
Quand un État s’enlise dans l’impuissance, dans la faillite économique, dans la corruption, dans les discriminations sociales, dans le chômage et la pauvreté, la patrie décline, le Tunisien ne grandit pas, il s’engouffre. En effet, c’est dans ce contexte de morosité ambiante que le Tunisien déchante et perd l’espoir d’envisager l’avenir dans son pays. Aujourd’hui, ce ne sont plus des chômeurs qui prennent les barques de la mort, mais des employés et des familles entières qui prennent le large vers les côtes italiennes.
D’un pays où il faisait doux de vivre, la Tunisie s’est transformée en dix ans en un pays où il est plus facile de mourir que de vivre. Cette décennie noire — au cours de laquelle les politiciens qui se sont succédé au pouvoir nous ont creusé les tympans par des discours creux et des promesses sans lendemains sur les acquis de la révolution — nous a légué un pays en ruine après une destruction massive de son tissu économique et après avoir spolié ce qui reste de ses richesses, mettant en péril les vies des citoyens.
Les statistiques sur les départs des Tunisiens à l’étranger ou sur les intentions d’émigration des autres font froid dans le dos. Au-delà des milliers de jeunes qui prennent le large sur des embarcations de fortune et dont la mer nous rejette les corps chaque jour, le taux de suicide pour ceux qui n’ont pas eu la force de quitter le pays galope à des seuils inquiétants. D’autres livrés au désespoir se jettent dans les bras des terroristes et meurent dans des attentats perpétrés en Tunisie ou dans des zones de troubles. Mais le plus inquiétant est que de paisibles citoyens qui se rendent à leur travail ou vaquent à d’autres occupations se trouvent parfois confrontés à une mort soudaine sur les routes ou même les autoroutes, car on ne prend même pas la peine de leur signaler un épais brouillard. D’autres perdent la vie à cause des crues des oueds en allant à l’école ou tombent mortellement dans des trous béants de bouches d’égout sans couvercles. Pour ceux qui ont la chance d’éviter tous ces écueils, c’est le mal vivre qu’ils subissent au point que les maladies mentales frôlent le seuil du tolérable.
Hormis la lutte contre les lobbies qui ont fait main basse sur les richesses de la nation et saigné aux quatre veines le Trésor public, il s’agit aussi de revoir la façon de penser et la manière de gouverner. Certes, le problème réside dans la Constitution, le système politique, le Code électoral, mais aussi il est dans l’incapacité croissante de la nation à protéger ses enfants qui nourrissent l’exaspération sociale, le dénigrement. C’est que l’affaiblissement de la nation renforce la crispation identitaire, attise la haine de l’autre, nourrit le terrorisme et favorise l’émigration irrégulière.