Tous les maux du pays viennent, surtout, du maintien du système de compensation des produits de première nécessité. Créé, à l’origine, pour venir en aide aux couches les plus démunies, il est devenu, aujourd’hui, une arme de destruction massive, justement, de ces mêmes couches. Des profiteurs et des spéculateurs divers se sont infiltrés dans ce système pour le détourner à leur avantage. Pendant ce temps, l’Etat et l’Ugtt peinent à trouver une solution définitive à ce problème.
Il n’y a pas plus mauvaise gouvernance que celle connue par notre pays au cours de la décennie noire. L’Etat, lui-même, compte parmi les plus mauvais payeurs au point qu’il n’honore plus ses dettes envers des entreprises publiques comme la Steg, la Sonede ou envers d’autres entreprises de grands travaux en charge de réaliser des projets comme les routes, les écoles, les branchements aux différents réseaux, etc.
Cette situation est devenue permanente et menace aujourd’hui la crédibilité de l’Etat et la continuité des programmes de développement et de croissance économique. Quasiment, tous les secteurs d’activités sont plus ou moins touchés par ce climat d’instabilité et de manque de visibilité devant les opérateurs. C’est ainsi que plusieurs projets d’infrastructure ou autres sont soit à l’arrêt, soit reportés sine die.
Mais l’impact de la situation d’insolvabilité croissante de l’Etat envenime aussi les rapports avec tous les intervenants dans les différentes chaînes de production. On pense, justement, aux conflits qui se répètent régulièrement en lien avec les professionnels du secteur laitier. Dans ce domaine, on ne cesse de nous annoncer la mort lente des activités qui lui sont liées et de la destruction programmée de tous ses maillons.
Les autorités ont consenti, à plusieurs reprises, des concessions aux producteurs et aux industriels dans ce secteur en permettant des augmentations au niveau des prix de la production de la collecte et de la transformation du lait. Ces efforts n’ont jamais satisfait les professionnels qui demandent toujours plus.
Alors que le litre de lait ne dépassait pas les 100 millimes dans les années 80, le voilà multiplié par douze en une quarantaine d’années. Ce serait dans la logique des choses, dirait-on. Mais la logique des choses exige aussi que les salaires suivent la courbe ascendante des prix et de l’inflation. Ce qui n’est nullement le cas actuellement vu l’état lamentable dans lequel se trouve notre économie.
Les lobbies
Quand on entend les porte-parole des agriculteurs et des industriels laitiers, on sent vraiment qu’il y a dans leurs discours cette envie d’imposer leur vue à l’Etat sans trop tenir compte du pouvoir d’achat du Tunisien ou de la conjoncture économique nationale et internationale. Certes, ils ont raison de se tirer quelque peu la couverture. Mais il est tout aussi vrai qu’il n’est pas permis de se comporter comme des lobbies dans un secteur très sensible et où les enjeux sont énormes.
Il faut être conscient des conséquences au cas où les prix dépasseraient les 2 dinars le litre de lait pour le consommateur. C’est d’ailleurs la proposition faite par les professionnels de la filière laitière (producteurs, collecteurs et industriels) qui veulent une hausse d’environ 800 millimes/l !
En même temps, ces professionnels préviennent que les dégâts seraient plus importants si l’Etat cherchait à faire face à la crise par le recours à l’importation. Les pertes seraient plus grandes, notamment en matière de devises, alors que le pays en a fortement besoin. Le litre de lait serait plus cher (l’équivalent de 3 dinars). L’Etat paierait la différence alors qu’il ferait mieux d’aider, financièrement, la filière et particulièrement les agriculteurs. D’une pierre deux coups : l’Etat contribuerait à sauver ladite filière d’une mort certaine et économiserait d’importantes sommes en devises.
L’obstacle de l’Ugtt
Sur un autre plan, il est urgent de trancher, définitivement, la question des subventions et de se rapprocher de la vérité des prix.
La responsabilité de cet immobilisme est imputable à l’Ugtt qui s’en tient mordicus à la politique aveugle des compensations des produits alimentaires ou dits de première nécessité. Le but premier de ces mesures, on le sait, étant de préserver le pouvoir d’achat de certaines couches sociales. Dans les faits, cela était vrai pendant plusieurs années. Il n’en est plus ainsi. Les premiers à le savoir plus qu’aucune autre personne sont les syndicalistes. Les subventions de plus de 5.000 milliards de millimes (2022) consenties par l’Etat ne profitent plus aux catégories ciblées à l’origine. Paradoxalement, ce sont les couches vers lesquelles on voulait orienter les compensations qui consomment le moins. Et, du coup, ce sont les couches les plus aisées qui consomment le plus de produits subventionnés. De ce fait, ce sont les parties les plus favorisées économiquement qui en profitent beaucoup plus.
On pense, alors, à des activités commerciales, industrielles et aux divers trafics.
Le lait, le café, le sucre, le thé par exemple constituent la matière première pour les activités des cafetiers, des salons de thé de luxe, des pâtissiers…C’est ainsi qu’un litre de lait transformé sous forme de capucin, d’express ou de café-crème rapporte dix ou vingt fois son prix selon la catégorie de l’endroit où il est servi.
D’autres produits comme la farine, la semoule, le beurre, etc. sont détournés pour d’autres usages purement commerciaux (préparation de pains traditionnels comme la “tabouna”, le “mlawi”, etc. ou les gâteaux, ou même pour la nutrition animale en utilisant le pain ou la semoule ou l’orge).
Devant cette réalité complexe, l’Etat doit s’assumer et prendre le taureau par les cornes. Face à lui, nous avons l’Ugtt qui ne veut rien entendre et qui, contre toute logique, cherche à faire perdurer ce statu quo qui ne peut mener qu’à la catastrophe.
En dépit de toutes les tentatives pour trouver un terrain d’entente ou un compromis, les responsables de la Centrale syndicale ne sont pas prêts pour trouver la solution radicale qui sauverait le pays. Or le maintien de la situation dans l’état actuel ne peut qu’encourager les contrebandiers, les spéculateurs et les autres pratiques malsaines que favorise le système actuel de compensation des produits de base par l’Etat.
Tout le monde, pourtant, doit comprendre qu’il est urgent de franchir le pas et de prendre les mesures courageuses qui s’imposent en tranchant la question des vrais bénéficiaires.
Il n’est plus question de continuer à livrer des milliers de milliards de millimes aux diverses activités illégales alors que la population concernée continue de souffrir et de payer pour les classes sociales les plus favorisées et à tous ceux qui se livrent à des activités de contrebande. Ce serait un crime de persister à faire barrage contre toute solution visant à sortir de l’impasse.