessionnel, comme pour avertir Samama Chikli, Habiba Msika, Pierre Olivier, Gilbert Naccache, Gladys, Serge et Georges Adda et tant d’autres… qu’ils ont désormais un nouveau voisin».